Chronique droits des femmes

Illustration. Une femme violée à Rutshuru/Ph ACTUALITE.CD

À partir de cette semaine, le DeskFemme d’Actualité.cd lance une chronique hebdomadaire dédiée aux droits des femmes en République Démocratique du Congo. Chaque édition expliquera un droit fondamental ou une inégalité juridique, à la lumière des textes de loi en vigueur, avec l’appui des juristes spécialisés. Une manière d’informer, de sensibiliser et d’encourager les femmes à faire valoir leurs droits dans un contexte encore marqué par les inégalités et les tabous.

Cette semaine, la chronique droits des femmes aborde le sujet des violences conjugales : que dit (et ne dit pas) la législation congolaise?

Selon le dictionnaire la langue française, la violence conjugale au sein du couple désigne une situation dans laquelle l’un des partenaires exerce, dans le cadre d’une relation intime, une domination qui se manifeste par des agressions physiques, psychologiques, sexuelles et/ou économiques.

Pour mieux comprendre l’encadrement juridique des violences conjugales en RDC, nous avons interrogé Me Grâce Mulumba, juriste spécialisée en droit de la famille et consultante en genre et justice.

Elle explique :

« Il est important de savoir que la législation congolaise ne mentionne pas explicitement les violences conjugales comme une infraction autonome. Toutefois, ces actes sont couverts par plusieurs dispositions du Code pénal. Par exemple, les coups et blessures volontaires sont réprimés par les articles 46 et 47, et en cas d’agression sexuelle, le viol est puni de 5 à 20 ans de servitude pénale », a-t-elle déclaré.

Une infraction fréquente, mais peu dénoncée

Selon une enquête du Réseau des Hommes Engagés pour l’Égalité du Genre (RHEEG-RDC), près de 80 % des femmes mariées ayant subi des violences physiques ou psychologiques ne déposent jamais plainte. Nombre d’entre elles considèrent que la violence au sein du couple fait partie du cadre marital, surtout dans les mariages coutumiers.

« La société congolaise tend à banaliser la violence domestique. On la considère souvent comme un simple désaccord familial, relevant du privé, alors que ce sont des infractions pénales graves », poursuit  Me Grâce Mulumba.

Que prévoit la législation congolaise ?

1. Le Code pénal : une couverture partielle

La législation congolaise ne définit pas expressément les violences conjugales, selon Me Mulumba. Cependant, plusieurs articles du Code pénal congolais, Livre II, permettent de poursuivre les auteurs :

- Article 46 : punit les coups et blessures volontaires, même en contexte marital.

- ⁠Article 170 : définit le viol comme tout acte de pénétration sexuelle accompli par violence, menace ou surprise, applicable même dans un couple marié, depuis la révision du Code de la famille.

« Depuis la réforme de 2016, le mariage n’implique plus un consentement sexuel automatique. Une relation sexuelle non consentie dans le mariage est désormais considérée comme un viol », explique-t-elle.

2. La Loi n° 06/018 du 20 juillet 2006 sur les violences sexuelles

Cette loi renforce les sanctions contre le viol, le harcèlement sexuel, la grossesse forcée, le mariage forcé ou encore la séquestration. Elle prévoit des peines allant jusqu’à 25 ans, voire la peine de mort si les violences entraînent la mort de la victime.

3. Le Code de la famille (modifié en 2016)

L’article 444 introduit l’obligation de respect mutuel, fidélité et assistance morale et matérielle entre époux. Il pose le cadre pour considérer les violences conjugales comme une violation de ces obligations fondamentales.

4. Nouveaux textes renforcés

- L’Ordonnance n°23/023 du 11 septembre 2023 introduit pour la première fois l’infraction de stigmatisation ou intimidation basée sur le genre, passible de 6 à 24 mois de prison et d’une amende allant jusqu’à 500 millions FC.

Un vide juridique persistant

Malgré ces textes, aucune disposition n’incrimine spécifiquement les violences conjugales en tant que telles, selon Me Mulumba.

« Il est urgent que le législateur congolais adopte une loi spécifique qui nomme et criminalise clairement la violence conjugale. Cela faciliterait les poursuites, les signalements, et l’octroi de mesures de protection comme l’éloignement de l’agresseur ».

Actuellement, les poursuites dépendent de la qualification retenue par l’officier du ministère public : coups et blessures, menaces, viol, ou parfois simplement conflit conjugal. Résultat : de nombreuses affaires sont classées sans suite.

Des obstacles sociaux et économiques majeurs

Outre le flou juridique, les obstacles sont également sociaux et économiques. Quelques victimes sous anonymat rencontrées ce vendredi 20 juin soulignent: 

- La peur de perdre la garde des enfants ou les moyens de subsistance qui pousse de nombreuses femmes à se taire.

- ⁠L’accès à la justice reste inégal, surtout dans les quartiers périphériques où les femmes manquent de ressources, de soutien juridique et de structures d’accueil.

- Les services de police sont souvent mal formés ou biaisés.

-⁠ Certaines victimes rapportent que leurs plaintes sont minimisées, voire découragées.

Des réformes nécessaires

Selon la juriste, plusieurs mesures devraient être mises en œuvre pour améliorer la situation :

- L’adoption d’une loi spécifique criminalisant clairement les violences conjugales.

- ⁠Le financement de la justice gratuite et le développement des structures d’accueil pour les victimes.

- ⁠La formation obligatoire des forces de l’ordre et des magistrats sur ces questions.

- ⁠Des campagnes communautaires pour déconstruire les normes qui légitiment ces violences.

Nancy Clémence Tshimueneka