Depuis 2011, il y a plus de huit ans, le territoire de Kabare (Sud-Kivu), dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), fait face au phénomène localement appelé « Mujakazi». Il s’agit de l’activisme des faux prophètes qui accusent des femmes de sorcellerie et les font tuer par leurs gendarmes. Plusieurs habitants en ont payé le prix, malgré leur innocence. Reportage.
A chaque fois qu’il y a mort dans certains villages de Kabare (Sud-Kivu), les proches de défunts recourent à des « prophètes » pour tenter de comprendre ce qui est arrivé à leur illustre disparu.
Mais dans la plus part des cas, ces "prophètes", localement appelé "Mujakazi" (serviteur en swahili) ne trouvent autres causes pour justifier ces morts : ils accusent des femmes de sorcellerie et les font tuer sans aucune forme de procès. Des sources à Kabare ont rapporté à ACTUALITE.CD qu’entre octobre et décembre 2019, 12 personnes ont été tuées, des centaines des maisons incendiées et plusieurs autres biens de valeur emportés.
Des victimes tuées et leurs biens détruits ou emportés, pour avoir été accusées, par ces «Mujakazi», de sorcellerie. La mère de Feza Cihenga est parmi les victimes. Nous recevant dans un village perdu à 20 Km de Bukavu, Feza se souvient de cette triste journée du 16 décembre durant laquelle elle a vécu le lynchage de sa pauvre mère, Espérance Chirhalirhe, par des gendarmes d’un "prophète".
« C’était vers 11 heures du matin. Nous avons vu des gendarmes d’un Mujakazi se pointer chez nous à Cituzo (un village de Kabare). Nous étions cinq dans la parcelle, moi, ma mère et trois enfants. Ils nous ont poursuivi, j'ai laissé courir les 3 enfants mais ces bandits ont pris ma mère, l'ont déshabillé, l'ont tabassé à mort et introduit des morceaux de bois dans son vagin», témoigne Feza, entre deux pleurs.
Face à cet acte atroce commis à l’encontre de sa pauvre mère Espérance, Feza, d’une trentaine révolue, a perdu tout espoir et vit en clandestinité dans une famille proche à son père, pour échapper à ces gendarmes.
Etre femme, un malheur à Kabare
Théophile Mubake, habitant de Kashegeye signale à ACTUALITE.CD que le phénomène "Mujakazi" prend une allure inquiétante dans plusieurs villages de son territoire de Kabare.
D’après nos sources, ce territoire regorge aujourd’hui sept faux prophètes, notamment trois femmes et quatre hommes. Ils ont constitué autour d’eux des gendarmes, des jeunes armés qui sont chargés d’exécuter des présumés sorciers.
"La situation est préoccupante et nous assistons à des mutilations sexuelles. Les femmes sont déshabillées, les bandits introduisent les troncs d'arbre dans leur vagin, les déchiqueter avec machettes et haches, jeter des grosses pierres sur la tête des victimes et couper même leurs seins, souvent en présence même de leurs enfants", révèle Théophile Mubake.
Solange brise le silence
En novembre dernier, Solange devrait mourir, après avoir été soupçonnée de sorcellerie par une "Mujakazi". "C'était le 22 novembre, à 4heures du matin. Des gens armés de lances, de machettes et autres armes blanches, ont détruit ma maison, m'ont retiré de mon lit conjugal. Ils ont tabassé à mort mon mari, ils m'ont prise, déshabillée et amenée chez la prophétesse toute nue. C’est après l’examen de mon cas qu’ils ont constaté que je n’étais pas sorcière. Ils m'ont donné un pagne, puis me relâcher", témoigne à ACTUALITE.CD Solange Bigirimana, rencontrée au village de Kabare.
Après avoir subi ces actes d'humiliation, Solange a, aujourd’hui, décidé de briser la peur pour dénoncer, à travers des séances de sensibilisation, ce phénomène. A Cituzo, Solange mobilise ses homologues femmes et les encourage à ne pas recourir à ces faux prophètes, en cas de difficulté, mais plutôt de les dénoncer, pour que cessent ces pratiques de mutilation contre les femmes.
Une lutte encouragée par Balemba Kayeye, inspecteur d’une école secondaire de Kaziba, qui n'a plus de nouvelle de sa femme, emportée, il y a plus de trois mois, par les gendarmes d’une Mujakazi qui l’accuse de sorcellerie.
"Le 16 décembre, vers 2 heures du matin, un groupe d'hommes bien armés ont attaqué ma maison. Ils nous ont torturés, moi et mes enfants. Ils avaient de l’essence, et voulaient meme incendier ma maison. Dieu aidant, ils ne l’ont pas fait. Mais ils sont partis avec mon épouse dont j’ignore, jusqu’aujourd’hui la destination", regrette-t-il. Balemba Kayeye et ses enfants se sont déplacés pour leur sécurité, dans l’entente de la fin du phénomène "Mujakazi".
Justin Mwamba, à Bukavu