Le 10 octobre 2019 à Beni, au cours d’un meeting populaire, le Président de la République, Félix Tshisekedi, a annoncé le lancement d’une opération militaire contre les ADF affiliées, selon l’avis du Chef de l’Etat congolais, à l’organisation de l’Etat islamique. « Nous nous apprêtons à lancer la dernière attaque contre les combattants ADF dans les jours à venir afin de les exterminer définitivement. (…) Je vous promets que nos frères de l’armée sont en train de faire un bon travail et, si Dieu le permet, nous passerons les festivités de fin d’année dans la paix et la sécurité à Beni ».
Manifestement, le Président de la Président est extrêmement préoccupé d’ancrer la paix spécialement dans l’Est du pays. Il communique assez sur cette question tant dans le pays qu’au-delà des frontières nationales au sein des cénacles bilatéraux et multilatéraux (SADC, Union africaine, ONU). Il se veut assurément dans une proximité à la fois physique et émotionnelle avec la population pour la rassurer davantage de sa volonté et de sa détermination à ramener la paix. « Et cette paix, croyez-moi, je suis prêt à mourir pour qu’elle soit une réalité. Je veux la paix et la paix définitive dans notre pays », a fait savoir le Chef de l’Etat à Bukavu (Sud-Kivu) le 7 octobre 2019. Il est possible de lire en la personne du Président de la République de la bonhomie. Cependant, ça peut ne pas suffire pour atteindre l’objectif escompté.
Il ressort de sa démarche une dichotomie dans les postures stratégiques contre l’insécurité. En effet, promettre d’ « exterminer » les ADF (Allied Democratic Forces/Forces démocratiques alliées) ou de « lancer la dernière attaque » ou encore de passer « les festivités de fin d’année dans la paix et la sécurité à Béni » … relèvent des vœux essentiellement légitimes, surtout pour un Chef d’Etat démocratiquement élu. Encore faut-il que la réalité temporelle n’y confère pas un caractère « pieux ». Sous peine d’être sévèrement jugé sur l’unique base des faits.
Car promettre et concrétiser la promesse ne font pas toujours bon ménage. Il ne s’agit pas de la lutte contre des « Kuluna » (bandits urbains) mais plutôt de la déconstruction d’un système établi depuis des décennies et dont les véritables ténors sont foncièrement dans l’ombre. « Si Dieu le veut … », un éventuel plan divin servirait-il donc d’alibi pour justifier une situation non conforme à la paix au terme de cette année ? Il y a à redouter que la création d’une coalition régionale contre les ADF produise, sur le terrain, des effets boomerangs si des précautions ne sont pas à la hauteur des enjeux et défis. L’histoire en donne assez d’indications non négligeables.
Par ailleurs, il importe de souligner que les Etats-Unis d’Amérique, première puissance militaire mondiale, ont fini par engager le dialogue avec les Talibans, après plusieurs années d’opérations militaires lancées depuis 2001 contre ces derniers. Rappelons que les Talibans afghans avaient protégé les leaders de l'organisation jihadiste Al-Qaïda, accusé d’avoir perpétré les attentats du 11 septembre 2001 aux USA. Le « Tout-Puissant » Donald Trump, décidé d’affirmer et de préserver mordicus la suprématie des USA sur l’espace international, ne s’est pas interdit d’exprimer publiquement son intention de rencontrer les chefs des Talibans afghans, dans sa résidence de Camp David, dans la perspective de la résolution pacifique du problème sécuritaire qui écume en Afghanistan.
Quoique cette rencontre ait été annulée au dernier moment, il n’est pas moins essentiel de noter que sa planification est significative dans un contexte d’insécurité persistante en Afghanistan. Dès lors, cette annulation n’est certainement pas étrangère à l’ambiance presqu’électorale aux USA. C’est depuis l’année passée que les deux parties étaient en négociation en vue de faire cesser la guerre en Afghanistan.
Dans tous les cas, les postures de Donald Trump tant l’ouverture que pour l’arrêt du processus de négociation sont dictées par la Realpolitik (« Stratégie politique qui s'appuie sur le possible, négligeant les programmes abstraits et les jugements de valeur, et dont le seul objectif est l'efficacité », Cfr. Larousse en ligne). Certes, comparaison n’est pas raison. Mais, la comparaison permet d’asseoir la raison. Il y va de la rationalité cartésienne.
Il est donc possible, sans renoncer à l’usage de la force militaire, de tenter de négocier avec les ADF. Il pourrait s’avérer utile de résoudre quelque peu le problème posé par ces dernières, ne serait-ce que partiellement. Il serait possible d’éviter au pays les effets néfastes de la nième opération militaire tant sur le plan financier que sur la dynamique géopolitique régionale ouvrant de bonnes perspectives à la RDC.
Ceci est susceptible de suggérer des consultations politiques pour dégager un large consensus sur l’option définitive à lever et à assumer collectivement en tant que Nation en construction. Le plus fondamental est de cerner le substrat de la menace que les ADF constituent. Il s’impose d’en connaitre au millimètre près les acteurs de l’ombre, et de les persuader de soutenir l’ordre sécuritaire à instaurer.
Il est plus prudent de questionner les contours du problème ainsi que le niveau d'efficacité des options levées jadis avant d’en envisager la réédition. En décembre 2015, dans son adresse à la population d'Oicha, Joseph Kabila, alors Chef de l’Etat, avait promis la neutralisation des groupes armés qui écument le territoire de Beni dont les ADF. A l’occasion, il avait également exprimé la volonté du Gouvernement de prendre en charge les déplacés de guerre sur l’axe Mavivi-Oicha-Eringeti. Où en est-on près de quatre ans après ? Les acteurs de la lutte contre cette insécurité sont-ils les mêmes ? En quoi la vision, la stratégie et la tactique de 2015 diffèrent-elles de celles d’aujourd’hui ? La leçon de l’Histoire mérite toujours d’être prise en compte. Même quand l’équation parait facile à résoudre.
Quand on sait que les opérations militaires se poursuivent en Ituri, que le Chef de l’Etat en avait promis à Minembwe au Sud-Kivu, il est intellectuellement légitime de questionner, sans toutefois remettre en cause, la pertinence de l’annonce du lancement de la « dernière attaque » contre les ADF. A ce stade, il n’est pas inopportun de négocier avec les dernières. Ceci pourrait renforcer la pertinence et la légitimité de l’opération militaire en cours de planification. Il donnera des arguments au Chef de l’Etat face au jugement du Temps. Le dialogue n’est pas signe de faiblesse.
JC MWENU K.