Aujourd'hui, ACTUALITE.CD vous propose cette tribune de Frank NDUU NAWEJ
Lubumbashi, à Kalebuka, un de nombreux bidonvilles de la capitale du cuivre. Il est à peine 19 heures et contre toute attente, la fourniture en énergie électrique saluée une demi-heure plus tôt par clameur festive, vient d’être interrompue. Encore la SNEL[1] ! S’indignent des voix résignées.
Pourtant dans la matinée, une forte équipe des techniciens de la société d’électricité armés des pinces, d’échelles, des rouleaux des câbles et autres matériaux dont on avait peine à imaginer l’utilité, étaient visibles à l’entrée de la cabine moyenne tension qui alimente le quartier. A leur tête, un de ces députés nouvellement élus et qui promettait à qui voulait l’entendre, que c’en était fini avec les délestages et les interruptions intempestives du courant.
Visiblement, ce n’était qu’une énième belle promesse émanant d’un énième prophète autoproclamé, qui fait que dans ce pays là, les pasteurs recommandaient à leurs ouailles de ne croire qu’en Jésus seul.
Alors qu’elle s’affairait autour de la table dans le minuscule salon, la famille Mudjabat se voit ainsi brutalement contrainte de se mettre dehors pour souper à la clarté de la lune.
Il n’avait pas encore fini que, soudain tout, devint noir !
- La pluie aussi ! S’agaça Mudjabat, contrarié par le gros nuage qui venait d’obstruer la lune et qui se déplaçait à la vitesse de chefs d’état africains en fin de mandat.
- Marie, dit Anne, à sa fille de 8 ans, vas dans la chambre prendre la lampe tempête en dessous de mon lit. Récupère aussi la boite d’allumettes quelque part sur le lit ou le tabouret.
La fille s’exécuta en vitesse.
Assise à même le sol sur de morceaux de tapis chinois et tenant en sandwich la tablette en bois massif, la famille patientait sagement - du moins en apparence - que la lumière arriva.
Outre Mudjabat, Anne son épouse et Michel leur ainé de 12 ans, figuraient également Alphonsine, la sœur de Mudjabat, arrivée quelques heures plutôt à l’improviste en provenance de Katapakish, le village d’origine, avec Wabajany son époux, et leurs 9 enfants. Agés de 14, 13, 11, 10, 9, 7, 6, 4 et 3 ans, tous de garçons, les trésors de Wabajany et Alphonsine espéraient pouvoir enfin intégrer une école avec l’imminente mesure gouvernementale de « l’école pour tous ».
Le bon fumet exhalé par le Thomson frit assaisonné d’ail et l’arome de sombé à l’huile de palme caressaient les narines des convives, affolant ainsi les glandes salivaires qui se mirent à déverser leur trop plein dans les bouches desséchées par le jeune.
Soudain, un bruit sourd se fit entendre dans la maison accompagné d’un « Ayiii, mamaaa ! »
Son annonce fut accompagnée en chœur par des murmures de réprobation.
Dans sa chute, Marie fit tomber la lampe tempête dont le verre vola en éclats et le réservoir déjà quasiment en panne sèche, vida son maigre et précieux contenu sur le sol.
Michel fut envoyé ramasser les restes de la lampe et retrouver les allumettes, la troupe autour de la table commençant à s’impatienter bruyamment en tirant les jambes.
Soudain un long fracas, un « aiououou ! » et puis un violent « plouf » ! En tentant de ramasser la lampe, Michel glissa sur le mazout répandu sur le sol-vestiges de carreaux avant de finir sa course sur la bassine d’huile de palme, reste invendu de la marchandise de sa commerçante de mère, déclenchant une colère légitime de cette dernière et de toute la meute autour de la table:
« Quels types d’enfants est-ce ? » risqua Alphonsine, sous les regards unanimement approbateurs de son quintet.
- Ah oui, vous êtes tous pareils, bande d’incapables ! S’indigna Mudjabat, qui, sur le champ, décida de trouver au plus vite la solution là où ses rejetons avaient honteusement failli, interrompant du coup Wabajany qui proposait ses services.
A peine franchit-il la porte du petit salon livré à l’obscurité, Mudjabat skia une assiette en porcelaine qui flottait sur une mare d’huile de palme et alla finir sa course deux mètres plus loin sur le canapé à trois pieds qu’il acheva sous ses 70 kgs, enfonçant son crane prématurément chauve dans la seconde bassine, celle des invendus de la farine de manioc et déclenchant des applaudissements rageurs d’Anne qui entrevoyait sa prochaine faillite commerciale…
Cette fois-ci Alphonsine protesta nonchalamment de la tête contre sa belle-sœur sans vouloir en rajouter. Visiblement, il n’y a pas que Marie qui redoutait la sanction ultime d’Anne…
Au final, à qui incombe la responsabilité de la série d’incidents rapportés dans le récit ci-dessus?
Si Anne, Alphonsine, Wabajany ou les autres enfants étaient entrés à leur tour, quelle garantie avons-nous qu’ils n’allaient pas connaitre les mêmes déboires que Mudjabat et ses deux enfants ?
On ne gagnerait donc rien à vouloir blâmer les Mudjabat, il faudrait plutôt changer la situation de la maison si l’on veut prévenir les incidents qui y ont eu lieu.
La situation similaire est vécue, notamment, dans le domaine des soins de santé.
Des recherches et de nombreux travaux des experts dans le domaine de la sécurité des soins établissent clairement que « les erreurs humaines sont rarement commises par négligence, mais résultent plutôt de défauts ou de dysfonctionnements des systèmes, des procédés et des procédures avec lesquels les acteurs humains travaillent. »[2]
Chaque système est en effet parfaitement conçu pour générer les résultats qu’il arbore. Si l’on veut obtenir des résultats différents, il faut changer le système qui les génère.
Blâmer les prestataires des soins pour des erreurs dont ils ne sont pas responsables n’améliore pas la qualité de service et pourrait même empirer la situation. Le blâme et la punition poussent les gens à masquer les erreurs et autres incidents relatifs aux soins. Or, pour apprendre des erreurs et des incidents liés aux soins, il est primordial que ceux-ci soient documentés, rapportés.
Bien entendu, les personnes coupables de négligence et de faute intentionnelle ne peuvent rester impunies, mais améliorer le système (procédures notamment) reste une garantie de meilleurs soins de santé.
Frank NDUU NAWEJ
Né à Musumba, le 10 novembre 1972. Détenteur d’une licence en Administration et Gestion des institutions de santé de l’université de Lubumbashi, secrétaire de l’union des Ecrivains Congolais section de Kolwezi (UECO, de 1995-1999), président de la ligue des droits du Malade LDM asbl/Lubumbashi (2002-2010), Gestionnaire de la clinique CMDC (2010-2018), il est aujourd’hui Directeur en charge, notamment, du Management de la qualité des soins et de la sécurité des patients du CMDC (depuis juin 2018)
Bibliographie
[1] Société Nationale d’Electricité
[2] Les médicaments sans les méfaits. Genève : Organisation mondiale de la santé ; 2017(WHO/HIS/SDS/2017.6). Licence : CC BY-NC-SA 3.0 IGO.
[3] La 2ème édition augmentée de cet ouvrage vient de paraitre aux éditions Talenta de Lubumbashi