Du 27 mars dernier Goethe-Institut a organisé, à l'Institut français de Kinshasa, le tout premier spectacle de son projet Fluss im Bauch | Fleuve dans le ventre. Devant un public attentif, des acteurs ont joué une pièce théâtrale tirée du livre "Fluss im Bauch/Fleuve dans le ventre", notamment pour raconter les stigmates de la colonisation. Joint par ACTUALITE.CD, Carina Riedl, metteur en scène, explique les à-côté de ce spectacle qui vise à changer l'image de l'Afrique poste-coloniale, en général.
Pourquoi avoir choisi ce livre?
Parce Fiston Mwanza Mujila est un auteur intéressant de sa génération. Il connait les réalités de vie d'au moins deux continents, les langues; les religions; les façon de penser et d'agir des gens qu'on peut y trouver. Le livre "Entre" est choisi car ce n'est pas quelque chose que l'on endure passivement mais qu' on élève à une stratégie de vie active, incarné.
Comment adapter un tel livre de poésie en théâtre sachant qu'elle n'a pas de fin?
Ce texte ne veut pas raconter une histoire mais décrire une expérience de base. À savoir celui du livre "Entre", Fiston a choisi la forme de fragments condensés des éclats. La mise en scène représente une tentative d'opérer dans un espace entre les genres, les langues, entre les mondes de l'expérience et les espaces de vie. L'essence de ce projet et de laisser ces langues se relier les une aux autres de les mettre en fleuve et de traquer les sous courants.
Comment se sont déroulées les six semaines de création avec ce mélange des nationalités dans l'équipe?
Nous nous rendions tous ensemble dans notre salle de répétition du centre culturel M'eko pour y développer la production. L'objectif était d'avoir un échange aussi complet que possible, avec les performeurs , sur la façon dont les différentes perspectives sur les textes peuvent être reliées entre elles. Ensuite nous avons développé des blocs de construction scéniques où les joueurs se rencontraient souvent de manière plus intensive dans différentes constellations de deux personnes. Parties de danse, corps et mouvement avec l'ensemble ont joué un rôle important. L'expérience a montré qu'il n'y avait aucun besoin de traduction par rapport aux malentendus ou besoin d'explication dû aux mélanges des langues de travail, français, lingala, polonais ou de la rencontre des disciplines des genres très différents.
Que représente le fleuve dans le ventre pour vous ?
D'une part, Fiston se réfère naturellement au vrai fleuve Congo, en tant qu' artère routière principale source de nourriture et moyen de substance de tant de Congolais. D'autre part, l'auteur le titre dans un sens métaphorique: fleuve comme une image pour créer un canal entre son propre intérieur ( ventre) le flux comme symbole de la production artistique pour le droit de dire "je" et d'exprimer ce "moi". Aussi déchirant et contradictoire soit-il. La lutte pour cela est de relier tous les peuples de la planète .
Dans les différentes salles, des publics très différents sont venus. Alors que l'Institut français représentait principalement la scène artistique et culturelle de la ville, des gens du quartier sont également venus à M'eko. Rien ne m'a plus réjouie que le fait que les femmes du stand de légumes du coin aient franchi le seuil, accepté notre invitation et donné une chance à notre projet.
Croyez-vous au changement et surtout à l'amélioration de la vie ici à Kinshasa ?
Il m’arrive d‘être utopiste, rêveur et exagérément optimiste. Le poète en moi croit au changement. Mais le changement ne tombera pas du ciel. Le changement n‘est pas une marchandise qu‘on pourrait se procurer dans la première boutique. Il doit commencer dans les deux sens: par le haut et par le bas. Les autorités politiques, religieuses, universitaires et nous autres citoyens ordinaires, tout un chacun doit mettre la main à la pâte. Le changement exige un cadre et une vraie volonté. Le progrès social à Kinshasa ou à l’intérieur du Congo n’est possible que si les institutions qui régissent le pays fonctionnent correctement. C’est ce que le Congolais lambda attend depuis des siècles.
Pour l'auteur quel a été l'élément déclencheur de la rédaction de son livre?
La distance... Il me fallait être loin du pays natal pour lui parler en toute sincérité. Le Fleuve dans le Ventre est une cartographie personnelle. Un chant. C‘est aussi un livre de deuil... Mon propre deuil. Mes funérailles... Je vivais comme écartelé entre le Congo et l‘Autriche. Ces deux mondes semblaient inconciliables en moi. Et le Congo avec son fleuve faisait déborder la vase. Le processus d‘écriture m‘avait permis, en son temps, de défenestrer le mal du pays.
Que représente le fleuve dans le ventre pour lui?
Tout le monde a un fleuve dans le ventre. Tout est de faire du fleuve un lieu d‘espérance. Le fleuve Congo fait la fierté du pays. Il est dans le même temps un gâchis car on l‘exploite pas suffisamment. Je ne parle pas du barrage Inga mais de l‘industrie touristique en rapport avec le fleuve... On évoque sans frein les minerais mais l'Homme congolais et la nature (le bassin hydrographique, les forêts,...) sont les véritables richesses de ce pays. Le fleuve dans le ventre est un appel à comptabiliser l‘espérance, à la traquer au besoin, puisqu’il faudrait commencer par quelque chose.
Que pense-t- il de cette adaptation?
Je n‘ai pas encore assisté au spectacle. Je le ferai à Vienne et Mannheim. Mais je suis en dialogue permanent avec la metteure en scène, Carina Riedl. Nous nous sommes rencontrés plus d‘une fois afin de parler de vive voix du projet. Je connais personnellement et j’ai de l’estime pour les artistes qui jouent dans le spectacle. Ma curiosité demeure. Je me réjouis déjà de la tournée...
Fleuve Dans Le Ventre est un projet performatif entre danse, poésie, théâtre, musique et vidéo, basé sur le poème éponyme de l'auteur congolais Fiston Mwanza Mujila, qui rencontre un succès international. Ce projet est produit par le Goethe-Institut de Kinshasa. L'objectif du projet est d'étudier et de déconstruire la métaphore coloniale du fleuve Congo, comme incarnation d'une " Afrique sauvage, indomptée, inconnue ", pour aboutir à une réinvention du "fleuve" comme symbole d'une puissance créatrice, d'un canal entre le moi profond et le monde extérieur, et du droit à dire "Je".
Les prochains spectacles sont prévus le 25 et le 26 juin à Schauspielhaus Vienna.