De l’insécurité dans l’Est de la RDC à l’instruction des poursuites judiciaires contre les auteurs des nuisances sonores à Kinshasa en passant par la libération de l'ex-président gabonais Ali Bongo Ondimba et sa famille; la semaine qui vient de s’achever a été riche en actualités. Retour sur chacun des faits marquants avec Catherine Lukadi.
Bonjour, madame Catherine Lukadi. Pouvez-vous nous parler brièvement de vous ?
Catherine Lukadi : Je suis licenciée en sciences économiques et de gestion, entrepreneure et responsable d'une entreprise spécialisée dans la transformation des produits alimentaires.
Cela fait maintenant plus de 100 jours que la ville de Goma est sous contrôle de l’AFC-M23. Comment percevez-vous ceci ?
Catherine Lukadi : C’est une situation dramatique et profondément préoccupante. Le fait que Goma, une ville stratégique, soit toujours entre les mains d’un groupe armé soutenu par des forces extérieures, illustre à quel point notre souveraineté nationale est bafouée. C’est aussi le signe d’un grave échec politique et militaire.
Plusieurs témoignages évoquent une ambiance marquée par la peur et la précarité extrême. Quel rôle d’alerte ou de médiation, la société civile à Kinshasa peut-elle encore jouer à distance dans cette crise persistante dans l’Est ?
Catherine Lukadi : La société civile à Kinshasa doit continuer à jouer son rôle de vigie. Même à distance, elle peut alerter l’opinion nationale et internationale, organiser des actions de plaidoyer, faire pression sur les autorités et exiger une réponse concrète. Le silence ou l’indifférence serait une complicité passive.
Les autorités rebelles ont présenté 280 personnes arrêtées, dont 18 militaires dans l’Est. Pensez-vous que ce type d’opération peut être mené dans le respect des droits fondamentaux ?
Catherine Lukadi : Il est très peu probable que de telles arrestations, dans un contexte de guerre et sous un pouvoir non reconnu, soient menées dans le respect des droits humains. Sans un cadre juridique légitime et des garanties judiciaires claires, il y a un grand risque d’abus, de détentions arbitraires et de traitements inhumains.
Quelles garanties doivent être exigées pour éviter les abus lors de telles opérations dites de « bouclage » ?
Catherine Lukadi : Il faut impérativement exiger la transparence, l’accès aux détenus par des observateurs indépendants, notamment la Croix-Rouge et les ONG des droits humains, ainsi qu’un suivi judiciaire encadré par des normes internationales. Toute opération sécuritaire doit respecter la dignité humaine, sans discrimination ni violence gratuite.
À Kinshasa, une instruction du ministre Constant Mutamba appelle à poursuivre les auteurs de nuisances sonores. Comment réagissez-vous à cette décision ?
Catherine Lukadi : L’initiative part d’une bonne intention, mais elle doit être appliquée avec discernement et équité. La lutte contre les nuisances sonores est légitime, mais il faut éviter que cela ne devienne un outil arbitraire pour réprimer certaines couches de la population ou étouffer la liberté d’expression.
Une étude récente de l’Institut Ebuteli met en lumière la corruption dans le processus électoral de 2023. Quelle est votre réaction face à ces révélations ?
Catherine Lukadi : C’est choquant mais malheureusement pas surprenant. Cela confirme les soupçons de nombreux observateurs sur le manque de transparence du processus. Il est urgent de réformer notre système électoral et de garantir l’indépendance de la CENI si nous voulons restaurer la confiance des citoyens dans la démocratie.
L'ex-président gabonais Ali Bongo Ondimba et sa famille ont été libérés et sont arrivés à Luanda. La nouvelle intervient cinq jours après la sortie de prison de l’épouse d’Ali Bongo, Sylva, et son fils, Noureddin. La famille était détenue depuis le coup d’État mené par le général Brice Clotaire Oligui Nguema en 2023. Comment percevez-vous leur libération ?
C’est un geste politique fort qui pourrait marquer une volonté d’apaisement au Gabon. Mais cela ne doit pas faire oublier les responsabilités que cette famille porte dans la crise institutionnelle et économique du pays. La libération ne doit pas signifier l’impunité.
Pensez-vous que cela pourrait influencer la manière dont les transitions politiques sont gérées en Afrique centrale, notamment au Congo ?
Catherine Lukadi : Oui, chaque transition est scrutée par les autres régimes. Si des figures corrompues échappent à la justice, cela peut encourager l’impunité ailleurs. Mais à l’inverse, une gestion inclusive et transparente de la transition pourrait inspirer d’autres pays à suivre cette voie pacifique.
Plus de trois ans après le début de l'invasion russe de l'Ukraine, des délégations russe et ukrainienne se sont retrouvées le 15 mai, à Istanbul, pour des pourparlers de paix directs. Quels obstacles majeurs pourraient freiner selon vous les avancées des pourparlers de paix ?
Catherine Lukadi : Le principal obstacle reste la méfiance entre les deux parties et l'absence de garanties internationales solides. Il y a aussi les intérêts géopolitiques divergents des grandes puissances qui soutiennent chaque camp. Sans une réelle volonté politique et des concessions, la paix restera difficile à atteindre.
Quel regard portez-vous sur le rôle que peut jouer l’Afrique dans la promotion de la paix dans les conflits internationaux ?
Catherine Lukadi : L’Afrique a un rôle croissant à jouer, non seulement en tant que médiatrice dans certains conflits, mais aussi en promouvant un modèle de résolution basé sur le dialogue, la justice et la mémoire. Cependant, cela suppose une diplomatie plus affirmée, une unité continentale et des institutions panafricaines fortes.
Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka