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Le pays dispose de tous les atouts pour réussir et constituer un pôle de croissance mais aussi de stabilité régionale : une terre riche propice à la culture et dotée de ressources en hydrocarbures abondantes, une population jeune (près de la moitié de ses 85 millions d’habitants a moins de 20 ans), une relative stabilité politique dans un environnement général des plus instables. Cette terre d’immenses opportunités de bonheur collectif s’appelle la République Démocratique du Congo – un pays aujourd’hui gagné par l’incertitude sur l’avenir, juste après les élections présidentielle et législatives.
La controverse autour des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, son dénouement et les premières semaines de « l’alternance civilisée », déjà marquées par une cynique guerre de tranchées entre les « partenaires de l’alternance civilisée », semble conduire à une « impasse » politique.
Depuis le 14 mars 2019 à Nairobi, au Kenya, en marge du « One Planet Summit », où le Président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a reçu du président français, Emmanuel Macron, le fameux conseil de sortir de la dépendance de Joseph Kabila, la RDC est quasiment en situation de crise ouverte. Dorénavant, Félix Tshisekedi, à la tête de la coalition « Cach » qui souffre d’un déficit de majorité dans les assemblées parlementaires, se trouve au pied du mur : d’une part, son partenaire FCC, fort de sa majorité numérique au parlement, exige une plus grande part du gâteau dans le partage du pouvoir et, d’autre part, la « base de l’UDPS » reprend la rue et commence à manifester violemment pour réclamer la rupture avec « le nouveau partenaire politique Joseph Kabila », donnant ainsi écho au conseil du président Macron.
Le deal Tshisekedi-Kabila, sous-produit d’une crise structurelle
Il est bien sûr impossible, en pleine crise, alors que les informations sont partielles, contradictoires et largement instrumentalisées par les différents protagonistes, de prétendre démêler l’écheveau d’une situation politique chaotique. On ne peut que rappeler rapidement les différentes hypothèses en présence.
Les manifestations de contestation des élections sénatoriales, au travers desquelles, les acolytes de Joseph Kabila, honnis par le peuple, se sont racheté une « immunité parlementaire » au nom d’une « alternance pacifique et civilisée » qui renouerait insidieusement avec l’ancien régime et ses pratiques (corruption, clientélisme, prédation, etc.), ont bien évidemment surpris par leur ampleur, leur violence et leur forte charge symbolique.
Dans la peur, Félix TSHISEKEDI a choisi la suspension anticonstitutionnelle du processus électoral en cours. Dorénavant, si « la base de l’UDPS » sait comment faire chanter son Président, le « partenaire politique », lui-même, de par le deal qu’ils ont conclu, possède certainement des moyens de chantage.
Quelle que soit l’origine factuelle de ce qui se joue aujourd’hui, et par-delà les manipulations politiques immédiates, cette crise exprime en fait l’éclatement de tensions historiques qui pourraient très vite dégénérer en guerre civile. Les évènements renvoient d’abord, et en premier lieu, à une grave crise de légitimité du politique, qui n’a pas su répondre aux multiples défis d’un pays qui, sans discontinuer, poursuit sa descente aux enfers depuis les années 1980.
Comment sauver ce pays, en conscience que la décision de l’ancien Président Joseph Kabila et de ses comparses de continuer à contrôler le pouvoir, est « porteuse de tous les dangers mettant en péril l’avenir de la République Démocratique du Congo en la condamnant à l’effondrement », voire même « la dislocation ».
Le salut peut venir d’un Premier Ministre d’expérience et de grande sagesse, qui se mettrait au service des attentes réelles et des intérêts stratégiques du peuple congolais, sans verser dans le jeu diabolique de « neutralisation du nouveau Président » pour « préparer le retour au pouvoir de l’ancien Président ».
Qui peut être ce Premier Ministre ? Voici quelques profils… : leurs atouts et leurs faiblesses respectifs :
- Albert Yuma Mulimbi. Difficile de savoir s’il est homme d’affaires ou homme aux affaires ! Sans être « Patron d’entreprise », il est, depuis fin 2004, président d’une Fédération des entreprises du Congo où les entrepreneurs congolais se comptent sur le bout des doigts. Depuis 2010, il est président de la Gécamines. Wikipédia affirme qu’à la tête de la Gécamines, il est critiqué pour ne pas avoir assuré la relance promise de l'entreprise. Ses détracteurs l'accusent d'être le prête-nom du président Joseph Kabila pour dissimuler de l'argent détourné dans les paradis fiscaux. Il est assimilé au « clan des Katangais » qui règne sur le pays. Il est également un proche de Dan Gertler, sulfureux homme d'affaires israélien. En février 2016, face aux dérives des dirigeants de la Gécamines, ses ouvriers se soulèvent pour demander la démission d'Albert Yuma. A un moment aussi éminemment politique, l’homme d’affaires Albert Yuma sera-t-il l’homme aux affaires de la République et du peuple ou l’homme aux affaires particulières de Joseph Kabila ?
- Henri YAV Mulang. En 2005, Yav est nommé directeur de cabinet adjoint du ministre congolais de l’Industrie et des PME. En 2006, il est administrateur délégué de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Fin janvier 2009, il est nommé Directeur de cabinet adjoint à la présidence de la République chargé des questions économiques. Et depuis le 8 décembre 2014, il est ministre des Finances. Discret, humble, Yav a la réputation d’un homme intègre, tout le contraire d’Albert Yuma. Son plus grand défaut est son apolitisme. Et justement, d’aucuns pensent que Joseph Kabila compte utiliser son image d’homme intègre et sérieux, tout en s’appuyant sur son amateurisme politique pour gouverner à sa place, à partir de Kingakati.
- Aubin MINAKU NDJALANDJOKO. Chef de travaux de la faculté de droit de l’université de Kinshasa, Aubin Minaku a été proclamé le samedi 23 décembre 2017, docteur en droit avec mention « la plus grande distinction » à l’issue de la soutenance de sa thèse intitulée À la recherche d’un mécanisme efficient de poursuite et de répression des crimes internationaux perpétrés en RDC. Depuis le 12 avril 2012 il est élu président de l’Assemblée nationale. Il est de Bandundu et au vue de son expérience politique, il présente sans nul doute un profil intéressant pour assumer les fonctions de Premier Ministre de paix et de consensus entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila. Mais depuis le 22 février dernier, les Etats-Unis d’Amérique l’ont publiquement sanctionné, en raison de son implication dans une corruption importante liée au processus électoral. Difficile pour Tshisekedi d’accepter un « Premier Ministre » traînant cette image internationale de « corrompu ».
- Emmanuel Ramazani Shadary. Ancien ministre de l'intérieur, actuel Secrétaire permanent du PPRD mais surtout candidat malheureux du parti de Joseph Kabila à l’élection présidentielle, Emmanuel Ramazani Shadary est l’homme au profil idéal pour assumer, en ces moments troubles, les fonctions du Premier Ministre. Quelle belle image de réconciliation nationale que de retrouver au sommet de l’Etat les deux anciens candidats présidentiels : l’un Président de la République et l’autre Premier Ministre ! Et quoi de plus normal que le chef du plus grand parti politique majoritaire à l’Assemblée nationale et au Sénat, soit le patron de l’exécutif national ! Pour des raisons d’intérêt supérieur de la nation, Félix Tshisekedi et Joseph Kabila peuvent-ils passer outre les sanctions de l’Union Européenne qui frappent Emmanuel SHADARY, pour offrir à la RDC cette intéressante opportunité de gouvernance dans la stabilité politique et la paix ? Est-ce que l’Union Européenne ne pourra-t-elle pas, au regard de cette éventualité, revenir sur ses sanctions ? En tout état de cause, Emmanuel Ramazani Shadary, chef du PPRD, présente des atouts indéniables de l’homme de la situation.
- Martin FAYULU MADIDI. Incontestablement, Martin FAYULU, en croisade internationale pour la « vérité des urnes », remplace peu à peu le rôle que jouait Etienne TSHISEKEDI WA MULUMBA dans le microcosme politique congolais. Pour la communauté internationale, seul lui peut libérer Félix TSHISEKEDI de la dépendance vis-à-vis de Joseph Kabila. Si le fils d’Etienne TSHISEKEDI fait preuve de courage politique en se retournant vers Martin Fayulu, son ancien compagnon de lutte, pour la première fois, la RDC aura un gouvernement populaire, parce que deux hommes les plus populaires du pays seront au sommet de l’Etat. Mais cette perspective représente pour Joseph Kabila et ses adeptes le cas de figure qu’ils ne peuvent nullement tolérer. Dommage pour le pays, d’autant plus que les pays signataires de l’accord d’Addis-Abeba et surtout le Président UHURU du Kenya militent tous pour cette option de réconciliation nationale et de stabilité politique : Tshisekedi Président et Martin Fayulu, Premier Ministre !
- Docteur Denis MUKWEGE. « L'homme qui répare les femmes », Prix des droits de l'homme des Nations unies en 2008, Prix Sakharov en 2014 et en 2018, à l’âge de 59 ans, Prix Nobel de la paix, le docteur MUKWEGE est la fierté du Congo et la hantise de Joseph Kabila. La République et Félix TSHISEKEDI ont tout intérêt qu’un homme d’une telle envergure devienne Premier Ministre de salut public ! Mais aussi, Joseph Kabila et ses acolytes, qui craignent des éventuelles poursuites judiciaires internationales pour leurs implications supposées dans les différents théâtres de guerre qui endeuillent la RDC, ont tout à craindre que le docteur Denis MUKWEGE prenne la tête du gouvernement de la République. Quoi qu’il en soit, le docteur Denis Mukwege représente une immense chance pour la RDC de se reconstruire et reconstruire son prestige international perdu.
- Didier MUMENGI. Elu Sénateur après 18 ans de silence politique, cet ancien « ministre de guerre » et « fils spirituel » de Laurent Désiré Kabila aura été la plus grande surprise de ce processus électoral. Erudit, penseur respecté aussi bien dans le pays qu’en Afrique, cet écrivain prolifique, célèbre Ministre sous le règne de Laurent Désiré Kabila, a subi dans le silence et la sagesse le martyr de ses anciens compagnons. On l’a vu traversé Kinshasa à pieds, allant donner cours au CADICEC, chez les jésuites. On l’a vu humilié, déguerpi comme un va-nu-pieds de la maison d’Etat qu’il occupait… Mais comme ses autres amis martyrisés après le décès de Laurent Désiré KABILA, à l’instar du docteur SONDJI et les autres, Didier MUMENGI a résisté en se reconstruisant par les livres et le métier de formateur en management et communication. Martin Fayulu a transformé son « Livre bleu » en projet de société pour sa campagne présidentielle. Bien que très proche de Martin Fayulu, il est l’ami de Vital Kamerhe comme il conserve des relations d’amitié et même de fraternité avec certains proches de Joseph Kabila. Son parcours de penseur, d’acteur politique de convictions, d’homme de droiture ainsi que son passé de vaillant résistant, donnent à penser qu’il peut être l’homme de la situation en tant que premier ministre intellectuel, au moment où la classe politique congolaise a besoin de se réconcilier avec l’intelligence, le bon sens et la droiture.
La Rédaction