Démocratie du ventre: Les députés congolais face à l’argent – Tribune du Prof. Tshitende Kaleka

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L’amendement proposé à l’Assemblée Nationale par le député Delly Sesanga de réduire les émoluments des élus nationaux et son rejet à l’unanimité par l’assemblée plénière de l’institution législative de notre pays ont révélé au grand jour les raisons pour lesquelles l’on fait la politique en République Démocratique du Congo : c’est pour l’argent, c’est pour s’enrichir ! C’est ce que d’aucuns ont appelé  « ventrocratie » ou « démocratie du ventre » et que l’on peut définir comme régime politique où règne une minorité animée par des intérêts égoïstes.  Et tout le monde peut remarquer que, s’il est un point où, à l’Assemblée Nationale, il n’y a ni majorité ni opposition, c’est le point qui concerne les émoluments des honorables députés. Car là, il n’y a ni FCC, ni LAMUKA, ni CACH : là tous parlent un même langage et ont tous un même point de vue : « Touche pas à mon argent » !

Il n’est pas difficile de comprendre dans ce contexte pourquoi en RDC il y a un tel engouement pour la politique et pourquoi tout le monde veut faire la politique : c’est uniquement pour gagner de l’argent et pour s’enrichir, car la politique est le lieu de l’argent facile, le boulot où l’on s’enrichit facilement du jour au lendemain. On ne s’étonnera pas dans un tel contexte que, pour l’argent, nos politiciens sont prêts à tout faire. Aussi deviennent-ils facilement corruptibles, corrompus et corrupteurs. Les récentes élections des sénateurs en sont une preuve éloquente. Mais, en soi l’argent est-il mauvais ? Doit-on faire la politique « pour rien », sans être rémunéré ? Pour tenter de répondre à ces questions, retournons aux origines de la « polis » dans la cité grecque.

Dans la Grèce antique d’où nous vient le terme « politique » comme mot et chose, la politique était une activité réservée aux « hommes libres », ceux qui, ayant déjà satisfait aux nécessités de la vie et des choses domestiques, avaient enfin le temps de se consacrer aux « choses de la cité », aux affaires publiques. Les citoyens sont ceux qui viennent sur la place publique, « l’agora », pour prendre la parole, discuter et débattre librement des questions de la cité, c’est-à-dire des questions d’intérêt général. C’est pourquoi, dans la Grèce antique, les femmes et les esclaves n’étaient pas considérés comme des citoyens.

Dans la cité, parmi les autres, c’est autant par son action que par sa parole que l’on se distingue des autres. Autrement dit, pour résumer la pensée de Hannah Arendt, l’action est l’activité spécifiquement politique. Et qui dit action implique également parole, car l’homme est un être politique en tant qu’il est un être doué de parole. Ainsi donc, dans la cité, ce sont ses paroles et ses actions qui font et caractérisent un homme politique. Ces paroles et ces hauts faits sont toujours pour le bien et le bonheur de la cité et des autres. C’est d’ailleurs à cause de la fragilité constatée de l’action humaine que les grecs ont fondé la polis comme lieu d’immortalisation de ce qui est par essence fragile et éphémère. En d’autres, l’on faisait la politique pour l’honneur, pour s’immortaliser, pour ne pas s’effacer de la mémoire collective même après sa mort, pour que, de génération en génération, l’on se souvienne de belles paroles prononcées et de belles actions posées pour le bien et le bonheur de la cité, de ses concitoyens. Voilà pourquoi les grecs érigeaient des monuments à la gloire de leurs héros.

Dans la cité athénienne, la politique est le domaine de la liberté et de l’honneur, c’est la raison pour laquelle politique et argent n’y font pas bon ménage. En effet, la politique est l’affaire des citoyens tandis que « les affaires » ainsi que tout ce qui touche à l’argent et à la survie est du domaine des métèques, des étrangers. Au contraire, dans les formes prémodernes d’Etat, politique et argent deviennent intimement liés car c’est l’autorité qui possède les richesses et les terres et les distribue selon son bon vouloir. C’est elle qui prélève les taxes et perçoit l’impôt. Mais la construction progressive du système démocratique comme mode de gestion de la « res publica » va éliminer, au moins en principe, l’argent comme clé d’accès au système politique. Parce que l’Etat est composé de l’ensemble de tous les citoyens, seule la citoyenneté et le vote qui lui est lié devient le fondement unique d’accès à l’Etat. Au nom de l’égalité des citoyens, ni la naissance, ni la race, ni la religion, ni la fortune ne peuvent justifier de discriminations entre les membres de la communauté. Michaël Walzer résume ces principes quand il écrit : « Les citoyens entrent dans le forum politique exclusivement avec leurs arguments ; tous les biens non politiques – armes et portefeuilles, titres et grades – doivent être laissées au vestiaire » (Cité par Yves Menny, La corruption de la République, Paris, Fayard, 1992, p.87).

Ces considérations, si elles relèvent plus de l’idéal que de la réalité, ont au moins l’avantage de nous dire que le domaine politique est le domaine des valeurs. L’argent ne peut être ni une fin de la politique ni un mode d’accès aux fonctions politiques. On ne fait pas la politique pour s’enrichir, n’en déplaise à ceux qui prétendent que les députés doivent être mieux rémunérés parce qu’ils ont de lourdes charges à supporter. C’est le propre des pays pauvres où l’on pense que l’homme politique en général et le député en particulier ont le devoir d’aider leur famille élargie, leur clan, leur communauté d’origine. On se base ainsi sur le principe de solidarité clanique qui par extension devient aussi politique et financière. Constitutionnellement, le rôle du Parlement est de voter les lois et de contrôler l’action du gouvernement. Ce n’est pas le rôle du député de construire des ponts ou des écoles… Il y a des structures étatiques qui doivent s’en occuper.

Toucher environ 13.000 dollars par mois dans un pays où un militaire et un enseignant ont à peine 100 dollars par mois est tout simplement injuste et immoral. Nous sommes d’avis que la diminution des émoluments des honorables députés et des autres politiciens (sénateurs, ministres, gouverneurs, etc.) permettra de nettoyer l’espace politique congolais en décourageant tous ceux qui y viennent non pour servir le peuple mais pour remplir leurs poches et leurs ventres. « Il y a de la honte à être heureux tout seul ». La classe politique congolaise doit se convertir à la morale et à l’éthique.

Augustin TSHITENDE KALEKA

Docteur en philosophie

Professeur à l’Université Pédagogique de Kananga