L’association Femmes Solidaires lutte contre toute forme de marginalisation et discrimination à l’égard des femmes qui souffrent d’infertilité et de stérilité, depuis 2015, au Sud Kivu. Souvent victimes de toutes sortes de violences du fait de leur condition, les femmes ont du mal à s’exprimer autour de ce qui les affecte le plus. Sandrine Kashara et son organisation militent pour libérer la parole et donner un peu plus de dignité à ces femmes. Dans cet entretien, elle revient sur les souffrances silencieuses de nombreuses Congolaises qui se rendent dans son association.
Pouvez-vous nous dresser un tableau de la situation d’infertilité dans le Sud-Kivu où vous travaillez ?
La situation de stérilité ou d’infertilité est considérée comme un handicap. Un handicap parce que les hommes et les femmes stériles le vivent très mal. Du point de vue social, il faut perpétuer l’humanité, c’est ainsi que les personnes en âge de procréer sont harcelées par leur entourage. En dressant le tableau, j’ai constaté qu’il y a plusieurs sortes d’infertilité. C’est une thématique complexe et vaste, il existe de nombreux cas et de nombreuses situations pour définir cette infertilité. La communauté, en général, perçoit cela comme une malédiction et cela conduit souvent les couples au divorce. L’infertilité apporte avec elle un lot de problèmes : la polygamie, les séparations… Ici, chez nous, l’infertilité est vécue comme un drame. Il s’agit d’un problème réel de société qui était ignoré. C’est la raison de l’existence de notre structure. Quand nous avons commencé avec notre association “Femmes solidaires” , nous n’imaginions pas l’étendue du problème.
Votre structure milite contre les idées reçues et autres stéréotypes. Pouvez-vous nous en citer quelques-uns et les moyens dont vous disposez pour lutter ?
Nous faisons face à beaucoup de rejets. Le rejet de la belle famille, le rejet de la société, il y a les fausses accusations concernant les avortements, la prostitution, etc... C’est une forme de marginalisation absolue, du coup la femme se culpabilise et bloque énormément de choses l'empêchant de participer à de nombreuses activités dans la société. Au niveau de l’héritage, en cas de décès du mari, la femme ne bénéficie de rien, elle est chassée même si les deux partenaires s’étaient mariés sous le régime de la communauté des biens. La société qualifie souvent ces femmes de sorcières. Les autres femmes ont peur de vous confier leurs enfants. Il y a des paroles, des attitudes et tout le monde vous rend coupable de la situation.
Pouvez-vous nous en citer les moyens dont vous disposez pour lutter contre cette situation ?
Le fait même de créer cette association pour briser le silence, c’était surtout pour lutter contre les stéréotypes. Au sein de notre organisation, nous donnons aux femmes la possibilité de s’exprimer, partager, témoigner, c’est une forme de thérapie. Les femmes qui traversent ces moments ont tendance à se replier sur elles-mêmes. Quand elles arrivent chez nous et qu’elles trouvent d’autres femmes qui ont vécu des situations similaires, elles se sentent à l’aise et la parole se libère. Nous avons des réunions, des moments d’échange, et nous avons même un groupe Whatsapp pour rester en contact. L’organisation est là pour accompagner ces personnes. Dans notre organisation, il est question de donner aux femmes l’affection dont elles ont besoin. Nous organisons des conférences au cours desquelles nous invitons des médecins, des sociologues, des défenseurs des droits de l’Homme. Souvent, on incrimine la femme, mais lors de nos conférences nous insistons sur le fait que les causes peuvent être multiples. Nous travaillons en partenariat avec le Dr Mukwege. 1500 femmes se sont faites soignées à Panzi et d’autres au Sky Born, chez le Dr Patrick Murhula. La raison d’être d’une femme ne se résume pas seulement à la maternité, c’est aussi ça le message que l’on essaie de faire passer. Nous avons également mis en place un service d’accompagnement juridique.
Que vous disent les femmes qui viennent auprès de vous ? De quoi souffrent-elles le plus ? Pression sociale ? Désolidarisation du conjoint ? Regard des autres ?
Les femmes quand elles viennent, elles me remercient d’avoir créé cette association. Elles me disent que la stérilité va à l’encontre de la société humaine. Certaines préfèrent mourir face à toute la pression à laquelle elles sont confrontées. Je peux résumer en disant qu’elles souffrent de tout.
Comment se comportent la société face à ce problème ?
La société congolaise rejette la faute à la femme et réagit très mal. On tolère que la femme soit violée ou qu’elle trompe son mari pourvu qu’elle couvre la honte de sa famille. La société enfonce et aggrave la situation de la femme. On considère que la femme stérile ou infertile est une femme à abattre, qui n’a pas le droit d’exister, elle ne parlera que le jour où elle sera dans la mesure de donner un enfant à son mari.
Pouvez-vous nous expliquer de manière détaillée les programmes dont dispose votre structure pour accompagner les femmes ?
Nous avons plusieurs programmes. Il y a d’abord le programme d’assistance sociale aux femmes souffrant d’infertilité pour autonomiser les femmes. Malheureusement, nous n’avons pas de financement, nous fonctionnons avec des contributions volontaires. Nous renforçons celles qui ont déjà un capital. Nous appuyons les femmes infertiles qui sont nécessiteuses. Nous avons un grand programme d’assistance sanitaire, nous oeuvrons en partenariat avec les hôpitaux. Nous aimerions créer un centre spécialisé pour les femmes atteintes d’infertilité ou tout autre type de pathologie.
Quelles seraient vos recommandations ?
Nous voulons faire passer un message: les femmes sont victimes de cette situation et méritent le soutien de tout le monde. Aux autorités, nous demandons de créer des institutions sanitaires pour l’assistance spécifique pour ces femmes. Aux femmes qui traversent cette situation, ne pas avoir d’enfant ce n’est pas la fin du monde, il faut rester positive et ne pas s’auto-détruire. Il faut que toutes ces femmes gardent espoir et qu’elles restent solidaires. Nous incitons les couples qui traversent cette situation à penser à l’adoption.
Propos recueillis par Kudjirakwinja Nabintu