Le FCC se mue en plateforme de gouvernement, rien ne change à la donne : le prescrit constitutionnel demeure 

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Aujourd’hui, nous vous proposons cette tribune du Professeur Christian Kabange Nkongolo

Le 20 février dernier, les regroupements politiques membres du Front Commun pour le Congo (FCC) se sont retrouvés autour de l'ex-Président Joseph Kabila, autorité morale de cette plateforme. Au cours de cette réunion, les leaders de ces regroupements ont, d'une part, renouvelé leur allégeance à ce dernier et, d'autre part, décidé que la coalition électorale FCC se muait en plateforme de gouvernement. Quelles sont alors les implications que pareille mutation pourrait avoir dans le processus de nomination du prochain Premier ministre et de formation d'un gouvernement de coalition au regard de l'article 78 de la Constitution ?

La nuance entre coalition électorale et coalition de gouvernement a déjà été mise en exergue dans notre tribune précédente. On ne saurait donc y revenir ici, sinon simplement observer, par exemple, que la coalition électorale LAMUKA tend déjà à se désintégrer, à en croire les dernières déclarations des honorables Kyungu wa Kumwanza et Lutundula Apala. Quant à la mutation du FCC, il convient de rappeler ici avec insistance que le formalisme qui prévaut dans la configuration actuelle de l'Assemblée nationale fait en sorte que la donne ne change pas. Même lorsqu'une coalition électorale se reconvertit en coalition de gouvernement, la désignation d'un informateur reste nécessaire et opportune, du moins dans le contexte congolais.

Cette nécessité est avant tout le fait de la Constitution elle-même dans la mesure où, et on l'a répété à plusieurs reprises, il s'agit d'un prescrit résultant de l'alinéa 2 de son article 78, toutes les fois que la majorité parlementaire doit se dégager au moyen d'une coalition. Il a déjà été souligné que le FCC n'était pas formellement membre de l'Assemblée nationale et que, par conséquent, sa majorité demeurait abstraite dès lors qu'aucun parti ni regroupement politique représenté au sein de cette dernière n'avait à lui seul la majorité absolue. Ceci a pour implication que l'alliance conclue au sein du FCC entre ses membres et son autorité morale en dehors du cadre parlementaire demeure une “res inter alios acta” jusqu'au moment où elle sera identifiée par l'informateur comme la coalition parlementaire majoritaire tel que le prévoit l'article 78 précité. Cependant, à la vue de l'évidence, certains pourraient penser qu'il s'agit là d'un exercice superfétatoire, loin de là ! En discutant de l'opportunité de la démarche, passer outre cette première étape, on le verra, ne répondrait pas à la logique d'un rapprochement entre la majorité présidentielle et la coalition parlementaire, du reste exprimée dans les déclarations des uns et des autres aussi bien au sein du FCC que du CACH.

S'agissant d'un prescrit constitutionnel, il convient ici de souligner avec insistance que contrairement à la pratique dans certains Etats (Belgique, Luxembourg...), la désignation d'un informateur ne relève plus en droit congolais d'une simple "coutume constitutionnelle" ou d'un simple usage politique. “Plus” et non pas “Pas” tout simplement parce qu'au regard des vestiges de l'histoire politique du Congo, on se souviendra qu'en date du 13 juin 1960 déjà, Patrice Emery Lumumba avait été désigné “informateur” avant d'être désigné ensuite “formateur", le 21 juin de cette même année, par le Ministre belge des colonies, Ganshof van der Meersch. On serait donc en droit de penser que cette démarche fut inspirée par la tradition belge, d'autant plus que la loi fondamentale du 19 mai 1960 ne contenait aucune disposition prévoyant cette procédure. Quarante-six ans plus tard, l'approche semble avoir changé avec la consécration formelle du recours à un informateur dans le texte même de la Constitution promulguée le 18 février 2006. Sans vouloir spéculer, peut-être bien que ceux qui ont participé à l'élaboration de celle-ci devraient éclairer l'opinion publique sur la raison fondamentale ayant milité pour que l'option d'une telle formalisation soit levée. Qu'à cela ne tienne, procéder autrement à l'heure actuelle dans l'optique de la formation d'un gouvernement de coalition conduirait le nouveau locataire du Palais de la Nation à violer la procédure établie par la Constitution. Même s'il est vrai au bout du compte que la nomination du Premier ministre demeure un acte de haute portée politique et qu'en vertu de la vieille théorie des actes de gouvernement, il ne saurait être censuré sous l'angle du contentieux administratif, il ne demeure pas moins vrai que le Chef de l'Etat ne doit en aucun moment s'affranchir de l'obligation qui pèse sur lui de respecter la Constitution en tout temps, en témoigne la consécration de l'infraction de haute trahison pour violation intentionnelle de la Constitution à l'article 165 alinéa 1er de celle-ci. Les expériences précédentes des élections de 2006 et 2011 renforcent cette approche et prouvent bien à suffisance que même lorsqu’un accord de coalition majoritaire existe entre les partis et regroupements politiques, le Chef de l'Etat commence toujours par désigner un informateur. Les 30 septembre et 17 octobre 2006, l'Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP) signe successivement des accords avec le Parti Lumumbiste Unifié (PALU) et l'Union des Mobutistes (UDEMO) en vue de dégager une large coalition majoritaire, puis en date du 19 décembre 2006, Antoine Gizenga est désigné informateur. Le 5 avril 2011, l'AMP qui s'est muée en la Majorité Présidentielle (MP) adopte sa charte, puis, après les élections, Mwando Nsimba est désigné informateur le 8 mars 2012.

Si donc Joseph Kabila qui avait devant lui dans l'un et l'autre cas, l'évidence de l'existence d'une coalition parlementaire majoritaire acquise à son pouvoir, avait choisi de respecter la procédure établie à l'alinéa 2 de l'article 78, il n'y a évidement aucune logique qui justifierait aujourd'hui que l'actuel Chef de l'Etat puisse passer outre et violer ce prescrit constitutionnel, alors même qu'il est lui-même à la recherche d'une coalition parlementaire majoritaire. La nomination d'un informateur devient donc non seulement nécessaire, mais aussi opportune pour l'actuel Chef de l'Etat dans la mesure où, en l'absence d'une coalition entre sa famille politique et le FCC, il va se poser un problème quant au cadre formel qui consacre son rapprochement avec cette plateforme. Faudra-t-il par absurde considérer que Félix Tshisekedi et sa famille politique sont eux-aussi désormais membres de la coalition majoritaire FCC ?

Pour mieux comprendre l'absence de logique qui résulterait d'une tentative d'éluder la désignation d'un informateur, il convient de rappeler successivement la mission de ce dernier et celle du formateur :

  • L'informateur a pour mission d'identifier une coalition majoritaire au sein de l'Assemblée nationale. Pour ce faire, il recueille les informations auprès des partis et regroupements politiques en rapport avec leurs points de vue concernant la formation du gouvernement de coalition ;
  • Quant au formateur, il lui revient de parvenir à un accord de gouvernement qui implique, d’une part, les modalités qui serviront de base à la collaboration pendant toute la durée de la législature et, d'autre part, l’identification des personnalités qui occuperont les différents ministères.

Comment alors imaginer un rapprochement entre l'actuelle majorité présidentielle et la coalition du FCC s'il n'existe pas un accord de coalition plus large ou élargie entre les deux familles politiques comme ce fut le cas en 2006 (AMP-PALU-UDEMO) et 2011 (MP) ? Si l'on reste dans logique d'un rapprochement entre les deux, il est clair qu'il faudra bien un informateur pour identifier cette coalition plus large comme ce fut le cas lors des expériences précédentes. Ceci est d'autant plus vrai que, si le FCC décidait de s'imposer tout seul comme coalition majoritaire, on peut alors se demander quel sera le sous-bassement du cadre de collaboration politique pendant toute la législature, cadre que du reste le formateur aura la mission d'établir en l'absence d'un accord avec la majorité présidentielle sur le programme de gouvernement et l’identification des personnalités qui occuperont les différents ministères. L'incohérence d'une telle démarche traduirait en réalité la mise de la charrue avant les bœufs. Tout porte donc à croire que si l'actuel Chef de l'Etat et sa famille politique ne sont pas associés à la coalition parlementaire majoritaire de laquelle sera issue le prochain Premier ministre et son gouvernement, le rapprochement entre le CACH et le FCC ne représentera en fait qu'un masque de déguisement aux apparences d'une coalition, mais dont les effets seront bien ceux d'une cohabitation où presque tout est dicté au Chef de l'Etat. Il faut bien souhaiter que les choses n'aillent pas dans ce sens, sinon il sera bien difficile de faire prévaloir les idéaux de l'UDPS, chers au défunt Tshisekedi wa Mulumba.

Qui vivra verra !

Christian Kabange Nkongolo, est Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Kinshasa, Docteur en droit de l'Université d'Afrique du Sud et Membre du réseau de l'Institute for Gobal law and policy rattaché à la Harvard University.