« Les règles, ce n’est pas une malédiction. C’est juste la vie. On est fatiguées d’être stigmatisées » : les jeunes filles de Kinshasa parlent des menstrues

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Journée mondiale de l'hygiène menstruelle

À l’occasion de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, célébrée chaque 28 mai, le DeskFemme s’est rendue dans les rues de Kinshasa pour recueillir les témoignages de jeunes filles sur leurs expériences liées aux règles. Un moment de parole sur un sujet longtemps entouré de silence, voire de honte ou de tabou.

Assise sur un banc à la sortie de l’école à Lemba, Christelle Mwepu, 15 ans, raconte ses premières règles :

« J’avais 12 ans. Je suis allée aux toilettes et j’ai vu du sang. J’ai paniqué. J’ai pensé que j’étais malade ou que quelque chose de grave m’arrivait. Jai rapporté à ma mère. Elle avait juste dit : C’est normal, tu es une femme maintenant. Mais je ne comprenais rien. C’est à l’école, avec mes copines, qu’on a commencé à en discuter. On se partage des serviettes quand l’une oublie. On se protège entre nous. ».

Pour certaines, les règles signifient directement un repli sur soi, voire une interruption de leur scolarité. Naomi weloheko , 13 ans, élève dans une école de limite, se confie: « À l’école, il n’y a pas d’eau. Pas de savon. Les toilettes sont sales. Quand mes règles arrivent, je reste à la maison. Je rate les cours, mais je n’ai pas le choix. Parfois, les garçons se moquent. Si ta jupe est tachée, c’est la honte devant tout le monde ».

“Pourquoi doit-on avoir honte de ça ?”

Joëlle Mumbiyi, 17 ans, élève dans un lycée de Matete refuse les discours culpabilisants : « Les règles, ce n’est pas une malédiction. C’est juste la vie. On est fatiguées d’être stigmatisées. Pourquoi devrait-on les cacher ? Pourquoi ne pas en parler ouvertement ? On nous fait sentir qu’on est sales ou faibles. Moi, je veux qu’on m’écoute, qu’on m’explique, et qu’on respecte ce que je ressens », souligne-t-elle. 

Elle évoque aussi les douleurs qui accompagnent parfois ses règles :

« J’ai mal au ventre, je suis fatiguée, mais je dois faire comme si de rien n’était. Ni les profs, ni même certaines mères ne comprennent. »

Pour celles qui n’ont pas les moyens d’acheter des protections hygiéniques, l’ingéniosité devient une nécessité. Grâce Kaïko, 16 ans, habite à Selembao : « J’utilise du tissu propre que je lave après usage. Je fais attention, mais parfois, ce n’est pas suffisant. Et je ne peux pas en parler. À la maison, on n’achète pas de serviettes. C’est trop cher. Un paquet coûte plus de 3.000 francs congolais. Si j’en parle à ma tante, elle me dit de faire comme elle faisait : Prends un chiffon et tais-toi. »

Face à ces récits, le Dr Rachel Nsimba, gynécologue à Kinshasa, rappelle l’importance d’une éducation adaptée dès le plus jeune âge : 

« Les menstruations ne doivent plus être un sujet de honte. Tant qu’on laissera les jeunes filles dans l’ignorance, on perpétuera des inégalités profondes. Il faut des campagnes dans les écoles, une formation des enseignants, et surtout des infrastructures adaptées. »

Selon elle, l’hygiène menstruelle n’est pas une question de luxe, mais de santé publique. Elle rappelle les gestes essentiels pendant les règles : « Il faut se laver régulièrement avec de l’eau propre, changer les protections hygiéniques au moins toutes les 4 à 6 heures, et porter des sous-vêtements propres. Même sans moyens, il est possible de garder une bonne hygiène si l’information et les infrastructures de base sont là. »

Elle insiste aussi sur l’écoute du corps :

« Si une fille a de fortes douleurs, des règles irrégulières ou trop abondantes, ce n’est pas normal. Elle doit consulter. Beaucoup souffrent en silence, pensant que c’est leur destin ».

Et du côté de la famille ?

Le rôle des parents est essentiel, selon le Dr Nsimba :

« Les mamans doivent parler tôt avec leurs filles, sans attendre les premières règles. Les papas aussi doivent être inclus. Le silence crée la peur et l’isolement. Les frères et sœurs doivent apprendre à respecter cette période et à ne pas se moquer. »

Elle ajoute :

« À la maison, il faut créer un climat de confiance. Une fille qui sait qu’elle peut en parler sans être jugée aura moins de honte et plus de confiance en elle. »

La Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, initiée en 2014, vise à briser les tabous, améliorer l’accès aux protections hygiéniques, et favoriser l’éducation menstruelle partout dans le monde

Nancy Clémence Tshimueneka