<em>Cécile Kyenge, originaire de RDC, est député italienne du Groupe des Socialistes et Démocrates au Parlement européen et ancienne ministre italienne de l'Intégration. Elle a été chef de la mission d'observation de l'Union européenne pour les élections au Burkina Faso, en 2015, et membre observatrice de la délégation du Parlement européen pour la présidentielle de 2016 au Gabon.</em>
<strong>Tribune.</strong>
Le dialogue. Voilà un sésame politique que bon nombre de dirigeants africains ont adopté dans leurs propositions politiques, et en abusent plus qu’ils n’en font bon usage.
<strong>Le fait est que les propriétés dilatoires du dialogue semblent surpasser de loin ses ve</strong>rtus résolutoires, avec la conséquence néfaste que face à la proposition d’un soit disant dialogue, toute déclinaison de la part des interpellés constitue, de fait, un vice rédhibitoire fortement disqualifiant. Tout homme politique qui refuse une proposition de dialogue assume immédiatement le sale rôle de saboteur, et se met sous une mauvaise lumière, notamment aux yeux des observateurs et autres commentateurs qui jouent un rôle important de “légitimation politique”.
<blockquote class="blockquote-style-3 position-center text-left width-100" data-style="style-3" data-position="center" data-align="left" data-width="100"><em>Pourtant, et c’est ici la base de ma réflexion, en Afrique subsaharienne, nous assistons à une conception fallacieuse du dialogue qui, de fait, se configure comme une activité extra-politique, mise en œuvre en dehors de tout cadre institutionnel préexistant. Comme furent les Conférences nationales souveraines pendant les années ‘90, le dialogue est en quelque sorte une institution en soi au sud du Sahara. Une institution dont la génération spontanée trahit le caractère fort précaire des autres institutions des pays concernés. Le dialogue semble ainsi fonder et justifier les comportements imprévisibles des acteurs politiques. C’est le lieu où tous les coups peuvent être portés.</em></blockquote>
<strong>Pour parler concrètement, prenons en considération les cas les plus récents, notamment en Afrique centrale</strong>. En République démocratique du Congo (RDC), les acteurs politiques institutionnels nationaux sont les mêmes que l’on retrouve ailleurs sur le continent africain: un président de la République, un gouvernement et un parlement. Chacun des représentants de ces institutions est appelé à dialoguer au quotidien pour la bonne marche des fonctions qui lui sont reconnues. Le dialogue interinstitutionnel est donc constitutionnellement prévu et le lieu le plus indiqué pour la pratique d’un dialogue pluriel c’est le parlement. Une institution collégiale où, on espère, toutes les tendances politiques du pays sont représentées et concourent aux négociations et décisions politiques. Dans le cas de la RDC, nous voyons que l’institution du dialogue extra-parlementaire a le mérite, en contre coup, de révéler le caractère insignifiant du parlement congolais lui-même. C’est à se demander pourquoi il existe.
A côté du parlement, en effet, un autre organisme foncièrement provisoire a été Institué, au sein duquel siègent des élus parlementaires et des non élus, qui prennent le nom de délégués cooptés par des organisations de tout bord. On en vient ainsi à donner naissance à un autre lieu institutionnel, à qui on reconnaît le droit de statuer, de manière presque illégitime, sur des échéances électorales constitutionnellement établies et largement non respectées. Entre-temps, le vrai parlement congolais, composé d’élus du peuple, se mue en spectateur impuissant, qui regarde se confectionner un document dit “accord politique”, donc la valeur législative et le caractère non-contraignant sont théoriquement moindre que tout autre acte parlementaire.
<blockquote class="blockquote-style-3 position-center text-left width-100" data-style="style-3" data-position="center" data-align="left" data-width="100"><em>Le dialogue, entendu comme institution à part entière, apparaît dès lors comme un hold-up politique préventif, destiné à fournir en RDC une apparence de légitimité à un second coup en préparation: le prolongement illégal d’un mandat politique, dans le cas d’espèce, le mandat présidentiel et ses nombreuses dérivées.</em></blockquote>
Le dialogue est alors utilisé ici comme un expédiant, pour la gestion préventive d’éventuels conflits découlant du non-respect des mandats politiques. Le coup a quelque chose de flagrant et les auteurs s’en rendent bien compte, d’où la nécessité d’enrôler des “opposants” dans le gouvernement, créant de facto un acteur politique de type nouveau dont le bicéphalisme suscite des étonnements; les opposants-gouvernants, il en faut de la fantaisie.
Le dialogue préventif de la RDC n’est pas sans révéler ses similitudes avec le dialogue d’après coup, comme celui qui semble en préparation dans la République du Gabon.
[caption id="attachment_5326" align="alignnone" width="3456"]<img class="size-full wp-image-5326" src="https://actualite.cd/wp-content/uploads/2016/09/kodjo-2.jpg" alt="Edem Kodjo à la Cité de l'UA. Ph. Pascal Mulegwa." width="3456" height="2304" /> Edem Kodjo, facilitateur du Dialogue, à la Cité de l'UA. Ph. Pascal Mulegwa.[/caption]
<blockquote class="blockquote-style-3 position-center text-left width-100" data-style="style-3" data-position="center" data-align="left" data-width="100"><em>En effet, à la suite d’une élection présidentielle dont le scrutin a connu une participation ordonnée et responsable des votants, nous avons assisté à une série de proclamations ubuesques des résultats électoraux. Tour à tour, la Commission électoral (Cenap), le Ministère de l’Intérieur et finalement la Cour constitutionnelle ont fait naître et consolider des doutes, au point de miner la crédibilité des institutions engagées dans les procédures, et d’exacerber le climat politique qui souffrait déjà d’une adversité poussée jusqu’aux confins de la haine.</em></blockquote>
Forfaiture ou pas, le Président sortant a conservé son pouvoir, et – ô surprise - son premier geste a consisté à appeler à un dialogue inclusif, d’union nationale, dont les termes les plus explicites pourront être l’enrôlement des “opposants” dans le gouvernement et peut-être, la naissance d’un lieu de discussion en dehors de tout “cadre institutionnel préexistant”. De fait, le parlement gabonais peut tranquillement cuir dans son éternel bain-marie.
Aussi bien pour la RDC que pour le Gabon, l’appel au dialogue va faire son chemin, et personne n’osera pointer le doigt contre ce processus politique car cela s’apparenterait à un appel au non-dialogue, une attitude “antidémocratique” par excellence.
<strong>Mais il faut avoir le courage de le dire: tout dialogue, entendu comme une institution provisoire</strong>, créée ex-nihilo en fin de mandat, ou au début d’un mandat forcé, est une opération forcée qui tue dans l’œuf les velléités d’alternance démocratique, créant un terrain fertile pour les violences et encore plus de violation. C’est, en d’autres termes, un coup d’Etat, une mauvaise pratique politique contre laquelle nous devons trouver un remède. Il faudrait apprendre à dialoguer, certes, mais dans le cadre des institutions déjà existantes, dont la solidité est gage de la stabilité politique et de la respectabilité du peuple souverain. À plus de 50 ans des indépendances, le pullulement des institutions provisoires, comme l’institution instrumentale du dialogue, est un facteur disqualifiant en interne et en international.