Lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité des Nations-unies le 12 décembre, Javid Abdelmoneim, président international de Médecins Sans Frontières (MSF), s’est montré dubitatif quant à l’impact réel des initiatives diplomatiques sur le terrain, alors que l’escalade des violences se poursuit à la suite de l’activisme de la rébellion de l’AFC/M23 appuyée par le Rwanda.
À la suite de l’occupation de la ville stratégique d’Uvira par ce mouvement armé, le président international de MSF a estimé que les efforts de paix en cours ne visent pas prioritairement à soulager les souffrances des populations, mais semblent plutôt répondre à des intérêts extractifs impliquant les différentes parties prenantes.
"Il apparaît de plus en plus clairement que les efforts de paix en cours servent à consolider les intérêts extractifs d’acteurs puissants plutôt qu’à apporter un soulagement à la population de la RDC. Rien de tout cela n’est nouveau. La violence subie par les communautés est enracinée dans des décennies de prédation des ressources et de négligence structurelle. Voilà la tragédie qui perdure : génération après génération, les Congolais ont vu leur vie et leur dignité sacrifiées sur l’autel de la politique et du profit. Tant que les civils continueront d’être considérés comme sacrifiables, aucun processus politique n’apportera un véritable soulagement. Malgré des engagements de haut niveau à Washington et à Doha, la violence contre les civils reste quotidienne", a dénoncé le président international de MSF lors de son intervention.
Dans son exposé, il a noté que les forces étatiques comme les groupes armés non étatiques dont le M23, les FDLR, l’ADF, des éléments des FARDC et leurs alliés wazalendo continuent de mettre les civils en danger et d’entraver l’accès aux soins. Selon lui, tous ont été impliqués dans de graves violations du droit international humanitaire : exécutions sommaires, violences sexuelles, pillages, et obstruction de l’aide humanitaire.
"Le bilan est dévastateur. À Binza, des patients de MSF ont décrit des hommes abattus dans les champs et des femmes et enfants tués sur les rives d’une rivière, leurs corps laissés à dériver des témoignages qui font écho aux rapports plus larges de massacres au Nord-Kivu. Plusieurs de nos patients ont affirmé que ces attaques avaient été menées par des membres du M23. À l’hôpital de Rutshuru, les admissions liées aux traumatismes ont augmenté de 67 % en juillet. Plus de 80 % des victimes par balle admises dans les structures soutenues par MSF en juillet et août étaient des civils", a-t-il souligné.
En Ituri, au cours de l’année, il a révélé que son institution a eu à réaliser plus de 1 500 interventions chirurgicales liées aux traumatismes dans un seul hôpital, la plupart pour des blessures dues au conflit. À l'en croire, les structures médicales et le personnel ne sont pas épargnés : des ambulances ont été arrêtées sous la menace d’armes à feu, et des acteurs armés ont pris d’assaut des structures médicales, terrorisant patients et personnel.
"À Masisi, il y a deux semaines seulement, le centre de santé de Kazinga clairement marqué comme structure MSF a été pillé et détruit par une milice wazalendo. Trois collègues de MSF ont été tués cette année. Ces violations illustrent un échec profond à protéger les civils. Les violences sexuelles dans l’est de la RDC constituent une urgence ancienne qui a marqué les communautés pendant des décennies. Aujourd’hui, elles continuent à une échelle inimaginable", a déploré le président international de MSF devant le Conseil de sécurité de l'ONU.
Durant les six premiers mois de cette année seulement, près de 28 000 survivants ont demandé des soins dans des structures soutenues par MSF dans l’est de la RDC. Cela représente en moyenne 155 survivants par jour. D'après lui, trois agressions sur quatre ont été commises par des individus armés. Les attaques se déroulent dans les champs, sur les routes, aux points d’eau et à l’intérieur des maisons.
"Beaucoup de survivants arrivent trop tard pour bénéficier de traitements préventifs. Beaucoup n’arrivent jamais. Dans le même temps, les fournitures médicales essentielles sont dangereusement insuffisantes. Au Nord et au Sud-Kivu, la moitié des zones de santé manquent de prophylaxie post-exposition, privant les survivants de soins essentiels qui pourraient prévenir une infection, éviter une grossesse non désirée et réduire les séquelles à long terme. L’ampleur et la banalisation des violences sexuelles reflètent un effondrement profond des mécanismes de protection communautaire et une quasi-absence d’obligation de rendre des comptes", a-t-il fustigé.
Cette rencontre intervenait dans un contexte où la ville d'Uvira, considérée comme stratégique dans le dispositif sécuritaire du gouvernement congolais dans la province du Sud-Kivu, est passée sous le contrôle de la rébellion de l’AFC/M23, renforçant davantage son influence et sa mainmise dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Les rebelles sous pression des USA, ont entamé leur retrait ce mercredi soir de la ville d’Uvira.
La détérioration de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC a coïncidé avec l’entérinement des accords de Washington signés entre Kinshasa et Kigali sous les auspices des États-Unis d’Amérique. Alors que ces accords étaient censés valider et encourager le cessez-le-feu souhaité par les médiateurs et plusieurs partenaires de la RDC et du Rwanda, la situation s’est au contraire dégradée, marquée par des accusations mutuelles entre les deux États quant à la responsabilité de la détérioration de la situation sécuritaire actuelle.
Après l’occupation de Bukavu en février 2025, le gouvernement de Kinshasa avait désigné la Uvira comme siège provisoire des institutions dans les zones encore sous contrôle gouvernemental dans la province du Sud-Kivu. L’AFC/M23, soutenu par le Rwanda et son armée, ayant désormais pris le contrôle d’Uvira, inflige, selon le chef de la diplomatie burundaise, une "gifle " à Washington, seulement quelques jours après la signature des accords censés ramener la paix dans la région des Grands Lacs.
Clément MUAMBA