RDC : à Goma, un an après le naufrage du bateau Merdi, les promesses non tenues, plusieurs familles endeuillées vivent toujours sans retrouver les corps de leurs proches

De petites commerçantes au port de Kituku, à l'ouest de Goma
De petites commerçantes au port de Kituku, à l'ouest de Goma

Au marché de Kituku, à quelques mètres du lieu où s’est produit le drame du MV Merdi il y a exactement un an, la douleur reste palpable. Le naufrage survenu le 3 octobre 2024 sur les eaux du lac Kivu continue de hanter les survivants, familles des disparus et riverains.

Parmi ceux qui gardent les cicatrices de ce naufrage figure Shamavu Mudosa Innocent, armateur basé au marché de Kituku. Il se trouvait sur sa pirogue en provenance de Kasunyu lors de la perte de sa belle-sœur et de son neveu, tous deux portés disparus lors du naufrage. Depuis un an, leurs corps n'ont jamais été retrouvés.

« J'avais perdu ma belle-sœur, qui était avec son bébé lors du naufrage du bateau Merdi. Elle revenait d’un voyage à Minova, où elle était partie pour une visite. C’est sur le chemin du retour qu’elle a trouvé la mort dans ce naufrage. Elle était mariée depuis un an et demi et vivait ici à Goma. Jusqu’à présent, sa famille est toujours là, et nous avons organisé le deuil. Malheureusement, nous n'avons jamais retrouvé son corps », témoigne-t-il.

Non loin de là, Maombi Lushombo, vendeuse de cannes à sucre, se souvient de sa voisine, également commerçante, qui avait pris le bateau ce jour-là pour s’approvisionner. Elle n’est jamais revenue. Sa famille, aujourd’hui, vit dans la précarité, sans aide ni suivie, ses enfants vivant dans une situation d’abandon. Un an après le drame, Maombi Lushombo regrette que les promesses d’assistance faites par les autorités, notamment par la délégation gouvernementale dépêchée à Goma, n’aient pas été suivies d’actes concrets.

« Dans le naufrage du bateau Merdi, j'avais perdu ma voisine, avec qui je travaillais ici au marché. Ce jour-là, elle avait décidé de se rendre à Minova pour s’approvisionner en marchandises. C’est même nous qui l’avions envoyée, et elle nous avait promis de nous ramener nos produits.

Malheureusement, au moment de son retour, elle était avec son bébé. Nous, qui étions au marché ce jeudi-là, avons vu le bateau Merdi approcher. Malheureusement, à quelques mètres seulement du quai, nous avons assisté au chavirement du bateau.

Elle a laissé derrière elle six enfants. Aujourd’hui, ces enfants souffrent, et jusqu’à présent, personne ne s’est soucié de savoir comment ils vivent. Son mari n’avait pas de travail, et c’était cette maman qui faisait presque tout à la maison. Depuis ce jour-là, leur père est tombé malade, et les enfants vivent dans de grandes difficultés.

Elle avait une famille qui n’était pas en mesure de l’aider, et c’est elle seule qui se battait pour nourrir les siens. Si vraiment nos autorités peuvent m’entendre, qu’elles trouvent un moyen d’aider leurs enfants, notamment en les scolarisant », a-t-elle demandé.

Navigation toujours précaire, un an après le drame

Au marché de Kituku, la présidente des femmes commerçantes, Madeleine Byetu Wilonja, se montre préoccupée par les conditions de navigation toujours précaires sur le lac Kivu. Un an après le drame, elle appelle les nouvelles autorités en place à renforcer les mesures de sécurité lacustre, afin d’éviter qu’un tel naufrage ne se reproduise. Représentant une large communauté de femmes actives dans le commerce transfrontalier et lacustre, elle insiste sur la nécessité d’un contrôle rigoureux des embarcations, de l’obligation de gilets de sauvetage et de la formation des opérateurs maritimes, estimant que la sécurité des passagers ne doit plus être négligée dans les pratiques quotidiennes.

« Comme vous pouvez le constater, aujourd’hui nous n’avons pas travaillé au marché afin de rendre hommage à nos frères et sœurs qui nous ont quittés il y a maintenant un an.

À l’époque, quelques corps avaient été retrouvés, mais beaucoup d'autres reposent encore dans le lac.

Aux autorités présentes actuellement à Goma et Minova ; nous vous demandons de faire tout ce qu’il faut pour que ce genre d’incident ne se reproduise plus. Il y a des marins sur le lac, et nous souhaitons que les nouvelles autorités puissent bien les équiper afin qu’ils fassent leur travail correctement.

De plus, les services compétents doivent renforcer les contrôles sur chaque bateau, vérifier toutes les pièces et s’assurer de leur bon état. Souvent, nous ne savons même pas quand et comment ces bateaux ont été fabriqués. Avant, on permettait à n’importe quel bateau de naviguer sur le lac sans contrôle, sans savoir si le capitaine avait reçu une formation.

Nous demandons aussi que les nouvelles autorités nous aident à mettre en place une équipe de mécaniciens qui vérifiera l’état de chaque bateau avant qu’il ne prenne la mer.

Qu’ils nous aident aussi à équiper chaque bateau de gilets de sauvetage », plaide-t-elle.

Commémoration à Minova

À Minova, dans le territoire de Kalehe, au Sud-Kivu, d'autres témoignages font écho à cette même douleur. Des familles y ont organisé des cérémonies de recueillement ce jeudi 03 octobre en mémoire des disparus. Des rassemblements symboliques ont eu lieu à Minova-centre, notamment une messe à la paroisse Saint Charles Lwanga et un dépôt de gerbes de fleurs au cimetière local, où reposent certaines victimes identifiées.

Le bateau MV Merdi, parti de Minova à destination de Goma, transportait ce jour-là des dizaines de passagers ainsi que des marchandises diverses. L’embarcation, selon les enquêtes initiales, était largement surchargée et ne respectait aucune des normes de sécurité minimales : ni gilets de sauvetage, ni contrôles techniques, ni dispositif d'urgence.

Le bilan officiel faisait état de 34 morts et 80 rescapés, mais les coordinations de la société civile de Minova et de Mfuni Shanga (Masisi) estiment à 163, le nombre de disparus. L’absence d’un manifeste de bord rendait difficile l’identification exacte des passagers.

Des promesses restées lettre morte

Dans les jours qui ont suivi ce naufrage, les gouvernements provinciaux du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et les autorités nationales avaient pris plusieurs engagements ; l'amélioration de la sécurité sur le lac, le contrôle des embarcations, la limitation des surcharges, l’appui aux familles endeuillées et la relance des travaux sur la route Goma–Minova, essentielle pour désengorger le trafic lacustre.

Une délégation composée de l'ex ministre des Affaires sociales, de gouverneurs et de conseillers avait été dépêchée à Goma. Elle s'était rendue au port de Kituku, lieu du drame, pour constater les dégâts et rassurer la population.

Parmi les annonces phares figurait aussi le repêchage de l’épave et des corps grâce à des plongeurs spécialisés, censés venir d’Europe. Un an après, aucune opération de récupération n’a été menée. Le gouverneur Jean-Jacques Purusi Sadiki, qui avait porté cette promesse, est rentré sans concrétiser cette action, laissant les familles dans l’attente et l’incompréhension.

Malgré la gravité du drame, la navigation sur le lac Kivu reste largement exposée aux mêmes risques. Dans plusieurs ports, les bateaux continuent à circuler sans équipements de sécurité adéquats. La surcharge demeure fréquente, les contrôles rares, et la responsabilité des exploitants peu engagée.

Toutefois, à Kituku, des changements commencent à être observés. Sous l'autorité actuelle de la rébellion de l’AFC/M23, des mesures ont été imposées, rendant obligatoire le port de gilets de sauvetage à bord pour tous les passagers. Cette réglementation locale est saluée, mais reste isolée, en l’absence d’une politique nationale cohérente.

Josué Mutanava, à Goma