Nord-Kivu : la Journée nationale de l’Enseignement célébrée dans la misère dans les zones occupées par la rébellion de l’AFC/M23

Les rebelles du M23 à Goma
Les rebelles du M23 à Goma

Alors que la République Démocratique du Congo célèbre ce 30 avril la Journée nationale de l’enseignement, également connue comme la fête des enseignants, cette commémoration prend un goût amer dans les zones sous contrôle des rebelles de l’AFC/M23, où les professionnels de la craie impayés vivent une situation de précarité extrême.

Kasereka Matabishi Credo, enseignant de latin et français à l’Institut Mont Goma, dénonce une réalité cruelle : « La vie de l’enseignant congolais est devenue misérable et vulnérable. » Selon lui, les conditions imposées aux enseignants par l’État sont loin de garantir la dignité et la stabilité nécessaires pour former les futures élites du pays. Il plaide pour des actions concrètes de la part des autorités afin d’améliorer les conditions de vie et de travail de ces professionnels souvent oubliés.

« Il est inconcevable que, dans un pays qui se respecte, au moment même où nous célébrons la Journée nationale de l’enseignement, le compte d’un enseignant affiche zéro franc. Quelle ironie. Au lieu de nous réjouir, nous sommes plongés dans une profonde amertume. Les enseignants souffrent. À tous les niveaux : maternelle, primaire, secondaire… rien ne change. La vie reste la même, marquée par la précarité, le manque de reconnaissance, l’insécurité et l’abandon. Comment parler d’éducation de qualité lorsque ceux qui sont censés la porter sont eux-mêmes brisés ? », s'interroge-t-il.

Et de poursuivre :

« Je pense aussi, avec beaucoup d’émotion, à nos collègues déplacés à cause de la guerre. Non seulement ils vivent dans des conditions inhumaines, loin de leurs familles, mais en plus, ils sont privés de salaire depuis maintenant quatre ans. Quatre longues années de silence, d’oubli, et d’injustice. Ils souffrent doublement, et nous souffrons avec eux. Aujourd’hui, notre cri doit être entendu. Il est temps que l’enseignant soit respecté, soutenu et honoré. Pas seulement par des mots, mais par des actes concrets. Nous ne demandons pas la charité, nous exigeons simplement ce qui nous est dû. », plaide-t-il.

Dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Nyiragongo, la majorité des enseignants n'ont pas reçu leurs salaires depuis janvier 2025. En cause, l’indisponibilité des banques dans ces zones en conflit. Cette situation les rend encore plus fragiles. Les promesses de paiement par voie électronique, faites par le gouvernement pour contourner l’impossibilité bancaire, n’ont pas été tenues.

L’intersyndicale des enseignants de Masisi, désespérée, a saisi la ministre de l’Enseignement et de la Nouvelle Citoyenneté par une lettre datée du 28 avril. Elle a dénoncé le non-respect des engagements du gouvernement et annoncé la possibilité d’un boycott des activités scolaires, pédagogiques et évaluatives si rien n’est fait rapidement.

« Nous avons été patients pendant quatre mois, mais aujourd’hui, notre silence devient une souffrance que le gouvernement ne peut plus ignorer, le gouvernement nous avait promis un paiement rapide et régulier, quatre mois plus tard, nous n'avons reçu que des promesses creuses, comment peut-on continuer à enseigner avec dignité alors que nous ne pouvons même pas subvenir aux besoins de nos familles ? Nous ne voulons pas pénaliser nos élèves, mais si rien ne change, nous n’aurons pas d’autre choix que de suspendre les cours, nous aimons notre métier, mais nous refusons d’être traités comme des citoyens de seconde zone. Le gouvernement doit comprendre qu’une école sans enseignants, c’est une nation sans avenir », a déclaré à ACTUALITÉ.CD un enseignant syndicaliste qui a requis l'anonymat.

À Rutshuru, également zone sous contrôle rebelle, la situation est tout aussi préoccupante. Isaac Mwanashaba, secrétaire permanent du Syndicat des Enseignants du Congo (SYECO), déplore que cette journée de célébration arrive alors que la majorité des enseignants restent impayés depuis quatre mois.

« Aujourd'hui, nous avons l'impression que cette journée n'existe presque pas. C'était pourtant une occasion pour l’enseignant vivant en déplacement de se réjouir. Mais nous sommes en pleine guerre, et cela fait maintenant quatre mois que les enseignants ne sont plus payés. Ils vivent dans des conditions très difficiles ici, dans le territoire de Rutshuru. Jusqu’à présent, aucun signe ne laisse espérer le paiement de leurs salaires. Et pourtant, lorsqu’on dédie une journée à quelqu’un, c’est pour qu’il puisse la célébrer avec sa famille. Mais ici, la guerre et la famine menacent de nombreuses familles d’enseignants dans le territoire de Rutshuru. Le gouvernement n’a toujours pas rendu disponible notre rémunération. Comment peut-on alors parler de fête ? », s’interroge-t-il à son tour.

Certains enseignants ont fui vers leurs villages après l’occupation de Goma et le démantèlement des camps des déplacés, tandis que d’autres, craignant pour leur sécurité, continuent de vivre dans une précarité totale en ville.

En mars dernier, la ministre Raïssa Malu avait pourtant assuré que le gouvernement central prendrait en charge les enseignants affectés par la crise. Mais sur le terrain, ces promesses n’ont pas été concrétisées. Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, le président Félix Tshisekedi avait fait de l’amélioration des conditions de vie des enseignants une priorité. Pourtant, malgré l’instauration de la gratuité de l’enseignement primaire, les syndicats affirment que cette réforme ne s’est jamais accompagnée d’un véritable mieux-être pour les enseignants, notamment dans les zones en conflit.

Josué Mutanava, à Goma