Lewis Yola, chercheur principal au Centre de Réflexion et d'Études sur les Hydrocarbures et les Énergies Renouvelables, interpelle Judith Suminwa, Première ministre de la RDC, sur les conséquences potentiellement néfastes d’une démutualisation des volumes commerciaux de produits pétroliers dans le pays.
Dans une lettre adressée le 16 août dernier, ce chercheur en aval pétrolier met en garde contre un retour à une situation de désordre et d’opacité qui pourrait nuire aux opérateurs congolais et à l’État.
Selon ce spécialiste, la mutualisation des volumes, mise en place il y a quelques années, a permis de rétablir un certain ordre dans le secteur pétrolier en éliminant les pratiques de concurrence déloyale de certains acteurs logistiques. En effet, cette mesure a permis de standardiser les prix des produits pétroliers, quelle que soit leur origine, et d’encourager une concurrence plus saine entre les différents opérateurs.
SEP Congo face aux enjeux de la mutualisation
Le chercheur rappelle que pendant près d’un siècle, SEP Congo, une entreprise qui assure l’approvisionnement en produits pétroliers de l’ensemble du territoire de la RDC, avait joui d'un monopole de fait dans la logistique pétrolière en RDC. Cette situation a été renforcée par les fluctuations de la politique interne du pays. Ainsi, SEP Congo a souvent dû assumer un rôle de service public, fournissant des services logistiques à toutes les entreprises pétrolières, parfois au détriment de ses intérêts commerciaux. Un peu plus tard, l'ouverture du marché à de nouvelles entreprises, notamment SPSA Cobil et Lerexcom Petroleum, a mis SEP Congo en difficulté d’adaptation.
« Avec l’intégration dans la structure des prix des produits pétroliers, d’abord de SPSA Cobil en 2018, ensuite de Lerexcom Petroleum en 2020, accompagné de l’instauration du système de mutualisation des volumes, il a été observé une augmentation drastique du volume mis en consommation déclaré… Il est donc aisé de conclure que la mutualisation des volumes a contribué à améliorer la maîtrise des données réelles du marché par le régulateur État, et à imposer plus de transparence dans les différentes déclarations de logisticiens », explique-t-il.
Les conséquences potentielles de la démutualisation
Lewis Yola rappelle également la complexité des interactions entre les acteurs, notamment l'État, les majors pétrolières, les indépendants et les logisticiens, dont les intérêts sont différents.
Ainsi, pour lui, une démutualisation hâtive pourrait entraîner une désorganisation de la chaîne d'approvisionnement en carburant, avec des conséquences négatives pour l'économie du pays. Il propose donc une analyse approfondie, tenant compte du point de vue de chacun des acteurs.
« L’usage du scénario de démutualisation des volumes renforcerait l’asymétrie de l’information sur le volume manipulé et renverrait les acteurs de la chaîne d’approvisionnement dans une concurrence déloyale intense de triste mémoire, hautement néfaste pour les opérateurs à capitaux congolais. Pour cela, nous vous appelons à organiser un véritable atelier de réflexion entre le gouvernement et la profession pétrolière pour discuter pleinement d'une voie de sortie économiquement profitable pour tous », écrit-il.
Maintenir la mutualisation et engager les discussions
Le chercheur plaide en faveur du maintien du système actuel de mutualisation, tout en suggérant d’approfondir la réflexion sur d’autres aspects du secteur pétrolier, tels que le prix moyen frontière, le système de consignation, et les modalités d’achat des produits pétroliers à l’international.
Il propose également d’organiser un atelier de réflexion réunissant le gouvernement et les acteurs de la profession pétrolière afin de trouver des solutions pérennes et bénéfiques pour tous.
Lors de la 53ème réunion du conseil des ministres en 2022, le président Tshisekedi avait ordonné un audit de la structure des prix des carburants afin d'identifier des pistes pour réduire les coûts à la pompe.
Récemment, lors de la huitième réunion du conseil des ministres, sous le gouvernement Suminwa, le président de la République avait de nouveau abordé la question, présentant trois scénarios possibles pour réduire le prix des carburants, notamment l’ajustement du prix moyen frontière, la suppression de la mutualisation, et la combinaison des deux premières options.
Bruno Nsaka