Du rapport de la délégation gouvernementale à Kalehe aux 300 nouveaux cas de choléra dans le Haut-Katanga en passant par l’avertissement du bureau de l’Assemblée Nationale aux députés absentéistes ou les manifestations politiques autorisées par le gouverneur de la ville, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Christelle Tshibala revient sur chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Christelle Tshibala et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?
Christelle Tshibala : Je suis Tshibala Sangana Christelle, actrice et analyste politique, mais aussi actrice de développement. Je dirige une organisation de femmes dénommée « Cercle du savoir ». Nos activités sont axées sur l’encadrement, la valorisation et la promotion des droits des femmes ainsi que leur autonomisation. Je suis Vice-Présidente de la plateforme « Femmes Leaders et Vision Politique », en sigle FLVP qui regroupe près de 50 associations réparties dans 19 provinces de la RDC. Je suis également secrétaire de l’ONG « Cacao pour la Paix », un réseau national qui travaille pour la relance des filières du cacao en RDC. Actuellement cadre au parti politique CDTU, j’ai fait mon entrée en politique toute jeune. En 2009, j’ai occupé le poste d’Assistant en genre de la Présidente de la Ligue des femmes du RENOVAC. En 2013, j’ai intégré le Courant des démocrates rénovateurs. J’y ai exercé les fonctions de Présidente interfédérale de Kinshasa. Dans mon parcours, en tant que politique et actrice de développement, j’ai suivi plusieurs formations sur la résolution des conflits, le leadership politique et autres.
Quatre personnes dont trois écogardes du parc des Virunga ont été tuées dans une embuscade des Mai-Mai à Lubero (Nord-Kivu). Comment prévenir et faire face aux modes-opératoires des miliciens dans cette aire protégée, selon vous ?
Christelle Tshibala : l’Etat Congolais doit renforcer la sécurité dans cette zone du pays. Le parc des Virunga est victime de l’insécurité qui persiste dans l’Est. Et le gouvernement ne devrait pas se replier uniquement sur la diplomatie passive mais investir aussi dans notre armée afin de dissuader les forces extérieures qui viennent nous hanter. C’est à mon sens ce qu'il faut faire pour que cette aire soit protégée et que les droits humains des éco-gardes soient préservés.
La délégation gouvernementale à Kalehe a recommandé la délocalisation des habitants et l'actualisation de la stratégie de réduction des risques naturels. Ces mesures sont-elles suffisantes pour prévenir de futurs dégâts ?
Christelle Tshibala : dans le contexte climatique actuel, marqué par le réchauffement climatique, il nous faut prévenir des catastrophes naturelles. Cela passe notamment par la revisitation des sites, des villes et des campagnes. Le gouvernement Congolais ne devrait pas attendre que les dégâts soient visibles pour qu’il intervienne. (…) La délocalisation des rescapés est une bonne initiative. Cependant, il va falloir se rassurer que les endroits choisis pour installer les familles sont habitables, qu’il y aura de l’eau potable, qu’il y aura de l’électricité, que les routes seront construites pour les aider à poursuivre leurs activités et vivre paisiblement. L’Etat doit tout mettre en œuvre pour permettre aux familles sinistrées d’avoir une vie décente même en dehors de leurs sites d’origine.
En ce qui concerne le conflit Teke-Yaka, l’Assemblée nationale annonce la mise en place « une commission de paix, de réconciliation et réintégration des communautés lésées ». En tant qu’experte médiatrice, trouvez-vous pertinente une telle initiative ?
Christelle Tshibala : je pense qu’il faut d’abord ramener ce conflit à son origine. Déceler le réel problème qui oppose ces communautés. C’est la voie qui permettra de développer des solutions adaptées. Le dialogue peut être un outil efficace. Il faut réunir autour de ce conflit les politiques, les acteurs sociaux, les communautés, les autorités coutumières, que personne ne soit laissé pour compte afin que les solutions soient complètes.
Le bureau de l’Assemblée Nationale menace d’invalider les mandats « des élus absentéistes », notamment Mabunda, Sesanga, Lubaya... Quel est votre point de vue sur cette nouvelle démarche de la chambre basse du parlement ?
Christelle Tshibala : il faudrait vraiment procéder à la publication des noms de tous les élus (de toutes tendances politiques) qui sont absents aux plénières, alors qu’ils ont été mandatés par la population. Je parle en tant qu’électrice. Quelles sont ces occupations qui peuvent empêcher aux élus de répondre à leur devoir de représenter et défendre la population au niveau de l’hémicycle ? A quoi servirait leur mandat ? Si le bureau n’invalide que les députés qui ne sont pas de sa famille politique, cela pourra éveiller des soupçons. Mais si les listes sont publiées à l’avance, appuyées par des dates de présence et d’absence, la population saura également tirer des conclusions.
Gentiny Ngobila a autorisé trois manifestations politiques (une de l’opposition contre deux du pouvoir) dans l'unique journée du samedi 20 mai. Quelle est votre analyse par rapport à ces manifestations?
Christelle Tshibala : le Congo actuel ne devrait pas tomber dans les mêmes pièges que le régime passé. Les manifestations sont garanties par la Constitution, mais le gouvernement provincial a le pouvoir de garantir la paix et la sécurité dans la capitale. Nous avons vécu les conséquences des affrontements entre tendances politiques, les atteintes par balles, l’usage des gaz lacrymogènes sur les manifestants. Le Gouverneur Gentiny Ngobila, en autorisant ces manifestations politiques devait s’assurer que les forces de sécurité seront à la hauteur pour maîtriser tout dérapage sans que les droits humains ne soient bafoués.
Dans une rencontre avec le VPM en charge de la Défense, les USA à travers son ambassadeur ont insisté pour le départ des troupes rwandaises du sol congolais et le retrait du M23. De façon concrète, comment devrait se traduire cette position ?
Christelle Tshibala : en tant que Congolaise, je pense que nous ne devrions pas miser sur les propositions d’un pays étranger même si sa puissance est mondialement reconnue. En tant qu’Etat, nous avons toujours affirmé notre position par rapport au Rwanda. Nous remercions les USA d’avoir accompagné la RDC dans cette position mais nous devons aussi traduire notre position par des actions concrètes. Je l’ai dit plus haut, cela passe par nos forces armées capables et valables pour défendre le territoire national.
Au sujet des élections, 3 congolais et 2 étrangers (experts) ont été retenus par la CENI pour réaliser l’audit externe du fichier électoral même si l’ECC, la CENCO, le CLC dénoncent ce procédé. Que faut-il pour rendre ce processus plus crédible ?
Christelle Tshibala : le processus électoral est une démarche cruciale par laquelle tout pays fait triompher le pouvoir du souverain primaire (le peuple). La RDC doit également faire en sorte que ses élections reflètent la sanction du peuple. Si les étapes ne sont pas respectées, comment pourrions-nous garantir des élections crédibles et transparentes ? Il serait souhaitable que la CENI puisse privilégier toutes les voix utiles pour crédibiliser le fichier électoral.
En santé, le choléra refait surface à Lubumbashi avec 300 cas dont 11 décès recensés en deux semaines. Que doivent faire les acteurs de santé pour maîtriser sa propension selon vous ?
Christelle Tshibala : la politique nationale de santé de la RDC doit être mise à profit et actualisée. Il faut que l’environnement en RDC soit régulièrement assaini. Il y a quelques années, en RDC, des brigades d’hygiènes étaient installées dans chaque commune. Que faisons-nous pour pérenniser ces services ? Qu’avons-nous fait pour les précédentes épidémies de choléra? Comment pérenniser les méthodes utilisées pour éradiquer celle-ci ? Etant donné que c’est une maladie des mains sales, il faut disponibiliser de l’eau potable pour les populations des quartiers affectés, élaborer des stratégies pour empêcher la progression de la maladie. Pour les familles qui ne disposent pas de sanitaires adaptées aux exigences hygiéniques, l’Etat peut mettre en place un projet de construction à crédit. Les familles pourront souscrire et déterminer un montant qui sera payé à la fin de chaque mois pour rembourser à la caisse publique les fonds utilisés.
Le premier ministre a annoncé la convocation du comité multisectoriel pour tabler sur la levée des mesures de restrictions liées à la covid19. Quelles sont les mesures qui méritent à ce stade d’être levées selon vous ?
Christelle Tshibala : l’étape de l’évaluation est très importante. Le gouvernement doit faire une évaluation réelle de toutes les mesures qui ont été initiées et mises en œuvre à ce jour. C’est également une question de santé publique et il faut que les décisions qui seront prises soient conformes aux résultats de l’évaluation des potentiels risques à la suite de la levée des mesures existantes.
Au niveau continental, après une rencontre à Genève, Kinshasa et Kigali se donnent rendez-vous à Nairobi pour accélérer le processus de rapatriement des réfugiés. Quels seront les préalables à respecter avant de lancer cette démarche ?
Christelle Tshibala : la Croix-Rouge, le HCR doivent être mis à profit pour identifier les véritables réfugiés de la RDC au Rwanda et ceux du Rwanda en RDC. C’est après cela que les autorités de ces deux pays pourront autour d’une table, produire un document qui définit les contours du rapatriement (les conditions, la date et l’heure). Le ministère de l’intérieur, celui des affaires coutumières seront également impliqués.
A l’international, la justice française a condamné pour la première fois de son histoire, un ex-chef de l'Etat (Nicolas Sarkozy) à trois ans de prison, dont un an ferme à exécuter sous bracelet électronique, pour corruption et trafic d'influence. Que représente une telle sanction pour vous ?
Christelle Tshibala : « la loi est dure, mais c’est la loi », dit-on. Et les citoyens sont tous identiques devant la loi. Je crois que cette décision de la justice française devrait interpeller les politiques de toutes les nations du monde. Les fonctions publiques ne doivent pas être des occasions en or pour marcher sur les lois et les droits publiques. Nous avons vu cet exemple en Afrique avec Jacob Zuma, l’ancien président sud-africain. Et si la justice congolaise emboîte le pas, de nombreux dirigeants du pays auront des comptes à rendre. La justice élève une nation et il faudrait que ceux qui dirigent soient conscients de leurs rôles de serviteurs.
L'Afrique du Sud a proposé ses services pour faire la médiation dans la crise russo-ukrainienne. Va-t-elle réussir ce pari selon vous ?
Christelle Tshibala : je ne pense pas que la réussite de cette médiation viendra de l’Afrique du Sud. Les pays africains font face aux conflits armés et l’Afrique du Sud n’est jamais intervenue. Le Soudan, la RDC, le Rwanda, ces pays ont besoin de la paix et il faut que toute l’Afrique décide de travailler en faveur de cette paix. Car, le développement des Etats en conflit aura une influence positive sur les populations africaines. De toutes les façons, nous encourageons l’Afrique du Sud à offrir ses services.
Un dernier mot ?
Christelle Tshibala : il faut que les Congolais agissent pour refléter la vraie dimension du pays. Lorsque nous serons conscients de l’importance de la géostratégie et de la géopolitique du Congo-Zaïre, nous serons au rendez-vous des nations puissantes et émergentes du monde. Cela demande que les acteurs politiques congolais puissent avoir des éléments tels que l’audace, la vision, le sens de l’anticipation, privilégier l’intérêt général à la place de nos propres intérêts, que la justice ne soit pas un slogan mais une réalité, que le népotisme, le tribalisme, le clientélisme soient bannis. Bref, que la politique donne à la nation congolaise un cap avec des projets de développement. Que la politique cesse d’être une source d’enrichissement.
Propos recueillis par Prisca Lokale