"La RDC a besoin d'une bonne gestion des finances publiques pour soutenir son développement..." (Entretien avec Thomas Maketa Lutete, DG de la DGCTP)

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Thomas Maketa Lutete, DG de la DGTCP. Ph. Droits tiers.

Le gouvernement de la RDC a mis en place la Direction générale du trésor et de la comptabilité publique (DGTCP), un établissement public placé sous la tutelle du ministre des Finances, dans l'optique d'assainir les finances publiques et de donner plus de visibilité aux opérations financières de l'État. Après un processus rigoureux de recrutement, M. Thomas Maketa Lutete a été nommé, par ordonnance présidentielle, au poste de directeur général de cet important outil de réforme des finances publiques. Premier à commander cette structure, il s’est ouvert à la presse, revenant sur son parcours, les défis qui l’attendent et les stratégies à mettre en œuvre. Il se dit porteur d’une mission, celle de mettre les finances publiques congolaises au service du développement. Il est convaincu d’une chose : « Les finances publiques, bien gérées, sont un atout primordial pour soutenir l’économie d’un pays et créer un cercle vertueux  pour favoriser les entrepreneurs, élargir la base industrielle, augmenter les revenus de l’état, augmenter les salaires des fonctionnaires et augmenter les dépenses pour le bien de la nation congolaise ». Entretien.

De représentant résident de l’ONUDI au poste de directeur général  de la Direction générale du trésor et de la comptabilité publique (DGTCP), il n’y a eu qu’un pas à franchir. Quel a été votre parcours ?

Mon parcours est divers. J’ai fait mes études primaires entre la Belgique où mon père faisait son doctorat et Kinshasa, et mes études secondaires entre Goma et Bukavu où j’ai eu mon diplôme d’Etat. J’ai étudié à l’UNIKIN où j’ai fait la faculté des sciences physiques. J’aime les mathématiques car les chiffres ne mentent pas. J’ai travaillé dans le privé, Vodacom, De Beers qui m’a fait découvrir le Grand Kasaï. Ensuite, j’ai continué mes études en Afrique du Sud et aux États-Unis où j’ai totalement changé de matière et je me suis spécialisé en finances et politiques publiques. Ce qui m’a envoyé travailler pour la Banque mondiale dans les finances publiques et l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) comme représentant et ambassadeur. J’ai ensuite été nommé à la REGIDESO comme président du Conseil d’administration. Et enfin, il a plu au Président de la République et au Premier Ministre, sur proposition du ministre des Finances, de me nommer à la DGTCP comme DG.

L’enseignement fait également partie de votre vie

Effectivement, je suis professeur associé à l’École de Technologie Supérieur de l’Université du Québec, au Canada, et à l’Université protestante au Congo à Kinshasa.

Après avoir fait des études de Physiques en graduat, avoir eu une maîtrise en informatique,  deux maîtrises en finance et avoir travaillé de longues années dans les finances publiques et les politiques publiques. J’ai suivi les pas de mon père professeur, qui me disait qu’être professeur était un métier noble, car il permettait de ne pas mourir mais d’exister éternellement à travers la connaissance transmise aux générations futures. Je me suis lancé dans un doctorat en Ingénierie logicielle, mais qui s’appliquait aux finances et à l’économie. J’ai défendu ma thèse de doctorat en 2020 dans le domaine des nouvelles technologies cryptomonnaies, blockchain et les finances, plus précisément le processus de rémittences. Mon but académique est de former des docteurs, des professeurs, des personnes qui vont penser à des solutions innovantes pour notre pays. Des personnes qui vont commencer par m’appeler professeur et qui finiront par m’appeler collègue. Notre pays en a besoin.

Pas d’institution publique dans votre vie d’enseignant

J’ai donné un cours à l’université de Kinshasa (Unikin) en tant que professeur visiteur, mais depuis lors j’attends toujours la réponse à ma demande. Ce sont les institutions privées qui ont été intéressées par mon profil et qui m’ont donné une charge horaire. C’est le paradoxe congolais, on se plaint qu’il n’y a pas de professeur, mais quand les professeurs se portent volontaire pour donner cours, ça devient compliquer …

Vous étiez parti pour une belle carrière internationale pour finalement l’abandonner pour une carrière locale. Pour quelle raison?

J’ai conseillé plusieurs gouvernements étrangers dans les finances et politiques publiques, j’ai participé à la restructuration de plusieurs institutions financières à travers le monde. J’ai une expérience dans le fonctionnement des directions générales du trésor qui sont communes dans les ex-colonies françaises.  Pourquoi toujours être expert pour les autres et ne pas mettre mon expérience au profit de mon pays. C’est cette réflexion qui m’a inspiré. Peut-être il était temps d’arrêter de critiquer au bord de la route, comme tout bon congolais de la diaspora. Il fallait contribuer sur le terrain à la solution pour notre peuple.

Revenons sur la structure que vous dirigez aujourd’hui, la DGTCP. Qu’en est-il exactement?

La DGTCP, sous sa forme actuelle, est une initiative du ministre des Finances, Nicolas Kazadi, qui a voulu doter le pays d’un outil de gestion rationnel et performant des finances publiques. C’est lui qui a proposé au gouvernement, au Premier Ministre et au Président de la République la création de la DGTCP et la nomination de son staff dirigeant.

La DGTCP est un élément clef de la réforme des finances publiques en RDC. C’est le gardien des caisses de l’Etat. Elle a trois objectifs, à savoir l’exécution des dépenses et le suivi des recettes de l’état ; la gestion de la trésorerie, le suivi de l’endettement et la sauvegarde des intérêts économique de l’état ; et la règlementation, la tenue et la centralisation de la comptabilité et des flux financiers de l’Etat. Par Etat, il faut prendre en compte le pouvoir central, les provinces, les entités territoriales décentralisées et nos postes consulaires à l’étranger.

Comme vous voyez, la DGTCP est au cœur de l’attelage institutionnel des finances publiques en République Démocratique du Congo. Elle a un mandat fort. Elle s’assure que les deniers publics sont bien gérés et que les intérêts économiques de l’état sont sauvegardés.

Mais au-delà de l’approche purement finances publiques, il y a aussi une dimension économique à la DGTCP. En France par exemple, juste après la seconde guerre mondiale, le trésor français a été un élément essentiel de la redynamisation économique du pays, à travers le paiement de la dette intérieure auprès des entreprises et la rationalisation des dépenses de l’état. Le trésor français a eu un effet démultiplicateur sur l’économie nationale. Tout comme en Côte-d’Ivoire d’où je viens pour un voyage de partage d’expérience, j’ai eu le même témoignage. Après la dernière guerre civile, l’administration ivoirienne était par terre, l’économie ivoirienne était à genoux, la dette intérieure était ingérable et les fonctionnaires étaient non payés. C’est la DGTCP de la Côte-d’Ivoire qui a remis de l’ordre dans les finances publiques et a relancé l’économie. Elle a résorbé la dette intérieure, remis de l’ordre dans les finances, relancer le paiement de l’administration. Aujourd’hui les fournisseurs de l’Etat ivoirien sont payés endéans 30 jours. Ce qui a un impact important dans l’économie locale.  C’est ce rôle que je voudrais voir jouer la DGTCP congolaise sous ma direction.

En quittant la Côte d’Ivoire, j’ai dit à mes collègues Ivoiriens : Merci pour ce partage, bientôt je vous inviterais en RDC pour vous montrer que tous vos conseils ont été bien appliqués. Et j’espère que vous viendriez aussi apprendre chez nous.

Comment êtes-vous arrivé au poste du DG de la DGTCP ? Est-ce à la faveur d’un parti politique ou des accointances avec le pouvoir ?

Pas du tout! Je ne suis pas arrivé à ce poste par la faveur d’un parti politique. C’est le Président de la République, le gouvernement à travers le ministre des Finances qui a décidé d’organiser un concours pour permettre aux Congolais compétents de pouvoir mettre leur expérience au service du pays. Et c’est à l’issue de ce concours que le ministre des Finances a proposé mon nom à la haute hiérarchie. Lorsque ma nomination a été proclamée, je n’étais même pas au pays et j’étais étonné que la haute hiérarchie m’ait quand même considéré. Cela montre une volonté politique très forte d’insuffler un nouveau souffle dans les finances publiques.

Sans parapluie politique, pensez-vous être en mesure de vous acquitter efficacement de vos tâches?

Je pense qu’il est trop tôt pour répondre à cette question. Pour l’instant, la certitude est que le Président de la République a accepté de placer sa confiance en moi, après avis du Premier ministre et du ministre des Finances.  Je pense qu’ils se sont aussi posé la même question, et que malgré tout, ils se sont décidés d’accorder leur confiance à moi qui ne suis pas un homme politique. C’est tout à leur honneur. A leur place, très peu de gens l’aurait fait. Je pense qu’au-delà de tout, toute la nation congolaise, notre nation, se rend compte que nous devons prendre un nouveau cap, avoir un nouvel élan, une nouvelle direction et atteindre notre potentiel en tant que nation leader. La RDC, qui a été trop humiliée, est une nation qui doit être la locomotive de notre continent, et pour cela elle doit avoir des finances fortes. La réforme de la DGTCP va dans cette direction et cette réforme n’est pas une réforme politique, c’est une réforme de bon sens.

Notre pays a besoin des finances publiques bien gérées pour soutenir son développement. Il n’y a rien de politique à cela. Et je pense sincèrement, peut-être je suis un peu naïf, mais je le pense sincèrement, que tous les politiques m’aideront, car in fine, mon travail, c’est que leur base, notre population, puisse vivre mieux, avec dignité, dans un pays plus prospère.

D’ailleurs, je demanderais à tous les politiciens et la société civile de nous appuyer, de ne pas nous combattre pour des intérêts égoïstes. Mais plutôt de contribuer à notre réflexion, de contribuer à nos actions et de nous protéger.

Car à la fin, à travers, leurs frères et sœurs fonctionnaires qui pourront être payés décemment et régulièrement, à travers les infrastructures, les hôpitaux, à travers la sécurité que le gouvernement pourra financer de manière pérenne, ce sont les politiciens et leurs familles qui bénéficieront de notre travail.

Bien plus, en tant que DG de la DGTCP, je suis aussi un haut fonctionnaire de l’Etat, juste  un technicien. La décision politique revient à mon ministre de tutelle et au Gouvernement.

La réforme est souvent douloureuse, dit-on. Comment comptez-vous contourner les éventuelles résistances qui pourraient se dresser sur votre chemin?

Je ne me fais pas d’illusions, la tâche ne sera pas facile. J’ai travaillé dans le processus des réformes des finances publiques dans plusieurs pays, depuis plusieurs années. J’ai l’expérience des difficultés de la réforme. Je sens déjà une certaine résistance. 

Qu’est-ce que vous rencontrez déjà comme résistance?

J’entends dire que je ne suis pas un fils-maison, comme si notre maison commune n’était pas la République Démocratique du Congo… J’entends dire qu’avant ma nomination égale après ma nomination. Sans avoir parlé, déjà certains cercles font circuler des rumeurs sur mes motivations et mes compétences.  

Si mes intérêts étaient pécuniaires, je serais resté là où j’étais, j’avais l’assurance d’un travail tranquille et des avantages confortables. C’est difficile pour certaines personnes de comprendre que la motivation de quelqu’un peut juste être de servir ses frères et sœurs.

Pour qu’une reforme telle que celle de la DGTCP puisse fonctionner, il faut une très, très, forte volonté politique, je parlerais même d’un courage politique et un soutien populaire. Pour l’instant cette volonté, ce courage politique est là. La preuve, c’est que je suis devant vous. Et j’espère que le soutien populaire viendra dès que le programme, que nous comptons mettre en place sous la supervision du ministre des Finances et du Gouvernement, va commencer à se faire sentir. Mais tout processus de réforme prend du temps. Mon combat à moi, c’est que cette réforme se fasse vite pour que la nation congolaise puisse en profiter rapidement.

Actuellement les fonctionnaires de l’Etat se plaignent du retard de paiement de leurs salaires, malgré des excédents budgétaires annoncés fin 2022. Qu’est-ce qui va changer avec la DGTCP?  

Tout d’abord, je voudrais dire qu’avec des « Si » on aurait pu mettre Paris en bouteille. C’est pour vous dire que je ne peux pas spéculer sur une situation hypothétique.

Tout de même, je peux partager avec vous une réflexion. La structure actuelle de la chaîne de la dépense ainsi que celle de la recette n’a pas fondamentalement changé depuis les temps où nous avions des budgets de 4 milliards de dollars. Est-ce qu’un système qui fonctionne déjà avec des difficultés pour 4 milliards saura absorber avec efficacité un budget de 16 milliards ? Cela, en prenant en compte toutes les externalités imprévues auxquelles fait face le pays, tels que la guerre à l’Est du pays ou l’impact des cours des matières premières dont notre pays est fortement dépendant ?

Je pense que c’est pour ça que le ministre des Finances s’est battu aussi fort que possible pour la mise en place rapide de la DGTCP. Il s’agit de sauvegarder les intérêts financiers de l’état, de passer d’un système de gestion des finances publiques réactif, à la merci des imprévus, à un système de finances publiques proactif, capable d’anticiper et de gérer avec efficacité un budget de 16 milliards et les futurs budgets qui j’en suis sûr atteindrons des sommets encore plus haut.

Les finances publiques, bien gérées, sont un atout primordial pour soutenir l’économie d’un pays et créer un cercle vertueux pour favoriser les entrepreneurs, élargir la base industrielle, augmenter les revenus de l’état, augmenter les salaires des fonctionnaires et augmenter les dépenses pour le bien de la nation congolaise. Car  avant tout, nous servons le pays.

Qu’est-ce que vos collaborateurs en particulier, et la République, en général, peuvent attendre de vous?

Ce que mes collaborateurs peuvent espérer, c’est tout d’abord une vision claire et un cap bien défini. Nous savons où nous allons. Ensemble, nous allons gérer les aléas du quotidien pour atteindre ce cap.  La République peut attendre, tel qu’il me l’a été demandé par la haute hiérarchie, que la DGTCP, sous ma direction, serve notre pays avec probité, sérieux et dignité au grand bonheur de tous les citoyens congolais.