RDC : le choix très risqué de Félix Tshisekedi à la prochaine conférence de paix à Goma

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Félix Tshisekedi, président de la RDC. Ph. Droits tiers.

Goma, ville réputée martyre  des violences indicibles aux implications régionales dans l'Est de la RD Congo, est aussi connue pour les initiatives de paix dont elle abrite les travaux. C'est dans cette entité urbaine que l'East Africa Community (Communauté d'Afrique de l'Est) a donné rendez-vous, janvier courant, à des groupes armés locaux, réunis en décembre dernier à Nairobi, pour évaluer la situation sécuritaire et des propositions de décisions soumises au Chef de l'État avant de souscrire à des engagements de paix.

En quoi, dans une perspective axée sur le résultat, cette conférence sera-t-elle fondamentalement différente de celle sur la paix, la sécurité et le développement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu tenue, du 06 au 23 janvier 2008 à Goma, à l'initiative du Président Joseph Kabila? La différence de contextes et la marge des incertitudes suggèrent au pouvoir congolais de développer une intelligence stratégique face à un dilemme sécuritaire inhérent à la syncope qu'accuse la Force régionale de l'EAC.

Différence de contextes

En 2008, Joseph Kabila était dans une légitimité à la fois sociologique et électorale qui lui avait donné assez de marge pour tenter de dialoguer avec les groupes armés du Nord-Kivu et du Sud-Kivu en vue de la paix promise lors de sa campagne. Elu Président de la République avec le soutien et les congratulations de la "communauté internationale ", Joseph Kabila disposait d'une marge de revoir ses cartes et de corriger d'éventuelles erreurs des calculs stratégiques de ce choix rationnel du dialogue tenu sous la facilitation des Etats-Unis d'Amérique, de l'Union européenne, des Nations Unies, de l'Union africaine et de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs.

Par contre, la prochaine conférence de Goma, organisée sous les auspices de l'EAC intervient en pleine année électorale dans un contexte où Félix Tshisekedi a résolu de rempiler pour un second mandat. Ceci constitue un risque pour l'actuel locataire du Palais de la nation qui a promis de donner, s'il en faut, sa vie pour la paix dans l'Est du pays. L'option du dialogue avec les groupes armés des provinces de l'Ituri, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Maniema, du Tanganyika, relevant d'une initiative sous-régionale, expose le Gouvernement non seulement à une gestion peu rigoureuse du temps stratégique dans la résolution du problème sécuritaire mais aussi à la mobilisation des chefs d’Etat de cette organisation intergouvernementale en appui à la RDC réduite dans ses ambitions axées, dès lors, non pas sur la puissance mais plutôt sur la survie.

Les incertitudes de Goma

En 2008, la Conférence de Goma était loin de produire les résultats attendus, à savoir: la paix, la sécurité et le développement dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), duquel est issu le M23, avait repris les hostilités contre les Forces armées de la RDC, exigeant des pourparlers directs avec le Gouvernement qui avait opté pour une tactique du package dans le traitement  des groupes armés. Le rapport de force sur le champ de batailles ainsi que les pressions diplomatiques avaient donné lieu à des négociations à Nairobi et à Goma à la base de l'Accord de paix conclu le 23 mars 2009 entre le Gouvernement et le CNDP dont le M23 réclame la mise en oeuvre intégrale. Entre-temps, le compromis jadis trouvé avec les groupes armés avait perdu de sa portée suite à des frustrations parmi ces derniers et des dynamiques de leurs perceptions.

Au prochain round de Goma, le M23, l'aile militairement active, n'est pas convié. Tandis qu'il renforce sa position stratégique en vue d'éventuelles négociations avec le Gouvernement, ce groupe armé est exclu du tapis vert aussi longtemps qu'il ne se sera pas retiré des localités sous son occupation. Entre-temps, le Groupe d'experts des Nations Unies sur la RD Congo fait état d'une alliance entre des unités de l'armée congolaise et des groupes armés contre le M23. L'utilité de ces groupes armés "alliés", dans le choix tactique de certains officiers de l'armée, pousse à questionner l'(in)opportunité pour le Gouvernement de mettre les bouchées doubles en vue de leur désarmement, au-déla des défis financiers que l'appareil gouvernemental peine à relever. L'opérationnalisation efficace du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion sociale des combattants des groupes armés constitue un des piliers d'un processus de paix durable.

Dilemme en vue à Goma

Dès lors, il est rigoureusement difficile d'entrevoir, de la prochaine conférence de Goma, une issue positive, du point de vue pragmatique, du volet politique du processus de Nairobi consistant en des consultations avec les groupes armés en vue de leur autodissolution ou, en cas de refus, de leur neutralisation par l'armée congolaise, appuyée par la Force régionale qui peine à se mettre sérieusement en branle.

L'administration Tshisekedi pourrait ainsi se retrouver face à un dilemme inhérent au caractère poussif de la Force régionale de l'EAC qui, contrairement à la Feuille de route de Luanda du 23 novembre 2022, n'est pas (encore) intervenue pour contraindre le M23 de se retirer jusqu'au Mont Sabynio ; ce qui est de nature à ne pas rassurer la population congolaise quant à l'effectivité de l'engagement militaire de la Force régionale contre les groupes armés réfractaires au désarmement.

Il s'agirait ainsi pour le pouvoir de Kinshasa : soit de maintenir son intransigeance d'inclure le M23 dans ses consultations avec les groupes armés et courir le risque de compromettre le succès du processus de paix avec ces derniers, dont certains, en alliance avec des unités des Fardc contre le M23, ne pourraient alors être volontairement et massivement désarmés à court ou moyen terme. Soit d'admettre le M23 dans ce dialogue avec les groupes armés et, de là, le légitimer au risque de le voir exiger des pourparlers directs avec le Gouvernement comme le fit jadis le CNDP, eu égard à son poids sur terrain.

A moins d'une année des élections, Félix Tshisekedi devra lever une option et créer au mieux les conditions de réduction de la marge d'effets négatifs de son choix pour faire avancer le processus de paix vers un résultat qui soit "vendable" aux électeurs. Les effets boomerangs ne sont pas non plus à minimiser.

Lembisa Tini (PhD)