A la rencontre de Laurie Kamuyi, brillante jeune éco-preneur à la tête de BELKIN

Laurie Kamuyi
Laurie Kamuyi

A tout juste 35 ans, Laurie Kamuyi est experte en gestion de l’environnement. Eco-preneur, elle dirige une entreprise et une ONG qui participent à l’assainissement de Kinshasa et à la lutte contre la pollution environnementale, s’inspirant du modèle coréen. A sa passion, cette jeune femme ajoute des compétences rares en finances et ressources humaines. Avec une licence en économie monétaire internationale de l’Université Protestante du Congo et un master en ressources humaines de la KOREATECH UNIVERSITY  de Séoul, Mme Kamuyi est habituée des cabinets ministériels.

La rédaction de ACTUALITE.CD l’a rencontré pour vous.

QUI EST LAURIE KAMUYI ?

Je suis une jeune femme de 35 ans, passionnée en « gestion de l’environnement »; et pourtant détentrice d’un Master en Ressources Humaines de la KOREATECH UNIVERSITY de Séoul, et d’une Licence en Economie Monétaire Internationale de l’UNIVERSITÉ PROTESTANTE AU CONGO, avec une expérience professionnelle assidue dans le secteur bancaire et dans l’administration publique dont j’ai cumulé à travers 3 gouvernements, le poste de Conseillère en Stratégie Nationale au sein d’un Cabinet Ministériel.

J’ai appris la rudologie sur le tas, par expérience lors des séjours à l’étranger ; une grande passion m’est née pour l’industrie du déchet. Je suis désormais éco-preneur, et c’est à travers mes deux entreprises BELKIN SERVICES (issu de POUBELLES DE KINSHASA) et MECO (issu de Ménages écoresponsables) que je pose ma part au développement de mon pays, particulièrement sur les domaines de l’assainissement et de la lutte contre la pollution environnementale.

D'OÙ EST VENU L’INSPIRATION DE CRÉER BELKIN SERVICES ? COMMENT S’EST-IL PASSÉ?

Le tri des déchets est une pratique très sévère en Corée du Sud, mon séjour dans cette ville m’a fortement imbriquée. Sachant combien insalubre est Kinshasa, malgré tous les efforts des SALONGO et autres formes de sensibilisation par les ONG, mes ambitions ont abouti à la création en premier lieu de BELKIN, ensuite de MECO. Kinshasa respire la saleté, au quotidien. L’inspiration n’est pas loin dans ce domaine… (rires), il m’a juste fallu étudier profondément et comprendre l’architecture de la gestion des déchets dans la Ville pour me lancer avec conviction dans cette belle aventure.

QUEL EST VOTRE REGARD SUR LA GESTION DES IMMONDICES ET D’AUTRES DÉCHETS À KINSHASA ?

Il ya une lacune énorme au niveau des textes et lois, qui influence évidemment les rôles des autorités sur la question de l’assainissement de nos villes et particulièrement la gestion des déchets de tous types : solides, liquides et ceux qui polluent l’air. En RDC, les déchets ménagers des villes sont dits « Municipaux », c’est-à-dire dont la gestion relève du pouvoir des Bourgmestres. Mais j’ai circulé à Kinshasa, constatant que les Maisons communales ne formulaient aucun plan d’aucun Programme national intégré des déchets, que ce soit des ménages ou des industries de différents secteurs. Particulièrement sur la question du Développement Durable ou de l’éco-responsabilité publique. J’ai juste constaté les SALONGO (pratiqués surtout dans les marchés), ou de « KIN BOPETO » qui en fait n’est pas un Programme comme tel mais plutôt une idéologie pouvant intégrer toute action (publique ou privée)  en faveur de l’assainissement. Les immondices sont produites par des responsables qui sont déresponsabilisés, car non-prévenus. Les amendes n’étant pas imputées. Ceci combiné à des mœurs peu favorables à la salubrité de la ville. Que peut-on attendre en termes d’hygiène publique, d’une population dont seulement 12% possèdent des latrines modernes ? Il va de soi que l’insalubrité soit conséquente à un certain mode de vie très primaire. Les immondices de Kinshasa sont le reflet de la mentalité des habitants de Kinshasa. Il faut qu’on l’accepte, c’est aussi là le plus gros problème.

POUR CHANGER LES CHOSES, QUELS LEVIERS ACTIVER EN PRIORITÉ PAR LES GOUVERNEMENTS ? PAR LE PARLEMENT ET PAR LA POPULATION ?

L’actuelle loi N°11/009 du 09 Juillet 2011 portant principes fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement, ne survole aucune ligne précisant les modes de gestion des déchets ménagers par les entités publiques, même de manière tacite les rôles encadrés des initiatives privées. La loi ne souligne que la responsabilisation au sujet de l’entretien des sites publics. Il y’a lieu de constater que ce vide juridique influe sur la non-efficacité des implications diverses, tant par les ONG et les sociétés privées, que par l’Etat lui-même. A mon humble avis, nous aurons besoin de recourir à l’intelligence qui a été formulée avant l’indépendance par les Belges ; celle de poser un recadrage environnemental à tous les aspects de la vie urbaine : Créer des mesures contre le rejet de débris de tout genre le long des voies routières, créer des commissions d’hygiène par périphérie communales, décréter des mesures d’hygiène et de salubrité publique prévoyant des amendes réalistes, administrer des rôles régaliens aux Maisons Communales à travers des plans d’assainissement correspondant à chacune d’elles. En outre, avec l’ambition actuelle du Développement Durable, il serait utile de profondément muter le congolais dans sa mentalité à propos de l’hygiène.

Si les lois sont bien conçues, après implication des représentants du peuple et validation par les chambres, elles pourront être vulgarisées au profit des populations vivant en RDC, surtout les plus touchées par le fléau de la pollution environnementale. Je souhaiterais simplement que dans l’écriture de ces lois, participent les entreprises privées et le consortium des ONG. Nous estimons avoir les données assez réalistes du terrain et influencer positivement lesdites lois.

VOUS AVEZ CREE MECO. EN QUOI EST-CE QUE CETTE ONG EST DIFFÉRENTE DES AUTRES STRUCTURES QUI OEUVRENT DANS CE SECTEUR ?

Le concept de MECO est simple, et je vais expliquer le rapprochement avec BELKIN. Pour qu’un ménage s’abonne à BELKIN, il faut être longuement sensibilisé à la pratique du tri des déchets, suivi de près, et assisté. Ici je ne parle pas que du plastique, mais plutôt de plusieurs autres types de déchets. C’est en acquérant cette pratique de prévention contre la pollution qu’un ménage est qualifié « MECO » càd Ménage Éco-Responsable, et obtient un numéro d’abonnement BELKIN. Nous avions, en outre, démarré depuis juillet 2022, les formations professionnelles pour les éboueurs. C’est une exclusivité. Les éboueurs de Kinshasa n’avaient pas l’opportunité de se former en RDC, ce métier n’étant pas repris dans l’enseignement supérieur et professionnel congolais, MECO offre des mise à niveau aux professionnels œuvrant sur terrain dans le but d’améliorer leur mentalité mais surtout de les préparer à encadrer la population.

Nous avons donc créé des professionnels plus conscients des enjeux actuels de l’environnement, et nous sommes persuadés que ce mode de fonctionnement est plus responsable, favorable à la transformation positive de Kinshasa.

QUELLES SONT VOS GRANDS PROJETS AVEC MECO ?

Nous souhaitons premièrement pouvoir obtenir le soutien de la Direction de l’Assainissement et des autres entités au sein du Ministère de l’Environnement relatives à la gestion de l’assainissement, afin de créer des formations avec certification pour les éboueurs. Ceci permettrait de sortir ce grand métier de l’informel et d’encadrer les données des activités de collecte et évacuation des déchets, dont la Ville a besoin pour formuler de manière réaliste des projets de réformes. Nous avons aussi l’ambition de créer la première database de ménages écoresponsables de la Ville, d’y refléter des données statistiques en lien avec la pollution (par type de déchet) par les ménages, les produits recyclables les plus consommés,  le lien avec les décharges publiques, la fourniture des déchets recyclables aux sociétés de recyclage, etc.

QUELS SONT LES PRINCIPAUX DEFIS QUI SE DRESSENT DEVANT VOUS AVEC MECO ?

Nous avons, comme toute ONG, besoin de financement, de soutien de la part des autorités de la Ville (que nous avons déjà en quelques sortes) et de la part des bailleurs de fonds pour élargir nos activités au-delà de Kinshasa, pourquoi pas dans d’autres pays africains dont les problèmes sont similaires. Notre ambition est d’installer des volontariats, afin de multiplier l’impact du contenu de notre sensibilisation. Hisser le drapeau de la RDC, qui aujourd’hui est considéré comme pays solution aux changements climatiques, en termes d’exemple admirable à propos de l' éco-responsabilité des ménages en faveur du Développement Durable, est notre plus grand défi.

PARALLÈLEMENT VOUS GEREZ EGALEMENT BELKIN, QUELLE DIFFERENCE ENTRE LES DEUX STRUCTURES ? QUELLES SONT VOS GRANDES RÉALISATIONS AVEC BELKIN ?

BELKIN Services est une société par actions simplifiées (SAS), qui a pour services: la collecte des déchets triés à la source par nos abonnés (sensibilisés par MECO), et l’évacuation desdits déchets dans le plus simple format. Celui de poser les déchets non-recyclables au sein des décharges contrôlées de la Ville, et de transférer le plus professionnellement possible les déchets recyclables vers les sociétés de recyclage qui en demandent quotidiennement. BELKIN est l’unique société dont les éboueurs ne sont pas des pousse pousseurs, estimant que l’engin n’est pas moderne. Nous fabriquons localement auprès de la Fondation MBOYO (situé dans l’Institut National des Aveugles) des vélos tricycles non-motorisés, donc non polluants. Ceci dit, les abonnés BELKIN subviennent par ricochet à l’autonomisation des handicapés.

Nous observons de manière maximale le respect de l’environnement. C’est aussi l’unique société dans son domaine qui a créé des jeunes femmes éboueurs. Au vu du travail exposant leur santé, BELKIN a entrepris d’enregistrer ses éboueurs à des formules d’assurance-maladie. BELKIN est aussi la seule société de collecte et évacuation des déchets ménagers qui offre gratuitement des sacs poubelles à ses abonnés. Les sacs servant au tri des déchets qui est notre corebusiness. Nous avions auparavant atteint 231 ménages abonnés dans l’intersection des communes Lemba Camp Riche-Matete, et nous sommes désormais en quête de nous élargir proprement dans plusieurs autres communes à travers Kinshasa. Particulièrement les communes rurales.

Nous sommes la seule entreprise qui pèse les déchets de nos ménages, par types de déchets, afin de formuler des statistiques relatives au recyclage de manière globale.

ET VOS GRANDS PROJETS ?

Nous élargir ! (rires)

Nous désirons nous faire connaître du grand public en transformant un nombre maximum de ménages Kinois, car nous avions passé 2 ans sur une niche, et nous nous sentons prêts à voler plus haut ! Notre grand projet serait aussi de modifier l’entendement du déchet dans le commun des congolais. Sachant que tout déchet possède à ce jour une valeur tant marchande que productive mais encore sous-estimée.

QUE PENSEZ-VOUS DE LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE DANS LE CONTEXTE DE LA RDC ?

Selon moi, il ya plusieurs volets dont on ne fait pas mention, et je saisis l’occasion d’en discuter. Le premier volet c’est qu’en RDC nous avions embrassé le concept de « Développement Durable » en soulignant que la participation des forêts, du climat et de l’eau, sans véritablement tenir compte des prérequis de la transition écologique et de l’économie circulaire dont les mentions sont quasiment nulles.

Si le déchet produit quotidiennement n’attire pas notre attention, l’agriculture (qui se trouve être au centre des débats), à travers le reboisement, deviendra dans les années à venir notre plus grand problème. En effet, les déchets toxiques qui polluent les terres chez nous prendront des proportions considérables. Tenez, avec 1 seul centre d’enfouissement technique opérationnel pour plus de 18 millions d’habitants sur Kinshasa, les dégâts causés sous la Terre et aux environs du centre de Mpasa ont une portée non négligeable. Tout est mélangé, enfoui sous terre : les bribes de métaux, le plastique, les minerais, le pétrole, les déchets électroniques, les déchets médicaux, etc. Mais les dangers des lixiviats personne n’en parle ? Quelle est réellement notre intelligence en matière de prévention de la pollution ? Mais si nous n’avons pas de stratégie en cette matière, comment faisons-nous pour le plus grand volet qui est le changement climatique ? Le second volet est en matière de pollution : la proportion des investissements plongés dans la lutte contre le réchauffement climatique via le reboisement ou l’agriculture devrait être relative aux efforts de lutte contre la pollution environnementale à travers la gestion des déchets qui est d’ailleurs autant rentable. Nous pourrions notamment penser à l’écologisation de l’agriculture. Càd la valorisation agricole de nos déchets. Il est connu que l’apport des matières organiques renforce les processus écologiques de structuration et de fertilisation du sol, et accroît potentiellement les rendements sur le long terme. Je pense qu’il est donc crucial que nous considérons le déchet dans ses volets les plus rentables possibles, car nous le produisons chaque jour. En troisième lieu, il ya le volet humain. L’humain demeure au centre de tout. Investir dans la transformation des mentalités en RDC serait d’un apport considérable à propos de ces enjeux.