Des manifestations anti-Monusco au rapport de l'ONG Amnesty international dénonçant les violations des droits des femmes en Afghanistan, en passant par la position des Chefs d’État de la CEEAC au sujet de l'activisme du M23 au Nord-Kivu où les conflits communautaires à Kwamouth, la semaine qui s’achève a été très riche au niveau de l'actualité. Passy Mubalama revient sur chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Passy Mubalama et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?
Passy Mubalama : Je suis une militante pro-démocratie et activiste pour les droits des femmes basée à Goma. Depuis plus de 10 ans, nous avons créé AIDPROFEN (Action et Initiatives de développement pour la protection de la femme et de l’enfant) , une organisation de la société civile congolaise basée au Nord Kivu qui met en œuvre des activités qui cadrent avec les droits humains, avec un focus sur les droits des femmes, la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance ainsi que la paix et la sécurité. Nous travaillons dans différents territoires dont Masisi, Rutshuru, Nyiragongo.
Les manifestations anti-Monusco se sont répandues dans les villes du Nord et du Sud-Kivu de lundi à mercredi faisant une dizaine de morts avec des victimes dans les rangs de la force onusienne et de la population civile. Quel est votre point de vue sur la question du départ de la mission onusienne ?
Passy Mubalama : je voudrais condamner l’agressivité qui a été observée cette semaine au Nord et au Sud kivu, marquée par des pertes en vies humaines, des pillages systématiques lors de ces manifestations pour exiger le départ de la Monusco. Il est vrai que l'on a constaté que la Monusco a failli à sa mission de protéger la population civile et de stabiliser l’est de la RDC, je pense que si depuis 22 ans, les casques bleus n'ont pas été en mesure d’accomplir leur mission, effectivement ils doivent rentrer et essayer de trouver une solution alternative. Pour moi, la violence ne peut rien résoudre. Le gouvernement et la communauté internationale doivent comprendre que la population en a marre, nous avons besoin de la paix, et les ressources notamment que possèdent les Nations Unies ne devaient pas se limiter au payement du personnel plutôt que d'être affectées vraiment à la stabilisation de la région.
À Kinshasa, les Chefs d’États et des gouvernements de la CEEAC ont lancé un appel à " la solidarité communautaire" et adhéré à la feuille de route de Luanda (Angola), soutenant la cessation des hostilités par le groupe rebelle M23, ainsi que son retrait immédiat des positions actuellement occupées. Que représente cette conclusion pour vous ?
Passy Mubalama : cette conclusion des Chefs d’Etats et des gouvernements de la CEEAC est importante dans la mesure où elle demande la cessation des hostilités par les M23 et le retrait immédiat des positions actuellement occupées. Cet appel ne doit pas rester théorique, les Chefs d’Etats doivent le faire suivre par des actions pour contraindre les M23 à la cessation des hostilités. Les populations civiles sont en train de mourir. Si les M23 sont vraiment des congolais ils ne devaient pas occasionner une telle souffrance. Nous avons besoin de la paix dans la région.
Entre-temps, le porte-parole du M23 Willy Ngoma, avait affirmé que les conclusions de la médiation conduite à Luanda ne les engageaient pas. Pensez-vous que cette résolution des Chefs d'État de la région sera mise en œuvre ?
Passy Mubalama : si les Chefs d’Etat n’ont pas associé les M23 à ces dialogues, il est vrai qu'il leur sera difficile pour eux de s’engager. Ils (M23 ndlr) devaient être associés. Mais en même temps, je ne suis pas pour la négociation avec les M23. Au Rwanda par exemple, le président Paul Kagame ne peut pas négocier avec les Fdlr parce qu'ils sont considérés comme des ‘’génocidaires’’ et on l’accepte tel quel. Je pense que cette attitude s’applique aussi pour le gouvernement congolais et les M23 ainsi que d’autres groupes armés dans la région. Les M23 doivent déposer les armes au nom du patriotisme.
Des femmes activistes de l’Ouganda, de la RDC, du Rwanda et du Burundi se sont réunies dans un forum régional sur la Résolution 1325, dite “Femmes, Paix et Sécurité". Quelles sont vos attentes après cette rencontre ?
Passy Mubalama : c’est une bonne initiative, au vu du contexte régional actuel et les tensions entre le Rwanda et la RDC. Le rôle des femmes ne doit pas se limiter à des forums, il faut qu'elles mènent des actions concrètes de plaidoyer auprès des décideurs au niveau régional afin qu’une solution soit prise. Je crois beaucoup en la force des femmes et je pense que si elles s’impliquent à fond, nous pouvons trouver des solutions au problème que nous connaissons aujourd’hui dans la région des grands lacs.
À Beni, douze civils ont été tués en deux jours dans des attaques du groupe rebelle des Forces démocratiques alliées (ADF) dans deux villages. Quelles sont vos propositions à ce niveau pour faire réussir l'état de siège ?
Passy Mubalama : je continue à m’étonner qu’en plein état de siège où tout le pouvoir se trouve entre les mains de l’armée, des telles violations des droits humains continuent à être enregistrées. C’est inacceptable que les civils continuent à être tués par les ADF. Avec la rébellion du M23, on a oublié les ADF qui pourtant commettent beaucoup des violations des droits humains. Il est temps que tous ces groupes armés arrêtent de commettre ces exactions, crimes de guerre et crimes contre l’humanité en tuant des innocents. Le gouvernement congolais doit assurer la protection de la population civile.
Des centaines d'ex-combattants et leurs familles ont quitté jeudi, le camp de Mubambiro (Nord-Kivu) où ils étaient cantonnés plus de cinq ans après leur reddition volontaire. Ils se disent "fatigués des promesses du gouvernement". Quelles sont vos attentes à ce sujet ?
Passy Mubalama : cette situation des ex- combattants est grave. Le gouvernement doit prendre au plus vite une mesure urgente pour leur encadrement, si rien n’est fait cela pourra accroître l’insécurité dans la région.
Le coordonnateur du Programme de Désarmement, Démobilisation, Relèvement Communautaire et Stabilisation (PDDRS-C) a également présenté au premier ministre les difficultés liées à la mise en œuvre de la formation-emploi des ex-combattants en vue de leur réinsertion. Quelles sont les préalables pour la réussite de ce projet selon vous ?
Passy Mubalama : pour la réussite de ce projet, les préalables sont notamment de mettre à la disposition du coordonnateur les ressources nécessaires. Cette question de démobilisation est très importante. Le manque d'encadrement de ces personnes est un danger dans la communauté avec les risques que ces derniers retournent dans les groupes armés. Il est très important de bien les encadrer et de mettre à la disposition du programme les moyens et les compétences nécessaires. Jusqu'aujourd'hui,ce programme est resté fictif, le PDDRS-C est un programme très important mais il risque d'échouer si le gouvernement ne trouve pas les bonnes personnes pour le mettre en œuvre. Pourquoi pas ne pas travailler avec d’autres partenaires techniques et financiers qui peuvent aider sur le plan technique.
Des conflits communautaires sont signalés à Kwamouth ( Mai-Ndombe). A la base de cette tension, la hausse de la quantité des produits champêtres à donner par les non originaires aux autorités coutumières à titre de tribut après la récolte. Quelles sont vos recommandations sur cette question ?
Passy Mubalama : les conflits communautaires sont à éviter, parce que dans ces conflits, les victimes sont les populations. J’encourage la voix du dialogue, la réconciliation pour une cohabitation pacifique. Tout le monde en profite lorsqu’il n'y a pas de conflits.
En économie, la cérémonie du lancement officiel d'appels d'offres pour la vente aux enchères des 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers a eu lieu cette semaine. Estimez-vous que cette action sera rentable pour l'économie congolaise ?
Passy Mubalama : ces blocs pétroliers sont vendus à qui ? Pourquoi les vendre ? Je crois que la RDC doit essayer de développer ses propres entreprises pour ne pas toujours dépendre des pays étrangers. Nous devons être en mesure d’avoir à offrir aux autres pays et pas toujours le contraire.
Pendant ce temps, des organisations de la société civile se lèvent contre ces appels et demandent au Chef de l'État de suspendre cette offre. Pensez-vous qu'elles pourraient obtenir gain de cause ?
Passy Mubalama : je soutiens les organisations de la société civile, et le chef de l'État doit écouter ce qui est demandé.
La firme CIG MOTORS est en phase d'implanter une usine de montage des véhicules en RDC. La patronne de cette société a été reçue par le Premier ministre au cours de cette semaine. Est-ce une opportunité d'emplois, selon vous ?
Passy Mubalama : je pense qu’avoir une usine de montage des véhicules au niveau local est une belle opportunité. Elle serait meilleure s'il s'agissait d'une usine congolaise. Nous ne devons pas uniquement avoir des usines étrangères. Les indiens, les chinois etc… pourquoi pas les congolais. Le gouvernement doit plutôt encourager les investissements par les nationaux.
En justice, Jean-Marc Kabund a été auditionné cette semaine. Il lui est notamment reproché l'outrage au Chef de l'Etat dans des propos tenus lors de sa conférence de presse. Que pensez-vous de cette action de la justice ?
Passy Mubalama : la justice doit faire son travail pour établir si réellement il y a eu outrage au Chef de l’Etat. Mais je crains une justice de deux poids deux mesures. Au Congo, la justice n’est pas souvent impartiale et cela fait que l’on perd confiance en elle. Les libertés d’expression et d’opinion sont garanties par nos textes mais aussi des textes internationaux que la RDC a ratifiés, donc exercer ces droits là ne devait pas traîner une personne devant la justice.
En société, le gouvernement a signé une convention qui va permettre aux agents et fonctionnaires de l'État certifiés réguliers et détenteurs d'une carte biométrique de bénéficier gratuitement des soins de santé auprès des hôpitaux concernés ainsi que des frais funéraires. Qu'en dites-vous ?
Passy Mubalama : oui, donner des soins gratuitement aux agents de l'État est un bon geste. Cela ne devait pas être une faveur, mais un droit. S'ils étaient bien payés, ils pourraient contribuer à travers des contributions sociales. Mais leur salaire est minime, la moindre des choses pour le gouvernement c’est de miser sur ces avantages en nature.
Au niveau du continent, Blaise Compaoré a demandé "pardon" à la famille de Thomas Sankara, mais aussi à l'ensemble du "peuple burkinabé" pour "les souffrances" endurées pendant ses 27 années au pouvoir. Quel est votre avis à ce propos ?
Passy Mubalama : demander pardon c’est une bonne chose. Je pense que cela doit être suivi de plusieurs autres actions pour montrer que réellement il regrette ce qui avait été fait.
En ce qui concerne les tensions RDC- Rwanda, le secrétaire d'État américain est attendu en août dans les deux pays. En RDC, il va notamment s'entretenir avec des membres du gouvernement et ceux de la société civile au sujet de l’organisation des élections. Que pensez-vous de cette visite ? Avez-vous également des attentes ?
Passy Mubalama : l’arrivée du secrétaire d’État américain est importante. Il y a plusieurs questions importantes qui doivent être discutées. Celles liées aux élections de 2023, en font partie. Je pense qu’en plus des élections au niveau national, nous avons en RDC besoin des élections au niveau local pour afin d'avoir des représentants qui sont redevables au peuple. Si je rencontrais Anthony Blinken voilà ce que je lui dirais. Les questions de la coopération entre les États unis et la RDC mais surtout la gestion des ressources naturelles qui doivent bénéficier aux congolais.
Au niveau international, dans son nouveau rapport, Amnesty international dénonce les violations " des droits des femmes et des filles à l'éducation, au travail et à la liberté de mouvement". Il demande aux talibans d'adopter des changements politiques profonds, ainsi que des mesures visant à faire respecter ces droits. Que pensez-vous dudit rapport ?
Passy Mubalama : ce rapport d’Amnesty international est très important. Les rebelles oublient souvent les droits humanitaires. Les femmes, les enfants doivent être protégés à tout moment. Les groupes armés en RDC oublient également cela. Ils doivent changer cette façon de faire et respecter certains principes. Il n'y a pas de négociation à avoir sur cette question, ils ne doivent pas continuer à violer les droits humains peu importe le milieu où ils opèrent. S’ils continuent, ils devront à un moment ou l’autre faire face à la justice.
Propos recueillis par Prisca Lokale