RDC : l'actualité de la semaine vue par Chantal Faida 

Photo/ Droits tiers
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De la proposition rejetée au Sénat à propos de l'article 13 de la Loi électorale, aux échanges des tirs à un poste-frontière entre la RDC et le Rwanda, en passant par les préparatifs du déploiement d'une force régionale de l'EAC dans la zone Est de la RDC, la semaine qui s'achève a été très alimentée au niveau de l'actualité.  Chantal Faida analyse chacun de ces faits marquants. 

Bonjour Madame Chantal Faida et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours ? 

Chantal Faida : je suis une activiste sociale et coordinatrice nationale Uwema Asbl spécialisée dans la défense des droits spécifiques des femmes et des filles et d'autres groupes vulnérables ayant son siège social à Goma avec des antennes dans plusieurs autres provinces de la RDC. Consultante sur les questions genre, équité et gouvernance, je suis membre co-fondatrice du consortium national des jeunes femmes leaders et du CIC ASBL qui ont organisé du 25 au 27 mai 2022 le 6ème congrès régional des jeunes femmes politiques et entrepreneurs à Goma. Ce congrès a réuni près de 200 jeunes femmes venues de 7 provinces sur les thématiques  du leadership féminin, la construction de la paix, l'entrepreneuriat et  le processus électoral.

Je suis également entrepreneure possédant une librairie ambulante et un centre de formation professionnelle ELIKYA ya Mboka à Kinshasa. 

Au cours de la semaine, les femmes ont obtenu de l'assemblée nationale, l'amendement de l'article 13 de la loi électorale. La proposition du Sénat portant octroi d'un siège aux femmes dans une circonscription à plus de 3 sièges n'a pas pu aboutir. Que pensez-vous de cette décision ? 

Chantal Faida : l'amendement de l'article 13 de la Loi électorale certes constitue une avancée, cependant elle demeure moins contraignante au regard des dispositions constitutionnelles notamment l'article 14.
L'arsenal juridique congolais est impressionnant sur papier mais dans les faits, il est boiteux. Nombre de formations politiques seront tentées de ne pas observer cette innovation pour des raisons inavouées, alors que si la contrainte de non recevabilité des listes non paritaires était adoptée, on allait saluer l'avancée vers l'égalité effective. L'équilibre de représentation hommes-femmes sur les listes électorales avec la contrainte constitutionnelle n'est pas une faveur imméritée accordée aux femmes mais un droit fondamental et gage de l'émergence de la nation. Les formations politiques qui attestent manquer des femmes compétentes à aligner sont tout simplement paresseuses car l'histoire patriarcale de notre pays explique l'invisibilité des femmes dans la sphère publique. Mais les textes juridiques doivent guider l'action de tous. 

L'actualité sécuritaire demeure dominée par les tensions entre Kigali et Kinshasa. Au cours de la semaine, des manifestants à Goma ont tenté d'accéder au territoire rwandais avant d'être dispersés à coups de gaz lacrymogènes. Comment avez-vous vécu cette journée ? 

Chantal Faida : le 15 juin 2022, restera mémorable dans l'histoire de la construction de la paix et la sécurité en RDC. La ville de Goma a manifesté pour dénoncer l'agression Rwandaise ayant conduit à l'occupation illégale de Bunagana depuis cinq jours. Sur certaines banderoles, on pouvait aussi lire la condamnation de la collaboration de l'armée ougandaise avec l'armée rwandaise pour occuper Bunagana. 
Certains observateurs affirment que la population est l'armée la plus puissante pour veiller sur l'intégrité territoriale. Toutefois, il revient aux pouvoirs publics dotés du mandat de cette même population de faire le travail qui est le leur. Défendre l'intégrité du territoire national, protéger les personnes et leurs biens sur l'ensemble du pays. Nous déplorons les dérapages observés à la frontière Congolo Rwandaise et nous recommandons des stratégies préventives à la police pour que les débordements des marches pacifiques soient proscrites.

Des appels se multiplient au niveau local pour encourager le gouvernement à rompre ses relations diplomatiques avec le Rwanda. Parmi les interventions au courant de la semaine, on compte Martin Fayulu et l'église du Christ au Congo (ECC). Quel est votre avis sur cette question ?

Chantal Faida : la cohésion sociale et l'unité nationale nous imposent à formuler des recommandations pour que la question brûlante du manque de paix et sécurité appartiennent au passé. 
Toutes ces propositions ne sont pas exploitées à bon escient. Si les décideurs peuvent rapidement organiser une table ronde de la paix pour un tant soit peu capitaliser ces recommandations et arriver à un objectif commun.
Des mesures fortes sont nécessaires et je soutiens cette démarche de rupture diplomatique pour encourager les pays voisins à respecter les accords de coopération sous régionale. A l'instar de l'Accord cadre d'Addis Abeba de 2013, il y a une disposition qui interdit aux États signataires de ne pas entretenir ou apporter toute forme de soutien à des groupes armés non étatiques qui déstabilisent un pays membre. Quel sabotage de cet instrument puissant dans le chef de l'Ouganda et du Rwanda quand des preuves palpables d'agression sont mises à la place publique. Rien qu'à voir les munitions et équipements militaires des M23, on s'interroge sur la provenance de cette force militaire.

Des chefs militaires régionaux des sept pays de l'EAC vont réfléchir au déploiement d'une force conjointe appelée à être active dans les provinces de l'Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. La RDC qui s'est déclarée favorable à ce déploiement, souligne que le Rwanda ne doit pas y prendre part. Que pensez-vous de la position du gouvernement congolais ?

Chantal Faida : je m'oppose farouchement à cette force conjointe sous régionale dans les provinces sous état de siège ainsi que la province du Sud-Kivu. Nous devons récuser toute ingérence sécuritaire dans la recherche de la paix. La meilleure leçon apprise c'est qu'aucune force étrangère ne viendra imposer la paix à la place de nos forces de sécurité. Encourager la coopération économique sous régionale en plein jour c'est plausible car la RDC est victime de sa richesse et peut-être du faible leadership au niveau diplomatique. 
Je recommande la déclaration de l'État de guerre conformément à l'article 86 de notre constitution en vue d'allouer les moyens qu'il faut pour mener à bon port les opérations de défense et d'offensive de notre armée. L'accélération de la réforme du système de sécurité et la mobilisation nationale constituent également un problème au manque de paix en RDC. 

 Le Docteur Mukwege estime que cette force n'apportera ni la stabilité ni la paix et risque d' aggraver la situation. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Chantal Faida : je suis tout à fait d'accord avec notre Nobel de la Paix, Dr Denis Mukwege. 
Plutôt que de recourir à cette force, il vaut mieux investir en urgence dans la formation des officiers de nos forces de sécurité qui reviendront appliquer les tactiques des victoires. 

Un soldat congolais a été tué dans un échange de tirs à un poste-frontière entre la RDC et le Rwanda à Goma. Des sources locales rapportent qu'il venait de la ligne des fronts à Rutshuru, pris de colère suite au décès de son compagnon d'armes, il a ouvert le feu avant d'être abattu par un officier rwandais. Quel est votre avis sur cette question ?

Chantal Faida : l'incident survenu à la frontière Congolo-Rwandaise en date du 17 juin 2022 ayant causé la perte d'un soldat congolais est déplorable. Nous demandons l'ouverture d'une enquête urgente pour élucider les circonstances de sa mort et demandons aux protagonistes de toujours se référer au mécanisme conjoint de vérification des questions sécuritaires entre les pays de la région.

Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel et de la Communication (CSAC) recommande aux médias de ne pas programmer des émissions à téléphone ouvert concernant la situation de la guerre dans l'est, pour favoriser l'unité nationale. Que pensez-vous de cette mesure ?

Chantal Faida : la mesure du CSAC enfreint les dispositions 22, 23 et 24 de notre constitution d'autant plus que d'autres stratégies d'encadrement des interventions des auditeurs et téléspectateurs existent. Par exemple, garder les émissions à téléphone ouvert mais que le journaliste puisse recadrer les propos haineux et violents ou alors enregistrer en différée l'émission et diffuser le direct après modération des propos jugés infractionnels.

Au niveau du parlement, cinq députés ont été invalidés à cause des absences non justifiées et non autorisées aux séances plénières. La députée Mushobekwa a brandi quelques preuves justificatives de ses absences, traitant la décision d'injuste. Que dites-vous à ce propos ? 

Chantal Faida : le parlement est toujours considéré comme le temple de la démocratie. Parmi les principes de la démocratie, on peut citer : l'inclusion, la transparence et l'accès à l'information. La décision de la chambre basse invalidant 5 députés est non conforme aux principes de bonne gouvernance. L'opinion aurait souhaité entendre les deux sons de cloche mais il apparaît qu'il n ' y a pas eu confrontation des preuves des députés invalidés. Pour lever le flou qui entoure la décision, une possibilité de recours peut être adoptée en plénière. Les députés invalidés peuvent également saisir le conseil d'état pour que justice leur soit rendue. En ce qui concerne la députée Marie-Ange, l'opinion nationale est unanime, les organisations féminines particulièrement, sont préoccupées de son invalidation quand on voit l'arsenal des preuves irréfutables justifiant ses absences. Nous demandons justice pour la députée Marie-Ange, une femme politique active et dont les actions parlementaires sont à saluer et à encourager.

En culture, le rappeur Franco-congolais Youssoupha a annulé son concert prévu à Kigali au Rwanda, le 1er juillet 2022. Des voix s'élèvent également pour que le concert Wenge Musica 4x4 prévu à Kinshasa soit annulé. Quel est votre commentaire à ce sujet ? 

Chantal Faida : La culture est une arme puissante de mobilisation positive des masses. Je salue la décision d'annulation du concert de Youssoupha à Kigali. C'est un message fort et même une sanction infligée au Rwanda par un citoyen avec son art unique. En ce qui concerne le concert de Wenge Musica 4×4 prévu le 30 juin 2022 au stade des martyrs, je souhaite vivement que le plan du concert soit adapté au contexte sécuritaire dans l'Est du pays. En plus de l'ambiance de réconciliation de ces stars de la scène culturelle congolaise, la nation congolaise consacre cette journée mémorable à rendre hommage aux millions de morts depuis deux décennies pour cause d'agression. Avec une bougie, habillés en blanc signe de la paix, utilisons cette fête de la musique à Kinshasa pour en faire des obsèques officielles de plusieurs deuils jamais observés en RDC.

Lundi à Bruxelles, le chef du parquet fédéral belge remettra une dent de Patrice Emery Lumumba à sa famille, avant une cérémonie en présence des Premiers ministres belge et congolais. Que pensez-vous de cela ? 

Chantal Faida : les reliques de notre héros national seront enfin sur le sol de ses ancêtres. C'est un immense symbole de réconciliation avec notre propre histoire, de fin officiel du deuil et d'hommage à la mémoire de cette icône de notre indépendance. Nous souhaitons ardemment que des obsèques dignes du rang de ce héros national soient organisées, en plus de l'érection d'un mausolée en sa mémoire, que notre gouvernement puisse intégrer dans le programme scolaire l'histoire de la lutte de notre héros national P. Lumumba et ses compagnons aux générations futures. 

Un dernier mot ?

Chantal Faida : en guise de conclusion, je lance un appel à la communauté nationale et internationale à se mobiliser pour apporter un soutien humanitaire aux milliers de personnes déplacées de guerre et aux réfugiés congolais. L'assistance en vivres et non vivres pour les femmes, les enfants et les autres groupes de personnes vulnérables est salutaire pour sauver des vies, nous référant à l'article 66 de notre constitution.

Propos recueillis par Prisca Lokale