Patrick Muyaya : « Si nous ne mettons pas un terme aux groupes armés, notre mandat politique n’aura pas de sens »

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Ce billet de blog est une retranscription du cinquième épisode du podcast « Masolo ya Kati » du Groupe d’études sur le Congo (GEC), au cours duquel le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication et des Médias, Patrick Muyaya, a été interrogé par le coordonnateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, Pierre Boisselet, sur l’insécurité dans l’Est de la RDC. Le texte a été légèrement édité pour en améliorer la lisibilité.

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Pierre Boisselet : L’état de siège a été instauré il y a plus de quatre mois maintenant. Quel est le constat, selon vous ? Diriez-vous que l’état de siège a rencontré certaines difficultés qui n’étaient pas prévues ? Considérez-vous que c’est un succès intégral ?

Patrick Muyaya : Le président de la République, après son élection, a fait du retour de la paix à l’Est une promesse ferme. Vous savez mieux que moi que cette situation d’insécurité dure depuis plus de 25 ans et qu’on n’a jamais véritablement trouvé les solutions. On a essayé beaucoup de choses, qui n’ont pas donné de résultats. Le président Félix Tshisekedi a pris cette mesure radicale, qui est du reste est prévue dans la Constitution, et qui prévoit que lorsque l’intégrité du territoire est menacée, on puisse recourir à un état de siège. L’instauration de l’état de siège, qui était voulu par les populations meurtries pendant de longues années, était donc un impératif. Parce qu’il faut essayer toutes les solutions et toutes les pistes. Nous sommes satisfaits du fait que cette idée circonscrit le problème et nous permet de mieux le prendre charge. Ceci dit, nous savons que l’état de siège en lui même n’est pas la solution définitive au problème de l’Est, parce que les problèmes sont complexes. Ils sont d’ordre militaire, sécuritaire, économiques, sociaux, fonciers et miniers. Ce sont des problèmes qui sont transversaux.

Mais nous pensons commencer par la situation sécuritaire parce qu’il faut donner une thérapie de choc qui va nous permettre, en restaurant la sécurité, évidemment, de voir comment régler les autres problèmes. La vérité c’est que ces parties du territoire touchées par l’état de siège vivent une forme d’absence ou de faiblesse de l’autorité de l’Etat qui a permis à ces groupes armés de foisonner. Donc la décision du président de la République de proclamer l’état de siège illustre donc cette ferme volonté d’y arriver.

Quatre mois après, je ne saurai pas dire que nous sommes satisfaits parce que la satisfaction pour nous, comme gouvernement, c’est le retour de la paix. C’est de nous assurer que nos compatriotes de Beni et Bunia vaquent librement à leurs occupations. On va dire que nous connaissons des avancées. Nous n’avons jamais dit que l’état de siège mettrait fin de manière automatique à la situation d’insécurité ou aux différents massacres.

Aujourd’hui, vous voyez qu’il y a eu beaucoup de redditions. Et il y a un processus de désarmement qui a été mis en place. Il y a eu une réunion du comité de pilotage. Le triptyque que nous avons mis en place, opération militaire, sensibilisation des communautés et démobilisation des groupes armées, va nous permettre de connaître le succès.

Mais dans quelle mesure est ce que l’état de siège peut contribuer à la solution à problème ? Il a essentiellement donné tout le pouvoir provincial à des militaires. Mais est ce que c’est ça qui peut permettre de ramener la paix ? Si oui, par quel mécanisme ? Les problèmes sont complexes et les motivations sont tout aussi diverses et multiples. On ne peut pas penser régler le problème des groupes armés si nous ne regardons pas bien les différents conflits fonciers, miniers ou tribaux. Ces conflits ont été exacerbés du fait que les gens ne se sentaient pas en sécurité.

La nature de la menace, des défis, ne permettait pas à des gouverneurs civils de disposer pleinement des ressources pour y faire face. Ceci dit, l’état de siège est une situation temporaire. Nous le renouvelons tous les quinze jours et avec une évaluation sérieuse au niveau de l’Assemblée nationale. Mais nous pensons qu’une gouvernance militaire, pour un moment donné, peut permettre de mieux circonscrire les menaces. Vous connaissez les militaires, leurs méthodes, la discipline et tout le reste.

Le grand défi que nous avons, il faut qu’on se le dise franchement, c’est que nous avons une armée qui est à l’image du pays, en crise. Lorsque nous avions lancé l’idée de l’état de siège, nous avons reçu beaucoup des résistances de la part de nos partenaires traditionnels qui disaient « mais pourquoi confier la gestion de ces provinces à l’armée alors que l’armée est considérée comme une partie du problème ? »

Ce n’est pas notre avis. Nous, nous pensons que l’armée est une partie de la solution, justement, et que très souvent, il y a une généralisation. Bien évidemment, il y eu des brebis galeuses. Mais regardez les efforts qui sont faits : on les juge, on les condamne, on des arrêtes, on les interpelle. Même en plein état de siège.

En même temps que nous faisons l’état de siège nous devons régler les problèmes de l’organisation de l’armée, nous devons regarder la chaîne d’approvisionnement en militaires, les rations, les capacités opérationnelles. Tout ça, c’est des choses qui se font en même temps, dans un contexte où l’enveloppe budgétaire est assez réduite.

Il y a aussi un volet diplomatique. Nous avons des voisins rwandais et ougandais. Des groupes comme les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda] et les ADF [Forces démocratiques alliées] constituent une menace à leur sécurité. Le président, qui s’est installé trois semaines dans l’Est, a eu l’occasion de discuter avec ses homologues sur ces sujets, pour voir comment on peut commencer à prendre en charge ces questions à leur niveau.

Justement, le président ougandais Yoweri Museveni a donné une interview à France 24, dans laquelle il a dit que son armée était prête à intervenir au Congo pour traquer les ADF et qu’il n’attendait plus que l’annonce du gouvernement congolais pour le faire. Est ce que vous confirmez que ce projet est dans les cartons ?

Il y a des discussions qui existent. Je vous ai dit que le président de la République a discuté avec le président Museveni. Les ADF, sont une menace conjointe. Ils circulent à la fois chez nous et ils vont en Ouganda. Je crois que nos armées discutent et font du partage de renseignements. C’est déjà une forme de collaboration. Mais l’idée de troupes ougandaises de venir opérer dans notre contrée, cette option n’a pas été levée. N’oubliez pas qu’il y a la Brigade d’intervention de la Monusco.

L’idée n’est pas d’amener des armées étrangères à faire la guerre sur nos territoires. Nous n’en gardons pas de bons souvenirs. Mais l’idée, c’est de dire parce que c’est une menace conjointe, nous travaillons avec eux sur des options. Pour l’instant, ce n’en est pas une.

Donc vous n’excluez pas que ça puisse peut être le devenir...

La situation est évolutive avec le terrorisme. Je ne saurai pas vous dire qu’on n’y arrivera pas. L’idéal pour nous, c’est que c’est à nous de faire cette guerre. La Monusco est là depuis vingt ans. Mais on ne va pas demander aux Casques bleus indo pakistanais de venir mourir dans nos forêts. Il faut qu’on soit réaliste. Ceci dit, il n’est pas exclu que nous puissions collaborer avec la Monusco de manière étroite pour voir dans quelle mesure on avance pour mettre fin à cette menace. Le terrorisme, c’est un cancer qui se métastase.

On a appris qu’un accord a été signé avec le Rwanda concernant l’exploitation de l’or. Est ce que ça rentre aussi dans le cadre de la politique sécuritaire ? La RDC n’a-t-elle pas la capacité de transformer la production des mines d’or qui se trouvent sur son territoire?

Vous savez, la frontière RDC-Rwanda, c’est la frontière la plus fréquentée au monde après la frontière Etats-Unis – Mexique. Avant le Covid, c’était 60 000 personnes par jour. Ça veut dire que les populations, pour collaborer, n’ont pas besoin que les politiques s’entendent.

Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu des accords en marge de la visite du président rwandais à Goma. Les présidents sont partis visiter le site de l’éruption. A quelques kilomètres se trouvent les bastions des FDLR dans le Nyiragongo. Nous savons qu’il y a des problèmes d’ordre diplomatico-sécuritaires, mais nous savons aussi que les populations coexistent et font du business.

Donc, on a fait un accord sur la protection des investissements. Et puis, il y a eu cet accord, qui a été comme parrainé par les deux présidents, d’une entreprise rwandaise et d’une entreprise publique congolaise. Pourquoi ne ferait-on pas affaire avec le Rwanda ? Ce n’est pas que nous n’avons pas forcément les capacités, mais aujourd’hui, nous vivons dans un monde mondialisé. Si nous échangeons avec les Chinois et les Libanais, pourquoi n’échangerions nous pas avec les Rwandais ? Nous sommes liés parce qu’il n’y a pas des frontières naturelle entre nos pays. Traditionnellement, nos populations ont toujours été très proches.

Dans l’Est, le groupe le plus dangereux de loin, c’est ce sont les ADF. Leur stratégie peut être qualifiée de terroriste. Mais comment faire pour faire face à cette menace ?

Les moyens sont multiples, spécialement lorsqu’ils font du terrorisme. Les ADF occupent cette partie du pays depuis bien longtemps, depuis le maréchal Mobutu, il y a 20 ou 30 ans. Ils sont fondus dans la population, ils ont recruté des supplétifs.

Dans la guerre classique, vous savez qu’il y a un front, vous y allez. Mais lorsque les gens décident d’utiliser des humains comme de bombes, exactement comme nous voyons des kamikazes ailleurs, c’est inquiétant.

C’est pour ça que nous nous considérons que la sensibilisation est une stratégie de taille qui peut nous permettre de mettre fin à cette guerre. Donc, autant on va combattre pour leurs sanctuaires identifiés, comme Madina, autant nous devons faire fonctionner un réseau puissant de renseignement en territoire de Beni, en ville de Beni pour voir qui sont les relais, qui sont ceux qui sont prêts à se battre pour eux.

Nous comptons sur nos forces armées, nous comptons sur nos communautés locales pour pouvoir créer une dynamique qui permette de mettre fin à cette histoire des ADF.

Lorsqu’on regarde la chronologie, on se rend compte que ces massacres ont redoublé d’intensité à partir du moment où le président a déclenché l’offensive de grande envergure contre ce groupe, fin 2019. Alors, est ce que cette opération avait été suffisamment préparée pour que les civils soient protégés afin qu’ils n’aient pas à en subir les conséquences ?

Ce n’est pas l’état de siège qui est à la base des massacres. Ce sont ces terroristes qui ont toujours opéré de la sorte. À chaque fois qu’il y a une offensive militaire de l’armée, ils s’en prennent à la population et ils font beaucoup de publicité sur ce qu’ils font. Ce qui fait que les gens ont l’impression que c’est parce qu’on a décrété l’état de siège qu’il y a des morts. Mais en réalité, s’il n’y avait pas d’état de siège, il y aurait des morts.

Notre armée se réorganise, notre armée va monter en puissance, notre armée va les combattre. Les problèmes dans l’armée sont en train d’être résolus. Nous pensons que nous allons y arriver. Lorsqu’on a instauré l’état de siège, de gens craignaient des violations des droits humains. Mais quatre mois après, je crois que ceux qui craignaient des arrestations, ou des restrictions des libertés ne les vivent pas. Aujourd’hui, ce qui est liberticide, ce qui est meurtrier, c’est la présence des ADF, c’est la présence de groupes armés. Nous, nous représentons l’Etat. Nous avons la volonté d’y mettre un terme parce que si nous n’y mettons pas un terme, notre mandat politique n’aura pas de sens.

Vous avez parlé de montée en puissance des opérations militaires. Il y a une chose un peu paradoxale dans nos observations c’est que, depuis l’instauration de l’état de siège, on ne voit pas d’augmentation de l’activité des FARDC. Elle a plutôt tendance à diminuer selon nos chiffres. Est-ce que en confiant des responsabilités civiles à l’armée, on ne l’a pas détournée de sa fonction ? Êtes-vous en capacité de nous dire à quelle étape on va voir plus de choses sur le terrain. Est ce qu’il y a des budgets qui ont déjà été débloqués ? A quelle date ?

Je crois qu’il y a un budget qui a été débloqué. On parle de 33 millions de dollars pour l’état de siège. Il y en aura encore davantage parce qu’on n’a pas le choix : il faut mettre fin à cette situation. Mais je pense aussi globalement que lorsqu’on a mis en place l’état de siège, on a mis un gouverneur militaire qui devrait s’occuper des opérations et on a mis un vice-gouverneur policier qui devait s’occuper du maintien de l’ordre. Mais l’administration existe. Et la plupart des conseillers des deux gouverneurs militaires étaient dans les gouvernements provinciaux. Par exemple, pour le cas du Nord-Kivu, le gouverneur Carly Nzanzu, même si il n’est plus gouverneur agissant, travaille étroitement avec le gouverneur militaire.

Les affrontements et les opérations se font en forêt. La plupart les bastions sont au fin fond du parc des Virunga, des zones où parfois, le gouverneur de l’Ituri nous l’a expliqué, il n’y a même pas un rayon de soleil. Est-ce qu’il faut commencer à faire la publicité de toutes les opérations, mettre des caméras pour montrer qu’il y a les opérations. La vérité c’est que nous avons des militaires qui meurent. Des militaires qui sont blessés, des militaires qui disparaissent. Quand nous étions à Béni ou en Ituri, nous avions visité des hôpitaux militaires avec le Premier ministre. Quelle n’a pas été notre peine de voir des militaires amputés, blessés, brûlés, dévisagés. Elle est cruelle cette guerre. Mais ce que je sais, c’est qu’il y a des opérations, qu’il y a des avancées. On parle des routes qui ont été ouvertes en Ituri, à Beni, la RN 4, la RN 27...

Elles sont encore attaquées malheureusement...

Oui, mais ces routes sont attaquées de manière terroriste. Lorsque vous avez une colonne de 200 véhicules allant dans une direction, ceci veut dire que vous êtes exposés. Peut être faudrait-il jalonner un peu plus de militaires sur la région.

Mais je crois que lorsqu’une attaque de ce genre survient, ça nous permet à nous de réadapter notre stratégie pour faire face à ces types de menaces parce que nous avons choisi d’escorter les populations qui circulent entre les deux provinces pour être sûrs qu’ils sont sécurisés. C’est la motivation de départ. Nous y travaillons avec la Monusco. Malgré l’attaque qu’il y a eu, nous continuons.

L’état de siège n’a-t-il pas été lancé d’une manière prématurée ? Vous nous expliquez à quel point, effectivement, il y a des FARDC qui souffrent et c’est incontestable. Tout le monde compatit avec ça. Il faudrait qu’ils soient plus nombreux, qu’ils soient mieux équipés. Est ce que ça n’aurait pas dû être fait avant le déclenchement de l’état de siège ?

On ne pouvait pas attendre que nos populations continuent de mourir. Même si aujourd’hui, les gens ne voient pas encore le bien fondé de l’état de siège, nous, nous le voyons. Nous voyons qu’il y a des progrès. Vous savez que notre armée est en crise depuis bien des années. Il ne faut pas attendre du président Tshisekedi, malgré toute la volonté politique qu’il a, de créer une armée en deux ans. Nous devons faire avec la même armée. C’est sur cette armée là et c’est sur cette police là, malgré les problèmes, qu’il faut compter. On n’a pas le choix. En même temps il y a des unités qui sont en cours de formation, qui seront versés sur le front après reconditionnement.

Le président Tshisekedi, lors de sa dernière visite dans l’Est, a parlé de la mafia qui gangrène l’armée. C’est un discours assez nouveau, même si la réalité qu’il recouvre est ancienne. Cette mafia, elle remonte jusqu’où dans le système ? Est ce que ça se passe simplement sur le terrain ? Est ce que ça va plus haut ? N’y a-t-il pas certains militaires qui sont aujourd’hui à des postes haut placés à Kinshasa et qui mériteraient aussi d’être écartés ?

Le président de la République lui même, de manière d’ailleurs courageuse, l’a dit publiquement parce que nous estimons que nous n’avons rien à cacher. On travaille dans la transparence. Depuis les débuts de l’état de siège, vous avez vu tous les ministres, y compris le gouverneur de la Banque centrale, passer devant la commission des Finances à l’Assemblée pour justifier chaque dollar qui a été décaissé. Ceci dit, nous sommes arrivés dans un contexte où il existait des pratiques dans l’armée, des détournements, des effectifs qui ne correspondent pas à ceux sur le terrain...

Lorsque le président le relève, ça veut dire que nous avons l’avantage d’identifier le problème. C’est le début de la solution. Quelques jours après, vous avez vu l’Inspecteur général de l’armée se rendre sur place. Vous avez vu qu’on a procédé à des interpellations.

De cette manière là, nous réussirons progressivement à extirper les mauvaises troupes.

L’inspecteur général, sauf erreur de ma part, c’est le général Amisi, alias Tango four. Lui même est sous sanctions des Etats- Unis et de l’Union européenne. Il a été accusé par certaines enquêtes d’être mêlé à des réseaux économiques illégaux. Est ce que ce travail d’assainissement ne devrait pas justement commencer par remplacer quelqu’un comme cela ?

Si vous regardez bien l’armée, il y a beaucoup de gens qui ont été remplacés depuis l’arrivée du président. Il y a des efforts qui sont faits quotidiennement. Il y a peut être eu un ou deux officiers qui sont encore concernés par les sanctions américaines. Mais il ne faut pas mêler les deux. Il y a une enquête qui concerne l’état de siège spécifiquement et il y a d’autres éléments. Il y aura le temps de la justice. Si le général Amisi a été impliqué ou a été accusé je crois que le moment venu on tirera les conséquences. L’idée ici, c’est de dire nous devons être sûrs que dans notre armée, il n’existe plus de pratiques suspectes de corruption, de connivence avec les groupes armés et tout le reste.

Les efforts sont en cours pour démêler les maux que nous avons trouvés.