La Synergie des Femmes de la Société Civile (SYFES) a présenté ce 14 septembre, 224 jeunes kinoises bénéficiaires d’un programme de réinsertion sociale appuyé par l’Ambassade de la Suède et la Fédération mondiale contre la drogue. Anciennes Kulunas, filles-mères, ex-dépendantes de la drogue, elles ont pris part durant une année à la première phase du projet « Jeunesse Sobre, communautés saines : Transformer les jeunes violents à Kinshasa », et seront orientées vers des métiers de leur choix.
« Je suis très heureuse de voir le résultat de cet investissement après une année de travail intense », confie Rose Muchanga, Coordonnatrice de la SYFES.
Et d’ajouter, « Nous avons trouvé ces jeunes-filles pour la plupart au point mort. C’était difficile de les approcher et les convaincre. Nous avons organisé en tout 14 clubs dans les communes de Kinshasa et Sélémbao. Il fallait recenser des jeunes filles accros à la drogue de toutes sortes et à l’alcool (Chikata, Bombe, Cigarette, Aguéné, Lotoko, Whisky…). La plupart d’entre elles sont des kulunas (délinquants). Nous avons tenu des séances de récupération à travers des sessions psychosociales pendant 4 mois, pour les aider à comprendre les méfaits de ces substances sur leurs organismes et sur leur comportement, les aider à se décider d’abandonner la dépendance à ces substances mais aussi à vaincre la violence. Eduquer une femme, c’est éduquer toute une nation, dit-on. Et lorsqu’une fille est déroutée, il en est de même pour son avenir et celui de la nation ».
Des témoignages effarants
C’est avec larmes aux yeux qu’une dizaine de filles ont pris la parole. Elles ont raconté leurs parcours et donner le résultat de la prise en charge sur leur comportement. Rosette, 24ans, est la première à s’exprimer.
« J’avais 9 ans lorsque j’ai quitté le toit de mes parents. Je passais mes journées et dormais la nuit sur des étalages du marché Gambela. Je grandissais, j’ai fait la rencontre d’une amie, enfant de la rue également. Avec elle, nous avons commencé à passer nos nuits dans les dépôts des marchandises. Plus tard, je suis tombée enceinte. Je ne savais pas qui était le père. Je n’avais qu’un seul choix, avorter. Je me suis prostituée pour pouvoir le faire. Ensuite je me suis engagée dans une relation avec un jeune-homme Kuluna. Il avait une cabane, c’est là qu’il m’a logée. Il me droguait et me proposait à ses clients. Il me menaçait de ne pas le quitter, sinon il allait me tuer. J’ai fait une succession d’avortements (…) un jour, j’ai rencontré les mamans de la SYFES, ma vie a changé », explique-t-elle.
Adèle, a 18 ans, elle a trois enfants. Elle a été abandonnée à 2ans par son père, sans connaitre l’identité de sa mère. « Il m’a arrachée auprès de ma mère à Lubumbashi (Haut-Katanga) pour m’abandonner à Kinshasa. Je vivais dans la rue. Je devais soit me prostituer, soit voler pour me nourrir », se rappelle-t-elle en larmes.
Et de renchérir, « J’avais deux enfants lorsque je suis tombée enceinte pour la troisième fois. J’ai pris des comprimés, j’ai tout fait pour avorter et cela n’a pas marché. Après la maternité, mes amies (enfants de la rue) ont réuni de l’argent pour me faire libérer. L’un de mes enfants est tombé gravement malade. J’étais au bout de mes forces, je ne savais plus quoi faire. Je me tenais au Rond-Point Victoire pour mendier. (…) grâce à ce programme, « Mon chemin, mon avenir », j’ai une idée de la femme que je suis et de celle que je peux devenir. Je souhaite trouver de l’emploi pour prendre soin de mes enfants ».
Présidente de l'ONG Cadre de récupération pour l’épanouissement des jeunes (CREEIJ Asbl), Pascaline Zamuda a aussi pris part à cette activité. Pour elle, il s’agit d’une catégorie assez spécifique. La réinsertion sociale des jeunes ex-toxicomanes exige qu’ils se sentent impliqués dans le programme.
« Ce sont des victimes, qu’elles soient dans la prostitution, dans le proxénétisme, dans la consommation de la drogue ou autre, elles sont victimes d’un certain manque d’attention, d’accompagnement, d’affection. Et il faut prendre en compte tous les aspects possibles pour leur réinsertion sociale. Ce n’est pas avec les discours, la traque, l’intimidation que l’on peut vaincre la drogue Bombé et toutes les autres. Il faut de l’encadrement à la base. Il faut les identifier et organiser une prise en charge psycho-sociale, ensuite assurer leur autonomisation financière », a-t-elle expliqué.
Une rémunération prévue à chaque fin du mois
Directeur Pays de la Fédération mondiale contre la drogue (WFAD), Dandy Yela, a fait savoir que la deuxième phase du projet consiste essentiellement en l’autonomisation de ces jeunes filles.
« C’est un projet étalé sur 3 ans. Il vise 1500 jeunes congolais. Nous sommes heureux d’avoir atteint notre objectif de 500 jeunes pour cette première année. L’étape suivante consiste à orienter certaines d’entre elles vers des centres de formation professionnelle, les unes à retourner à l’école mais trouver également de l’emploi pour les autres. Pour qu’elles ne retournent plus dans l’ancienne vie, il leur faut une occupation et une autonomisation. Nous avons prévu cela. Elles seront prises en charge et payées à chaque fin du mois », a dit Dandy Yela.
Pour clôturer la cérémonie, des brevets ont été remis aux 224 jeunes filles. Plusieurs personnalités ont pris part à cette activité, notamment le bourgmestre de la commune de Kinshasa, les représentants du Directeur national du programme de lutte contre la toxicomanie, de la ministre provinciale de la santé, du gouverneur de la ville, du ministère du genre.
Prisca Lokale