RDC : encore loin de la parité au sein des institutions publiques [ENQUETE]

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Un bref aperçu de l’évolution de la situation de la femme sur la scène politique de la République démocratique du Congo montre qu’on est loin d’atteindre la parité homme-femme comme le prévoit l’article 14 de la Constitution du pays, à savoir: «  l’Etat garantit la mise en œuvre de la parité homme et femme. Cette disposition est une norme d’organisation qui oblige l’Etat à veiller sur la mise en œuvre de la parité entre homme et femme». Il suffit de scruter les institutions publiques pour se rendre compte de la faible présence de la femme congolaise dans les rouages importants et les postes de prise de décision. Pour mieux comprendre les raisons de ce déséquilibre social et envisager des pistes de solution, nous avons pris pour échantillon l’assemblée nationale, le sénat et le gouvernement central. Nous avons rencontré et interrogé différentes catégories socio-culturelles intéressées par cette problématique. À l’issue de nos investigations, il se dégage que de 2006 jusqu’ à nos jours, la RDC n’a jamais franchi la barre de 30 % des femmes dans les institutions publiques conformément à la loi.

La république démocratique du Congo est parmi les pays de l’Afrique centrale où il y a une faible représentation de la femme dans les institutions et même sur la scène politique, dominée par les hommes. Outre la constitution, la loi  15 /013 DU 1 aout 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité énonce que « l’homme et la femme jouissent de façon égale de tous les droits politiques. La femme est représentée d’une manière équitable dans toutes les fonctions nominatives et électives au sein des institutions nationales, provinciales et locales. En cela y compris  les institutions d’appui à la démocratie, le Conseil économique et social ainsi que les établissements publics et parapublics».

Dans les faits, la sortie du nouveau gouvernement dit de l’union sacrée mi-avril a montré qu’on était encore loin du compte, même si le pays a connu une avancée significative. En effet, 27 % du gouvernement sont constitués des femmes dont une Vice-Premier ministre en charge des questions environnementales. Des efforts salués par une bonne partie de la classe politique et des activistes du genre qui en redemandent. Par contre, la destitution, quatre mois auparavant de la seule femme à la tête d’une institution politique,  Jeanine Mabunda, ancienne présidente de la chambre basse du parlement et deuxième personnalité du pays, a été ressentie comme « un vrai recul pour la cause de la femme », comme le regrette Solange Masumbuko Nyeniezi, députée élue de la circonscription de Lukunga sur les listes de l’Afdc-A, plate-forme dirigée par le président du sénat, ayant adhéré à l’Union sacrée de la Nation. Jeanine Mabunda aurait fait les frais des désaccords au sein de la coalition au pouvoir de l’époque : le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila et Cap pour le changement (CACH) de Félix Tshisekedi.

Figure 1: Représentation des femmes à l’Assemblée nationale et au sénat  de 2006 à nos jours

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En observant attentivement  le tableau ci-dessus, on constate que l’évolution de la femme au parlement  de la première à la troisième législature a augmenté mais beaucoup d’effort reste à fournir afin  d’atteindre au moins 30% des femmes à l’Assemblée nationale et au sénat. Néanmoins, pour la première fois depuis 2006, trois femmes ont été élues en février au bureau de la chambre haute au poste rapporteur-adjointe, questeur et questeur-adjointe, passant ainsi de 14 % à près de 43 %.

S’il faut faire le même constat dans l’exécutif national, nous pouvons constater que le taux a évolué avec le temps, même s’il reste en deçà des textes. Par exemple dans le  gouvernement piloté par le premier ministre Samy BADIBANGA, qui était composé de 67 ministres, on n’y trouvait que 8 femmes soit 11,9% tandis que dans le gouvernement de Bruno TSHIBALA sur 59 ministres, il y avait que 6 femme soit 10 ,1% .

Le gouvernement du  premier ministre sylvestre ILUNGA ILUKAMBA comptait  12 femmes  sur un total de 65 ministres portefeuilles, soit 17%. Celui de Sama Lukonde aligne 14 ministres femmes sur un total de 56 ministres soit 27%

Figure 2 : Représentation des femmes dans le gouvernement national depuis 2006

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Cette faible représentativité contraste avec les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui attestent qu’il y a eu 51% des femmes enrôlées lors du processus électoral en 2018. La plus grande question que les observateurs se posent est celle de savoir quelles sont les raisons qui justifient la faible représentation de la femme dans le poste de prise de décision à différents niveaux ?

Question de mentalité

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce décalage entre la volonté exprimée dans les textes légaux et la pratique de terrain. Judith KITEMBO, qui a fait des études de communication pense que « les hommes vivent encore avec des constructions sociales anciennes qui dénient à la femme la capacité de décliner un leadership responsable. Beaucoup d’hommes ne sont pas encore arrivés à comprendre que ce n’est pas le fait d’être femme qui devrait nous empêcher de pouvoir accéder à  certains postes parce que le développement de notre pays n’ a pas besoin de sexe mais il a besoin des têtes bien faites». En effet, estime-t-elle : «ce n’est pas le fait d’être une femme qui va nous empêcher de développer notre pays. Pour se développer, le pays a besoin des cerveaux même si ce cerveau se retrouve dans un corps féminin. Il faut que les hommes arrivent à comprendre qu’on a besoin de tous ceux et toutes celles qui peuvent nous permettre à notre pays de se développer».

Pour le chef des travaux Gabriel KAMBA, enseignant en science politique à l’université de Mbandaka et doctorant à l’université de Kinshasa : «il y a des pesanteurs socioculturelles qui pèsent sur la femme. Dans l’imaginaire collectif africain, la femme ne peut pas diriger ou faire de la politique là où il y a des hommes. Il suffit de voir la manière dont sont traitées les femmes qui sont en politique au sein de la société. Donc à ce niveau-là déjà, les femmes se sont pas préparées à cette fonction là (la politique)». A ces raisons socioculturelles s’ajoutent des raisons économiques qui empêchent la femme de s’occuper de la politique dans une économie de survie où repose sur elle le poids de la famille. «Les hommes profitent de tous ces constructions sociales qui sont dans notre société pour empêcher la femme de pouvoir émerger dans la société et plus particulièrement dans la politique», argue le chef des travaux Gabriel KAMBA.

De l’avis d’autres spécialistes, tout repose sur l’éducation de la jeune fille en RDC. Le schème culturel le plus répandu est celui qui considère le garçon comme le chef de la famille: celui qui doit faire des longues études car il doit prendre en charge sa petite famille tandis que la fille doit apprendre à faire le ménage  et s’occuper de son mari et des enfants. Cette éducation que reçoivent certaines jeunes filles leur inculque un esprit de non compétitivité. Conséquence : certains hommes lorsqu’ils prennent en mariage une jeune fille, exigent à cette dernière de pouvoir s’occuper uniquement du ménage et de ne point s’intéresser à la politique.

Femme contre femme

Désigner des coupables dans la stagnation de la situation de la femme fait parfois oublier une dimension importante. Celle de la responsabilité de la femme elle-même. D’après Laurette BIRA étudiante et entrepreneure, le premier obstacle qui empêche une forte représentation de la femme dans les institutions, c’est la femme elle-même : «Vous savez dans ces institutions-là, les femmes sont là, mais elles ne veulent pas laisser de l’espace à d’autres femmes. Les femmes qui se retrouvent dans les institutions veulent se maintenir et ne veulent pas que d’autres femmes y accèdent. Plusieurs femmes préfèrent soutenir les hommes, alors que c’est plus facile de se soutenir pour préparer la relève». Mme Bira illustre ses par le cas de Jeanine MABUNDA, ancienne présidente de la chambre basse du parlement, que très peu de femmes étaient prêtes de la soutenir lors de son éviction de la tête de cette institution.

Jean-Pierre TSHIMANGA, un activiste de la société civile rejoint le point de vue de ceux qui estiment que les femmes sont des louves pour d’autres femmes. Il prend pour exemple Mme Marie-José IFOKU, candidate à la dernière présidentielle de 2018 qui a récolté moins de 1% de voix alors, selon les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de la RDC, l’électorat congolais est composé de plus de 51 % de femmes. «Je pense même que lors des élections plusieurs femmes n’ont pas voté, elles s’étaient enrôlées juste pour avoir une carte d’électeur qui fait office de carte d’identité », conclut Jean-Pierre Tshimanga.

Toujours est-il que le plus grand défi reste celui du comportement des responsables des partis et regroupements politiques. Ce sont eux qui ne favorisent pas l’émergence de la femme  dans les institutions. Lors de la répartition des postes de responsabilité, les hommes se taillent la part du lion en écartant la femme alors que des femmes compétentes ne manquent pas dans différentes formations politiques du pays. Conséquence : les femmes se retrouvent à jouer les seconds rôles selon la volonté des chefs des partis. Illustration : lors de la dernière élection au bureau de l’assemblée nationale  après la destitution du bureau Mabunda, non seulement qu’une certaine opinion attendait son remplacement par une autre femme, mais le constat est que seuls les hommes ont postulé pour les postes les plus importants tandis que les femmes se bousculaient pour les postes secondaires tels que questeur ou rapporteur-adjoint.

Il est possible d’améliorer

Malgré ce tableau plutôt sombre, des voix s’élèvent pour en appeler à une plus grande prise de conscience. «En tant qu’intellectuel  congolais et ami du genre, je pense que  l’homme et la femme doivent comprendre que nous avons tous  les mêmes potentialités et nous pouvons tous participer à l’éveil de conscience. Que l’homme et femme puissions comprendre que nous pouvons nous soutenir mutuellement et amener le pays vers le développement. J’encourage les femmes à pouvoir  se battre comme les hommes afin de pouvoir participer à la vie politique de leur pays », recommande Jean-Pierre Tshimanga, étudiant et activiste du genre.

Même élan du côté des hommes politiques dont le discours sur la parité homme-femme tend à s’enraciner dans les mœurs politiques. Martin Fayulu Madidi, arrivé deuxième aux dernières élections a, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes le 08 mars 2021,  encouragé «les femmes RD-congolaises à exercer leur leadership dans tous les domaines de la vie, surtout en politique car le pays a besoin de la force de caractère de la femme pour l’assainissement de la classe politique». Pour sa part Moïse KATUMBI, un autre politique de la RDC appelle les congolais à mettre en œuvre l’égalité et la parité inscrits dans la constitution. «Les femmes n’ont pas encore acquis l’égalité des droits dans le monde. En RDC, dans les faits, elles restent trop souvent discriminées ou laissées de côté. C’est intolérable, nous devons y remédier et mettre en œuvre l’égalité et la parité inscrites dans la constitution»,  s’est-il exprimé via son compte twitter  le même 08 mars.

Quelques femmes interrogées pensent que la meilleure manière d’accroitre la participation de la femme dans les institutions est de conscientiser les responsables des partis politiques au respect de prescrits de la constitution qui garantit la participation de la femme dans les institutions. Le mécanisme le plus efficace consiste notamment à aligner aussi les noms des femmes quand il s’agit des postes nominatifs, par exemple lors de la formation du gouvernement ou la mise en place  des  responsables dans les entreprises  publiques. On retiendra pour l’histoire que depuis 60 ans, aucune femme n’a accédé à la fonction de Premier ministre chef du gouvernement jusque-là exclusivement réservée aux hommes.

Rôle des médias

Dans la panoplie des mécanismes de correction envisagés, il y a également le rôle des médias. «Les medias doivent mettre en place des programmes qui permettront aux femmes d’acquérir des connaissances nécessaires, pour se rendre utiles dans la société et ainsi s’émanciper; des programmes qui vont apprendre à la femme que le mariage n’est pas une finalité. Les femmes doivent savoir qu’en dehors du mariage, il y a autre chose», soutient une jeune journaliste, Bénédicte Matondo. C’est notamment l’avis de Pricillia Kabasele qui pense que : «pour renforcer l’effectif des femmes dans les institutions de la république, les jeunes filles qui aspirent à faire la politique doivent commencer déjà à se préparer maintenant tout en observant les femmes qui sont déjà actives en politique, question d’apprendre et d’être initiée ».

Pour une certaine opinion, les femmes journalistes qui animent des émissions politiques devraient régulièrement inviter les femmes politiques dans le but de vulgariser et faire entendre également la voix de la femme au sein de l’opinion nationale et internationale. Par exemple Depuis quelques mois par exemple, une radio de Kinshasa a  mis en place une émission dénommée «débat au féminin» qui donne exclusivement la parole aux femmes pour faire l’analyse sociopolitique et économique de la RDC. Cette émission, présentée par des journalistes femmes vient s’ajouter à d’autres initiatives comme celles de l’Union congolaise des femmes des médias (UCOFEM) dont l’objet social consiste à faire entendre la voix des femmes dans et par les médias. On peut également évoquer l’existence depuis quelques années d’un média thématique dite la « radio de la femme » qui promeut le leadership féminin dans tous les domaines.

C’est cette culture de leadership féminin que prône le chef des travaux Gabriel KAMBA, et qui consiste à se servir de l’enseignement (école secondaire et université) pour apprendre aux jeunes filles que la parité ne signifie nullement l’homme contre la femme. Qu’en tout état de cause, le but de cette parité est de permettre à tous de participer équitablement à la direction de la chose publique.                                                                                                          ALOTEREMBI DANIEL