RDC : ce qu’il faut savoir du drame de Boga, l’actuel épicentre des attaques ADF en Ituri

Des camions incendiés à Boga-Centre lors de l'attaque armée/Ph droits tiers

Depuis quelques semaines, Boga est l’épicentre en Ituri des attaques armées attribuées, par des sources officielles, aux rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF). Situé à environ 120 Km au sud-est de Bunia (Ituri), ce chef-lieu de la chefferie de Wahema-Boga, l’une de onze chefferies du territoire d’Irumu a déjà enregistré trois attaques meurtrières, dont les deux dernières du lundi 7 et mardi 8 juin, ont coûté la vie à plus de 30 civils.

Un drame humain et humanitaire 

La trentaine de victimes tuées lors de deux dernières attaques s’ajoutent à la cinquantaine d’autres sauvagement tuées la nuit du 30 au 31 mai dernier, lors d’une double attaque enregistrée simultanément à Boga, notamment contre un camp de déplacés Nyali et à Tchabi (12 Km au sud de Boga). Au-delà des morts, des sources locales évoquent des pertes matérielles énormes, notamment l’incendie des maisons.

« Ils ont brûlé beaucoup de maisons, parmi les maisons touchées l’Hôpital de Boga construit par MSF (Médecins sans frontières, Ndlr) et géré par l’Eglise anglicane. Des maisons autour de l’hôpital ont été saccagées, pillées, brulées », rapporte à ACTUALITE.CD M. Pascal Takaibone, juriste travaillant pour une organisation de droits de l’homme en Ituri.

L’hôpital général incendié est le plus important de la région de Boga, tenu par l’Eglise anglicane. Avant son incendie, la structure sanitaire venait d’être réhabilitée et équipée par l’organisation suisse Médecins sans frontières (MSF).

« L'hôpital général de référence de Boga était un acquis pour cette communauté et celles de villages voisins (Tshabi, Bukiringi, Mitego, Kainama et même de l'Ouganda voisin). Cet hôpital était parmi les hôpitaux les plus renommés de l'Ituri après celui de Nyakunde car il y a des médecins spécialistes qui viennent d’Angleterre », témoigne à ACTUALITE.CD M. Jérémie Muzungu, un économiste originaire de Boga, aujourd’hui travaillant dans le secteur minier en Ituri.

« C’est une grande perte non seulement pour l’église anglicane, mais aussi pour la santé des habitants  de toute la région, donc quatre chefferies affectées par l’incendie de cet hôpital. On va observer les catastrophes sanitaires au fil du temps », s’inquiète M. Pascal.

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Incendie de l'hôpital général de référence de Boga/Ph droits tiers

 

Un lendemain incertain

A Boga, de nombreux habitants ont fui la localité. Ceux qui se sont réfugiés dans les forêts voisines tentent de revenir, mais vivent dans l’horreur.

« Depuis les attaques du 7 et 8, la majorité (des habitants) a quitté (Boga). Nombreux se trouvent présentement à 30 Km de Boga dans la localité de Bukiringi, en chefferie de Walendu-Bindi, beaucoup d’autres sont arrivés à Bunia. Les gens ont fui en brousse, ils commencent à sortir mais vivent dans l’horreur suite aux menaces d’une nouvelle attaque », témoigne M. Pascal.

Le profil de l’ennemi : ADF ou Banyabwisha?

Boga est le chef-lieu de la chefferie de Bahema-Boga, une entité qui s’étend jusqu’à la rivière Semliki, à la limite avec l’Ouganda. Avec Banyali-Tchabi, Bahema-Boga sont les deux chefferies d’Irumu situées à la limite avec le Nord-Kivu, et notamment au pied de la chaîne de Rwenzori où sont actifs les rebelles ADF. A Boga, nombreux ne rejettent pas l’implication des ADF, comme l’attestent des sources officielles.

« Tchabi, voisine de Boga, est à 8 Km seulement de Kainama, une localité du Nord-Kivu où les ADF sont trop actifs. On les a vus dans l’exploitation du bois dans le passé », précise M. Pascal.

Mais des analystes pensent que des ADF n’auraient pas agi pour leur intérêt. Ils soupçonnent la complicité des Banyabwisha, ces immigrés Rwandophones installés dans la région depuis près d’une dizaine d’années et qui commencent à se brouiller avec des communautés autochtones, notamment les Nyali, au sujet du contrôle des terres. 

« La communauté locale accuse les immigrés Banyabwisha venus du nord Kivu d'être en connivence avec les égorgeurs ADF », indique à ACTUALITE.CD M. Jérémie Muzungu.

Ce que rapporte aussi Pascal dont l’organisation suit de près les tensions communautaires dans la région.

« Nous nous sommes rendu compte que la tension est là. Le risque était là. Car dans toutes les rencontres communautaires, dialogues, vous sentez que le problème persistant était la présence des Banyabwisha. Ils sont présents dans tous les services, dans les marchés, dans les services de sécurité. Ça inquiète les autochtones. Leur présence est quand même un problème dans la région. Ça doit être autour de contrôle de terre », souligne-t-il à ACTUALITE.CD. 

Les réalités derrière l’identité des victimes enregistrées à Boga et environs, telles que rapportées par les organisations de droits de l’homme, sont loin d’innocenter les immigrés communément appelés «Banyabwisha».

« Pour la double attaque enregistrée à Tchabi et à Boga, si vous dénombrez les victimes, vous allez vous rendre compte que et en chefferie de Wanyali-Tchabi, ce sont des Nyali qui sont morts, et en chefferie de Wahema-Boga, ce sont des Nyali (réfugiés dans un camp de déplacés) qui sont morts. On a perdu environ 40 Nyali et une dizaine de Hema. Des analystes pensent que ce sont les Nyali qui seraient la cible. Des communautés locales soupçonnent des Banyabwisha. La présence des Banyabwisha c’est quand même un problème dans la région », explique à ACTUALITE.CD M. Pascal Takaibone.

Installés dans la région depuis les années 2013, ces immigrés venus, d’après eux, de la région de Masisi au Nord-Kivu voisin, se sont intégrés dans le maillot économique de Tchabi et Boga, région dans laquelle les habitants vivent de l'agriculture, élevage, petit commerce et l’exploitation des bois.

« Ils sont arrivés autour de 2013. Ils ont cohabité, ils ont créé leurs centres de santé, leurs écoles, vraiment ils se sont organisés. Ce qui est vrai, ce sont des travailleurs et font partie des personnes qui ravitaillent les principaux marchés de la région en vivres », reconnaît M. Pascal.

Aujourd’hui, leur influence sur l’économie locale ainsi que leur contrôle sur les vastes étendues de terre commencent à inquiéter les autochtones.

« Dans la région, il y a trois chefferies voisines, notamment celles de Bahema-Mitego, Bahema-Boga et Banyali-Tchabi. Des chefferies qui se succèdent et se collent. Aujourd’hui, les populations autochtones de trois chefferies réunies sont autour de 38 000 personnes, alors que les Banyabwisha avoisinent déjà les 70 000, près du double de la population autochtone (hema et Nyali) de trois chefferies réunies, ce qui leur donne une puissance numérique », explique M. Pascal, ce diplômé en droit public. 

Selon lui, un indicateur de la détérioration des rapports entre les autochtones et les immigrés est l’incident enregistré à Tchabi, il y a près de six mois. Il s’agit notamment de l’attaque d’un groupe d’autochtones contre une concession de Banyabwisha, attaque ayant poussé nombreux habitants de Tchabi à se déplacer, y compris ceux qui ont été massacrés dans un camp à Boga.

Des acteurs de la région demandent aux autorités de se pencher sur la question pour que la région de Boga-Tchabi retrouve sa quiétude. Une région réputée comme l’un des greniers de l’Ituri pour ses cultures de légumes, bananes plantains, haricot, arachide, manioc, riz, café, cacao ainsi que l’élevage des bovins.

«Les autorités doivent sécuriser la population, on doit déployer l'armée sur place pour sécuriser les habitants. C'est important de suivre aussi de près cet exode de Rwandophones vers Boga qui a débuté voici une dizaine d’années, pour mater d'éventuelles tensions communautaires dans cette région de l'Ituri. Il faut agir maintenant », recommande M. Obed Byaruhanga, l'un des cadres de l'UPC de Thomas Lubanga en Ituri.

Claude Sengenya