Guerre des six jours à Kisangani : « Et le président Félix Tshisekedi, s’en souvient-il ? »

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Gloria Menayame est une ressortissante de Kisangani, dans le nord-est de la République démocratique. En juin 2000, elle n’avait que six ans lorsque les armées rwandaises et ougandaises se sont affrontées dans sa ville. Aujourd’hui, étudiante en master 2 de droit à Lyon (France), elle n’a rien oubliée et interpelle les Congolais, président de la République compris.

Il est 9h30… une amie me texte : « Réveille-toi ! Viens suivre le procès… » J’ouvre mon ordinateur et je m’y mets ! La quatrième audience du procès dit « des 100 jours » a repris. J’y passe toute la journée. Entre mon écran et mon téléphone, je suis extasiée par les rebondissements et les révélations de cette affaire.

Procès fini, je file sur le net pour lire les analyses des « experts », je commente les publications. Il est 22h00, je monte sur mon lit, Il faut dormir. Puis je me rappelle, on est le 5 juin ! Mince ! J’ai oublié, on a tous oublié ! Mais, Comment ai-je pu oublier une date aussi marquante ? Je m’assieds sur mon lit et là je me rappelle. Je revois l’institutrice nous dire : « Couchez-vous, les méchants sont là. » Je revois toute la scène. Comme dans un film, chaque épisode me revient. Je revois mon père en train de courir, me portant sur le dos. Avec nous, deux autres filles de mon âge qu’il a pris dans la foulée…

Ouf ! Je n’ai pas oublié ! Et le président, s’en est-il souvenu ? Félix Tshisekedi a dit quelque chose à l’intention des victimes ? Oui, des victimes ! Car il y a 20 ans aux environs de 9 heures 45, les premières victimes de la « guerre des six jours » tombaient. Il y a 20 ans, les forces armées rwandaises et ougandaises ont fait de la ville de Kisangani le champ de bataille d’une tragédie inouïe. Selon des rapports établis par les organisations des droits de l’homme, plusieurs atteintes à la dignité de la personne humaine avaient été enregistrées : meurtres, exécutions, tortures, pillages, destructions des biens, soumission de la population civile à des privations excessives, …

Vingt ans plus tard, malheureusement, toutes ces atrocités restent une tragédie oubliée. Sinon, comment expliquer que ce 5 juin, comme les autres depuis 2001, soit un non-événement ? Comment comprendre qu’on ne la commémore pas ? Échangeant avec un ami, natif d’une autre province, j’ai été choquée quand il m’a avoué qu’il n’était pas au courant de cet épisode de l’histoire de notre pays. Je ne l’en veux pas. D’ailleurs, comment l’en vouloir ? On n’en parle pas, ou pas assez ! Aucun chef de l’État congolais n’en parle. Cette année, le nouveau président, Félix Tshisekedi n’en a pas non plus parlé… Le fera-t-il en ce 10 juin ? Moi, j’ai décidé de ne plus me taire. À ma petite échelle, j’ai lancé dès le 6 juin le collectif « IWAS » sur les réseaux sociaux. `

Une initiative qui consiste à demander aux personnes ayant vécu cette guerre entre deux armées étrangères à Kisangani de dire quel âge elles avaient au moment des affrontements et de raconter leurs souvenirs. J’ai reçu plusieurs témoignages que je reprends dans une vidéo narrative. L’impact de cette mobilisation m’a fait comprendre que nous ne devrions pas attendre que le président parle. Nous-mêmes, nous devons en parler ! En parler pour ne pas oublier ! En parler pour raconter à ceux qui ne savent pas ! En parler pour réclamer justice ! En parler pour exiger réparation ! Gloria Menayame