Dossier Sokimo : la campagne "Le Congo n'est pas à vendre" tire la sonnette d’alarme

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Au début de l’année, l’information a défrayé la chronique. Des parts de la Société Minière de Kilo Moto (Sokimo) pourraient être vendues à une société étrangère, AJN Resources, inconnue dans le secteur minier et n’ayant aucune expérience financière. Depuis, l’épée de Damoclès menace la Sokimo et des voix s’élèvent pour réclamer l’annulation de cette transaction qui ne sera pas bénéfique à l’Etat congolais. Analyses et explications avec Jimmy Munguriek du Cadre de concertation de la société civile de l’Ituri sur les Ressources Naturelles.

Monsieur Munguriek, vous êtes le secrétaire permanent du Cadre de concertation de la société civile de l’Ituri sur les Ressources Naturelles (CdC/RN en sigle), votre structure est membre de la campagne « Le Congo n’est pas à vendre ». Depuis quelques semaines maintenant, la Société Minière de Kilo-Moto fait l’objet de l’actualité à propos d’une vente de ses parts à Ajn Resources. Pouvez -vous nous dire brièvement de quoi il en retourne ?

 Le 18 janvier 2020, la SOKIMO a signé avec AJN Resources Inc. un Protocole d’Accord (Memorandum of Understand).Via ce protocole, la SOKIMO propose de transférer dans AJN ses parts dans six projets miniers. Ces derniers représenteront 60% des parts sociales dans AJN Resources Inc. A ce jour, AJN attend de valoriser les titres de la SOKIMO par la levée des fonds sur le marché boursier.

Afin d’éclairer l’opinion, pouvez-vous nous dire en quoi cette situation est inédite ?

Cette situation est inédite à plusieurs niveaux: premièrement elle se déroule au mépris des lois congolaises en la matière (Code minier et la loi sur le désengagement de l’Etat des entreprises étatiques), à propos de la transaction (SOKIMO, AJN et le Ministère du Portefeuille).

Ensuite il existe des informations contradictoires sur le contenu de ladite transaction (pour AJN, le quitus est déjà donné par l’Etat, pour la SOKIMO rien n’est encore décidé et pour le Ministère du Portefeuille c’est une simple déclaration d’intention) ce qui désoriente les analyses.  

Enfin le partenariat sera déséquilibre dans le sens où la SOKIMO, actionnaire majoritaire n’aura que 2 membres sur 5 au Conseil d’administration, ce qui réduit sensiblement son droit de contrôle et l’expose même à la dilution de ses parts si AJN arrivait à émettre d’autres actions.      

La Sokimo est une société d’Etat. Cela revient-il à dire que ces capitaux s’ils sont vendus seront définitivement entre les mains d’une société étrangère ?

A ce jour, la nature juridique même de la SOKIMO pose problème. D’un côté, elle est société d’Etat parce que  détenue à 100% par l’Etat. De l’autre, depuis 2009 elle a été transformée en société commerciale. L’Etat était censé se désengager.  A ce jour, ce processus n’a jamais été clôturé. Ainsi, cette transaction ferait effectivement passer ses capitaux entre les mains d’une société étrangère, malheureusement sans capacité technique et financière.  

 Qu’est ce qui pourrait selon vous permettre d’inverser la tendance et permettre à l’Etat congolais de re considérer la question ?

L’Etat doit comprendre que le partenariat dans lequel s’est engagé SOKIMO n’est ni rentable pour la Sokimo et encore  moins pour l’Etat congolais. Il serait plus judicieux que le ministre du portefeuille émette un avis défavorable à cette transaction. A défaut, le Premier Ministre doit demander son annulation. Et si besoin il y a, il faut soumettre cette transaction à la procédure normale d’appel d’offre en vue de sélectionner un acteur responsable.

Vous militez sur ces thématiques depuis de nombreuses années. Qu’est ce qui selon vous fait que ce schéma perdure ?

Pendant des décennies ces pratiques ont été tolérées en dépit des torts qu’elles causent à la nation congolaise. Le pays a assisté à des épisodes d’impunités sans pareil. Ce que l’on vit aujourd’hui n’est que le prolongement de ces pratiques. Des individus sont devenus des institutions pour décider des ressources naturelles du pays. La lutte sans merci contre la corruption telle que prônée et engagée par le Président de la République en garantissant toute indépendance à la justice reste la seule voie pour mettre fin à ces pratiques presque institutionnalisées.  

Le 20 avril dernier, des parlementaires de l’Ituri ont qualifié d’illégal le marché conclut entre la Sokimo et Pianeta Minning. Quelle est votre grille de lecture de cette actualité ?

Nous saluons le fait que le Caucus des parlementaires de l’Ituri nous emboîte le pas. Dans un mémorandum envoyé au Premier Ministre depuis le 27 février 2020, la Campagne « Le Congo n’est pas à vendre »  avait déjà sollicité l’annulation de cette transaction pour trois raisons: la cession d’un gisement important à une société inconnue, le non-respect de la procédure légale qui nécessite un appel d’offre pour des transactions avec les Entreprises du Portefeuille de l’Etat et le risque d’arbitrage international avec les sociétés avec lesquelles la SOKIMO opérait avant ces s cessions controversées. Je tiens à rappeler  que PIANETA est une société partenaire de la SOKIMO dans la joint-venture Kodo Resources, mais dont les identités,  les actionnaires et les activités restent complètement inconnues du public encore moins dans le secteur minier.

Quelles seraient vos demandes concrètes aux députés par rapport à ce dossier ?

Nous demandons aux députés qui sont en même temps législateur des d’analyser en  toute objectivité cette transaction, de relever les aspects qui violent les lois congolaises et d’en tirer toutes les conséquences y afférentes, notamment demander au Gouvernement de mettre fin au processus de conclusion de ce deal.

En tant que membre de la campagne « Le Congo n’est pas à vendre » qui lutte contre la corruption et au regard de tout ce qui se passe actuellement en RDC, quel message souhaiteriez vous faire passer ?

Nous demandons à l’Etat congolais de prendre ses responsabilités en faisant respecter les lois du pays et les standards internationaux auxquels il a adhéré, de cesser de coopérer avec des sociétés sans identités, sans capacités techniques et financières, des sociétés et personnalités qui ont contribué à la ruine de la RDC par des actions de corruption, concussions, pot de vin… afin de redorer son image suffisamment ternie par la très faible gouvernance de son secteur des ressources naturelles. La RDC a adhéré à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives et elle a créé tout un Comité National à cet effet, chapoté par le Ministère du Plan et dans lequel toutes les institutions politiques du pays sont présentes  (ITIE). Elle alors agir en conséquence de sa charte respecter ses engagements.