Offensive de l’AFC/M23 au Sud-Kivu : Denis Mukwege déplore l’incapacité de l’UA à désigner clairement Kigali comme acteur de déstabilisation et appelle à des actions concrètes contre le Rwanda

La ville d'Uvira
La ville d'Uvira

La progression de la rébellion de l’AFC/M23, appuyée par le Rwanda, dans la province du Sud-Kivu a suscité la réaction du Prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, au lendemain de la prise de la ville d’Uvira. Il a exprimé sa stupéfaction après la lecture du communiqué du président de la Commission de l’Union africaine.

Dans son communiqué, le président de la Commission de l’Union africaine s’est contenté à appeler à la retenue face à l’escalade des tensions dans la région des Grands Lacs, sans toutefois citer expressément le régime de Kigali comme acteur majeur de la déstabilisation à l’origine des risques accrus d’une déflagration régionale.

« Ce communiqué intervient dans la foulée de la signature de l'Accord de Washington le 4 décembre entre les Chefs d'État congolais et rwandais alors que les timides espoirs d'une sortie de crise s'éloignent face à l'intensification des combats et à la multiplication des crimes de masse dans la plaine de la Ruzizi, entraînant une dégradation alarmante de la situation sécuritaire et humanitaire dans la province du Sud-Kivu et ayant conduit à l'invasion de nouveaux territoires et à la prise de la ville stratégique d'Uvira par la coalition du M23/RDF », dit Dénis Mukwege dans une déclaration dimanche 14 décembre.

Mukwege rappelle que la résolution 2773 du Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptée à l'unanimité appelle depuis le 21 février 2025 à un cessez-le-feu immédiat et au retrait inconditionnel de l'armée rwandaise du territoire congolais. Un nouveau rapport du groupe d'experts des Nations unies sur la situation en République Démocratique du Congo (RDC) divulgué début décembre atteste, preuves à l'appui, de la présence de 6000 à 7000 soldats rwandais en RDC. 

De plus, le Groupe international de contact pour la région des Grands Lacs a exhorté le 9 décembre nommément le M23 et le Rwanda à mettre fin à leurs opérations offensives dans l'Est de la RDC et à se retirer, conformément à la résolution 2773 du Conseil de sécurité et à la Déclaration de principes de Doha signée le 19 juillet 2025. En outre, l'ambassadeur des Etats-Unis auprès des Nations Unies a été très clair dans son allocution lors de la session d'urgence au Conseil de Sécurité de ce vendredi 12 décembre : le Président rwandais contrôle et dirige aussi bien le M23 que son bras politique, l'Alliance Fleuve Congo (AFC) pour atteindre ses objectifs géopolitiques dans l'est congolais. 

« Pour mettre fin à cette entreprise criminelle de déstabilisation, il s'agit aujourd'hui de traduire ces condamnations creuses par des actions concrètes et significatives qui auront le potentiel de sortir de la crise. Les Africains épris de justice et de paix ne doivent plus accepter que seule l'Union africaine ne parvienne toujours pas à qualifier le Rwanda comme un État agresseur violant la Charte de l'Union africaine et comme le principal déstabilisateur de la région des Grands Lacs africains », joute Dénis Mukwege. 

Pour le Prix Nobel de la paix, le monde ne peut plus continuer à fermer les yeux et à rester silencieux face à la défiance systématique du régime de Kigali au regard des principes de base du droit international et des droits humains. 

« Ne retombons pas dans l'abomination de la traite négrière. Nous avons déjà payé le prix fort de l'esclavage et de la colonisation. Il est temps que les leaders africains montrent l'exemple plutôt que de protéger ceux qui abusent de leur pouvoir avec arrogance, commettent les crimes les plus graves en totale impunité, prennent leur peuple en otage dans un climat de peur et menacent la paix et la sécurité régionales et internationales sans subir l'opprobre de leurs pairs », a-t-il fait remarquer.

La ville d'Uvira, considérée comme stratégique dans le dispositif sécuritaire du gouvernement congolais dans la province du Sud-Kivu, est désormais passée sous le contrôle de la rébellion de l’AFC/M23, renforçant davantage son influence et sa mainmise dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Il s’agit d’un verrou essentiel susceptible d’ouvrir la voie à l’AFC/M23 vers l’espace Grand Katanga, considéré comme le poumon économique du pays.

La détérioration de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC a coïncidé avec l’entérinement des accords de Washington signés entre Kinshasa et Kigali sous les auspices des États-Unis d’Amérique. Alors que ces accords étaient censés valider et encourager le cessez-le-feu souhaité par les médiateurs et plusieurs partenaires de la RDC et du Rwanda, la situation s’est au contraire dégradée, marquée par des accusations mutuelles entre les deux États quant à la responsabilité de la détérioration de la situation sécuritaire actuelle. 

Clément MUAMBA