Kinshasa face au défi sécuritaire : il est temps d’agir

Photo d'illustration
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Tribune de Serge ETINKUM ANZA, ancien candidat Gouverneur de la ville de Kinshasa

Les images ont choqué la toile.
En plein cœur de la commune de la Gombe — centre des affaires de la République démocratique du Congo, où se concentrent institutions, sièges diplomatiques, banques, hôtels et grandes entreprises — des jeunes délinquants, communément appelés Kulunas, s’affrontaient violemment près du Grand Hôtel, sur l’avenue Batetela. En plein jour. En toute impunité. Sans qu’aucune intervention policière ne vienne mettre fin à cette scène d’une violence inouïe.

Cette vidéo, à elle seule, illustre l’ampleur d’un problème qui n’est plus seulement préoccupant : il est devenu alarmant. Elle démontre que la situation sécuritaire requiert désormais l’implication urgente de toute l’intelligentia congolaise afin d’apporter des solutions idoines.

Kinshasa, un paradoxe inquiétant

Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, est aujourd’hui le théâtre d’un paradoxe inquiétant. Ville d’opportunités et de dynamisme, elle est aussi devenue, aux yeux de ses habitants, un espace où l’insécurité quotidienne rogne peu à peu la confiance entre citoyens et institutions.

Les braquages à main armée, les vols à la tire, les agressions nocturnes et la montée des violences urbaines orchestrées par les Kulunas font désormais partie du paysage.

Une situation qui traduit une faillite collective

La responsabilité ne repose pas sur un seul acteur.
    •    L’État, à travers ses forces de sécurité, peine à occuper le terrain de manière efficace et permanente.
    •    La police, souvent sous-équipée, mal rémunérée et parfois corrompue, inspire peu confiance.
    •    Les autorités urbaines et communales semblent plus préoccupées par la gestion administrative que par la sécurité des quartiers.
    •    Les citoyens, entre peur et fatalisme, choisissent souvent la résignation plutôt que l’action collective.

Ce climat délétère est aggravé par l’absence de statistiques fiables sur la criminalité et le manque de coordination entre services. Kinshasa ne dispose pas d’un plan directeur de sécurité urbaine clair, mesurable et suivi.

Les Kulunas : pas des monstres, mais nos enfants

Les Kulunas ne sont pas des extraterrestres ni des monstres. Ce sont nos enfants, nos frères, issus de nos quartiers, qui se sont égarés.
Le Service National a montré que leur encadrement, via la discipline et la formation professionnelle, peut changer le cours de leur vie. Mais la majorité reste livrée à elle-même, sans emploi ni perspectives, trouvant dans la criminalité urbaine un exutoire.

L’importance de la collaboration citoyenne

Les Kulunas habitent dans nos avenues, parfois dans nos propres parcelles. Les habitants sont donc les premiers à pouvoir les identifier. L’État doit mettre en place des mécanismes sûrs qui favorisent la dénonciation et protègent ceux qui signalent.

La création de comités locaux de sécurité est une avancée, mais ils doivent être rendus opérationnels rapidement et bénéficier d’un véritable soutien gouvernemental.

Des réformes déjà engagées

Le ministre de l’Intérieur, Jacquemin Shabani Lukoo Bihango, a lancé la loi de programmation 2025-2029 pour la réforme de la Police nationale congolaise (PNC).

Elle prévoit :
    •    Renforcement du cadre institutionnel de la PNC.
    •    Professionnalisation des forces de police.
    •    Amélioration de la recevabilité et de la redevabilité.
    •    Budget de 2,3 milliards USD sur 5 ans.
    •    Acquisition d’équipements modernes.
    •    Recrutement et formation de 90 000 policiers sur 5 ans.
    •    Mise à la retraite de 10 000 agents entre 2027 et 2028.
    •    Construction et réhabilitation d’infrastructures policières.

Trois axes pour changer la donne

1. Réforme et professionnalisation de la police urbaine
    •    Établir une police de proximité présente dans les quartiers, dotée de moyens de mobilité et d’un suivi éthique strict.
    •    Former en continu sur les droits humains et la gestion pacifique des conflits.
    •    Créer un numéro d’urgence unique, opérationnel 24h/24, avec délai de réponse garanti.

2. Participation citoyenne et comités de sécurité
    •    Encourager la création de comités locaux de vigilance, encadrés par la police.
    •    Sensibiliser dans les écoles, marchés et espaces publics.
    •    Renforcer les liens entre autorités, associations et habitants.

3. Plan urbain de lutte contre l’insécurité
    •    Installer des caméras de surveillance aux points stratégiques.
    •    Améliorer l’éclairage public dans les zones à risque.
    •    Lutter contre la précarité et le chômage des jeunes vulnérables aux gangs.

Recommandations prioritaires
    1.    Renforcer immédiatement les effectifs et les moyens logistiques dans les zones vulnérables.
    2.    Mettre en place des patrouilles nocturnes mixtes associant police et structures communautaires.
    3.    Intensifier l’opération Ndobo pour une riposte proactive contre les gangs.
    4.    Auditer et régulariser tous les parkings non officiels.
    5.    Sanctionner tout policier complice d’actes criminels.
    6.    Développer les cellules communautaires de vigilance.

Un enjeu politique et social majeur

Assurer la sécurité de Kinshasa n’est pas qu’une affaire policière : c’est un chantier politique, économique et social.
Des pays comme la Côte d’Ivoire ou la Colombie ont prouvé qu’avec une volonté politique forte, des investissements ciblés et l’implication de la population, l’insécurité urbaine peut reculer de manière significative.

Conclusion

La peur ne doit pas devenir la norme.
Kinshasa peut redevenir une ville où l’on circule librement, de jour comme de nuit, si la volonté politique se double d’une implication citoyenne réelle. Notre capitale doit redevenir un espace sûr, digne et prospère.