Le parquet fédéral belge a ouvert une enquête portant sur des soupçons de “blanchiment” à l’encontre de l’ex-gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), Deogratias Mutombo, et de cinq autres personnes. Des centaines de milliers de dollars ont transité de façon suspecte via la Belgique au départ de la RDC.
L’enquête a été confiée depuis l’an dernier à une juge d’instruction de Nivelles et porte sur des faits supposés de “blanchiment”, selon les informations obtenues par Actualite.cd et ses partenaires de l’enquête internationale “Congo Hold-up” dont les journaux belges Le Soir, De Standaard et le média d’investigation français Mediapart. Elles ont été confirmées depuis par le parquet fédéral de la Belgique.
Deogratias Mutombo n’est pas le seul visé, un autre cadre de la BCC et quatre autres personnes sont soupçonnés d’avoir participé. Aucun d’eux n’est inculpé à ce jour, mais « l’instruction se poursuit », se contente de préciser le parquet belge.
Selon nos informations, une série d’auditions et perquisition ont été menées par l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC) depuis septembre 2023. La résidence du Brabant wallon de Deogratias Mutombo était sur la liste. Il a été entendu à plusieurs reprises par les policiers anti-corruption belges. Sa dernière audition a eu lieu à la fin du mois dernier.
Si tout s’est accéléré pour Deogratias Mutombo, c’est à cause de l’enquête journalistique Congo Hold-Up, coordonnée par l’European Investigative Collaborations (EIC), la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) et Médiapart et Actualite.cd est partenaire. Elle avait révélé comment le clan de l’ancien président congolais Joseph Kabila a détourné au moins 138 millions de dollars de fonds publics. La Banque centrale du Congo dirigée par Deogratias Mutombo n’a pas été épargnée par ces révélations. Sur ces 138 millions, 76 provenaient de la BCC.
Selon nos informations, la Cellule de traitement des informations financières (CTIF), l’organe anti-blanchiment de la Belgique, s’est intéressé à l’enquête Congo Hold-Up après sa publication en novembre 2021. Elle a découvert que plusieurs centaines de milliers de dollars ont quitté la RDC avec des destinations suspectes, en passant par une ou plusieurs banques belges. Le montant précis des fonds suspects et leur destination finale n’ont pas été précisés.
Dans son avant-dernier rapport annuel, la CTIF écrivait même que “le traitement des déclarations potentiellement liées à la corruption et au détournement de capitaux par des personnes exerçant une fonction publique a été en 2022 l’une de [ses] priorités”. 25 nouveaux dossiers de ce type ont été transmis cette année-là aux autorités judiciaires belges “Ce chiffre n’a jamais été aussi élevé au cours des dix dernières années. L’une des explications réside dans le nombre élevé de dossiers concernant des intervenants susceptibles d’être liés à des enquêtes journalistiques internationales relatives à des détournements de fonds publics à grande échelle”, poursuivait la CTIF.
Contactée, l’avocate en Belgique de Deogratias Mutombo n’a pas répondu à nos questions. L’actuelle Banque Centrale du Congo, aujourd’hui dirigée par une ancienne du FMI, Malangu Kabedi Mbuyi, non plus mais un de ses hauts responsables disait ne pas être informé de l’enquête belge.
Au Congo, la gestion de Déogratias Mutombo a fait également l’objet de diverses enquêtes, bien avant celle de la Belgique, mais elles semblent piétiner depuis. L’Inspection générale des finances (IGF) avait produit un rapport accablant en mai 2021 portant uniquement sur la période de janvier 2018 au 30 juin 2020, longtemps restée sans suite.
Il a fallu attendre plus de deux ans pour qu’il ait des conséquences judiciaires. En août 2023, il est transmis à la cour des comptes.
Selon un document obtenu par Actualite.cd et ses partenaires, Mutombo est alors déféré devant la Chambre chargée de la discipline budgétaire et financière pour avoir conclu de gré à gré 35 marchés publics avec plusieurs prestataires pour un montant global de plus de 80 millions de dollars et ce, sans l’autorisation spéciale de la Direction générale de contrôle des marchés publics (DGCMP).
Deux mois plus tard, le 23 octobre, sur le plateau du journal télévisé de la RTNC, son premier président Jimmy Munganga ajoute que l’ancien gouverneur est impliqué, selon lui, dans le détournement de 25 millions de dollars de fonds publics, dont 15 millions appartenant à la Gécamines, la compagnie minière d’Etat. Il précise que son ancien patron, Albert Yuma, et deux employés de la Rawbank sont également poursuivis. Aucune audience n’a été fixée depuis. Jusqu’ici, aucun lien non plus n’a été établi avec l’enquête belge.
A noter que ce n’est pas la seule enquête ouverte suite aux révélations de Congo Hold-Up.
En février 2022, le parquet national financier français avait ouvert une enquête préliminaire « blanchiment aggravé de détournement de fonds publics » qui visait notamment la filiale parisienne de la BGFI. Une source judiciaire française explique qu’il y a eu une perquisition au siège de la BGFI à Paris en janvier 2023.
Le parquet fédéral belge avait lui déjà lancé une enquête judiciaire pour « corruption » visant Philippe de Moerloose, un homme d’affaires belge très proche de Joseph Kabila.