RDC : la marge de réussite de la Première Ministre Judith Suminwa (tribune de Lembisa Tini, PhD)

Félix Tshisekedi, président de la République et Judith Suminwa, Première ministre
Félix Tshisekedi, président de la République et Judith Suminwa, Première ministre

La nomination de Madame Judith Suminwa à la tête du   Gouvernement est loin d'être anodine en République démocratique du Congo. En effet, outre le fait que la nomination d'une femme à ce poste est une première depuis l'indépendance du pays en 1960, les femmes congolaises se heurtent à des obstacles importants en matière de perspectives économiques et d'autonomisation, et sont notamment confrontées à un niveau élevé de violences et de discriminations. 

Hissée le 1er avril dernier sur ce piédestal, Madame Judith Suminwa a posté le lendemain sur son compte X (ex tweeter) : "(...) Les défis sont immenses et je promets de les relever en toute responsabilité pour une RDC développée, unie et pacifiée. Ensemble nous vaincrons nos ennemis."

Abondant dans le même sens que sa première déclaration publique peu après l'annonce de sa nomination, le message ci-haut astreint à questionner la marge de manoeuvre dont disposerait la Première Ministre "pour aider (le Chef de l'Etat) à mener à bien le développement de notre très cher pays (...)" et à pacifier les provinces de l'Est du territoire national en proie à l'activisme des 264 groupes armés parmi lesquels 252 groupes armés locaux et 14 groupes armés étrangers (PDDRC-S, Rapport 2023). 
Rappelons d'abord, pour le besoin de la cause, le rôle de la Première Ministre. 

 Rôle de la Première Ministre 

Dans ce contexte si critique, le Président de la République, disposant d'une très écrasante majorité à l'Assemblée nationale, est véritablement l'unique chef du pouvoir exécutif. La Première Ministre fait office d'auxiliaire du chef de l'Etat. Il va sans dire que le régime semi-présidentiel en vigueur en RDC tend, dans la pratique ainsi dictée par les circonstances, vers la "rélégation" de la fonction de la Première Ministre. Ce qui ne serait pas le cas dans un contexte de cohabitation. 

A ce titre, Madame Judith Suminwa assistera le chef de l'État dans la coordination de l'action gouvernementale. Sa mission consistera à cet effet à organiser les différentes composantes du Gouvernement pour former un tout harmonieux et efficace. Réussir cette mission est fonction non seulement de ses capacités managériales (son expertise et son parcours professionnel rassurent quant à ce) mais surtout de l'autorité dont elle sera effectivement investie. 

Dès lors, il est possible que certaines éminences grises tentent de tenir la cheffe du Gouvernement dans une gestion périphérique des dossiers relevant de son pouvoir. Elle pourrait ou pas faire cesser cette réalité, mais sa capacité stratégique lui permettrait de rendre ou pas insupportable cette tactique à ceux tenteraient de la lui infliger. 

 Capacité stratégique et efficacité opérationnelle de Judith Suminwa 

Questionner la marge de manoeuvre dont disposerait la Première Ministre (se projettant déja sur sa prise de fonctions), c'est faire allusion à "l'ensemble des potentiels, variables ou possibilités offertes (...) pour faire face à des changements qu'ils soient d'origine interne ou externe." Il s'agit, en clair, de cerner, d'une part, sa capacité stratégique pour opérer des changements substantiels (dreser l'état des lieux afin de mieux poursuivre et initier des réformes structurelles), et, d'autre part, son espace d'efficacité opérationnelle d'aligner tous les membres de son Gouvernement sur une conduite transformatrice des mentalités et des pratiques de gouvernance. 

Deux options à cet effet. 
Primo. Eu égard aux pesanteurs et aux réticences aux changements positifs, y compris parmi des membres du sérail présidentiel, la capacité stratégique de la Première Ministre est fonction du chèque en blanc que le chef de l'Etat lui donnera pour nettoyer les écuries d'Augias dans tous les secteurs, notamment la justice, les finances publiques, les services de défense et de sécurité, la diplomatie,  etc. Pour ce faire, elle a intérêt sans délai, d'élever, en dignité, en excellence au titre d'exemplarité en termes d'organisaton et de rigueur ..., la Primature dont il faille redorer le blason. Il s'agira d'en faire une lumière devant dissiper les ténèbres organisationnels envahissant nos ministères et autres services publics. 

Cette capacité stratégique dont elle a largement besoin dépendrait de son aptitude à persuader le chef de l'Etat de "protéger" son pouvoir. Quitte à bien naviguer dans les eaux troubles du paysage politique congolais. A ce propos, l'idiosyncrasie de Madame Judith Suminwa est très déterminante. 

Réputée assez discrète et conciliante, la Première Ministre fera oeuvre utile, autant que possible, d'user de la politique de la carotte et du bâton. Ceci l'exposera à des coups, y compris, les plus inadmissibles mais normalisés sous les tropiques congolais où l'Etat est toujours perçu comme un "bien sans maître".

Peu importe les attaques, y compris les plus frontales, dont elle pourrait être victime à cet effet, pourvu que la rhétorique "Le peuple d'abord" prenne véritablement corps. Ainsi, la cheffe du Gouvernement aura positivement marqué son temps, quelle qu'en serait la durée, à la Primature. L'exemple du Premier Ministre Etienne Tshisekedi wa Mulumba est assez éloquent.

Secundo. Dans l'hypothèse où elle opterait de limiter au maximum des risques susceptibles de l'exposer à tant d'inimitiés des hors-la-loi, la Première Ministre s'inscrirait dans une posture conformiste. A sa manière, dans la forme, elle conduira le Gouvernement sans en êtreģ substantiellement la cheffe d'orchestre. Posture qu'aurait affichée le Premier Ministre sortant, Jean Michel Sama. 

Elle aurait alors loupé l'occasion historique de casser les oeufs pour offrir à des millions des Congolais les omelettes, un véritable luxe au pays de Patrice Lumumba, d'une laideur repoussante et anesthésiant l'espoir d'un Congo "plus beau qu'avant". L'efficacité opérationnelle de la Première Ministre dépendra ainsi de l'option stratégique levée et habilement négociée pour faire du "changement positif" une réalité construite, sous l'autorité du chef de l'État, avec des millions des compatriotes s'identifiant à elle. Au propre comme au figuré.

Le Président de la République aura intérêt d'investir d'une puissance agissante sa Première Ministre pour des résultats légitimant des décennies de lutte de l'UDPS, son parti politique, aujourd'hui au pouvoir sans entraves institutionnelles. La quasi similitude des contextes suggère d'établir une comparaison, toutes proportions gardées, entre les styles de gouvernance de la Première Ministre Judith Suminwa et ceux du chef du Gouvernement d'antan Augustin Matata, qui avait pu imposer ses marques. Au-déla et en dépit des casseroles qu'il aurait trainées. 

Lembisa Tini (PhD)