Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les dernières présidentielle et législatives ont également été émaillées des discours de haine qui menacent le vivre-ensemble. Des candidats de l’étranger, des candidats commissionnaires (membres des partis dont l’autorité morale n’est pas originaire du fief), des députés envahisseurs (de non-originaires qui se font "élire chez autrui"),…Des qualificatifs ont surgi de partout pour tenter de diaboliser ou discréditer des challengers à la course électorale, au risque de briser le vivre ensemble.
"Des candidats de l’étranger"
Ce discours n’a été développé par personne d’autres que le président Félix Tshisekedi, pourtant garant de l’unité nationale. En tournée de campagne électorale dans le Congo profond, le chef de l’Etat, alors candidat à sa propre succession a usé de cette rhétorique pour tenter de mettre en déroute Moise Katumbi qu’il accusait de rouler pour le Rwanda et Denis Mukwege qu’il accusait de rouler pour les occidentaux qui lui ont, d’après ses lieutenants, "attribué le prix Nobel de la paix en 2018". Face à des foules fatiguées par des guerres d’agression interminables soutenues par le Rwanda depuis 1998, Félix Tshisekedi a profité du contexte de l’actuelle guerre du M23 pour mettre en défi ses challengers, les appelant à dénoncer publiquement le Rwanda. Un jeu auquel ne succombaient pas les candidats ciblés, Moise Katumbi préférant plutôt dénoncer un père de famille "pleurnichard".
«Ce sont des déclarations malheureuses, populistes qui n’aident pas à la construction d’une nation où les gens vivent en cohésions», avait dénoncé le docteur Denis Mukwege dans une déclaration à nos confrères d’Afrikarabia, à la veille de la campagne électorale pour la présidentielle passée.
"Des candidats commissionnaires"
Un jour de décembre, en pleine tournée de campagne électorale dans la ville de Butembo, un candidat du Bloc Uni pour la renaissance et l’émergence du Congo (BUREC), parti cher à Julien Paluku, s’arrête dans un carrefour à Rughenda, un quartier périphérique de Butembo, pour s’adresser à des curieux venus l’écouter. Perché sur un camion, l’homme tient un discours déconseillant aux électeurs de Butembo de voter pour les candidats membres des partis politiques dont les autorités morales ne sont pas originaires du Grand-Nord (Lubero, Butembo, Beni). Car d’après lui, ce sont des commissionnaires politiques qui récoltent des sièges pour des leaders non originaires.
«Si vous votez celui-là (montrant l’affiche d’un candidat de l’UNC de Vital Kamerhe, ndlr), vous votez pour Bukavu. Je ne veux pas vous voir perdre vos voix (en votant pour les partis non originaires, ndlr). Ici c’est chez nous, si nous continuons à voter pour les commissionnaires politiques, nous n’irons nulle part », se pavane-t-il, dénonçant un à un des candidats des partis non originaires du Grand-Nord dont les effigies étaient affichées au carrefour.
Sa vidéo a fait le tour des réseaux sociaux et a suscité des critiques. Car pour de nombreux internautes, plutôt que de tenir un discours responsable axé sur les projets des sociétés en tant que futur député ou leader, ce candidat a excellé dans des propos ségrégationnistes, attisant la haine envers les candidats membres des partis pilotés par des non originaires.
"Des candidats envahisseurs"
Ce discours a circulé en Ituri au lendemain de la publication des résultats provisoires des élections législatives nationales et provinciales. A la base ? Pour les provinciales, à Mambasa, l’une de six circonscriptions électorales de l’Ituri (aux côtés d’Aru, Bunia, Djugu, Irumu, Mahagi), les candidats de l’ethnie Nande ont remporté 4 de 5 sièges à pourvoir, suscitant des frustrations dans le chef des communautés ethniques originaires de l’Ituri. Dans une note vocale qui a fait le tour des forums WhatsApp, un homme se réclamant originaire de l’Ituri n’a pas caché sa colère, allant jusqu’à faire deux propositions controversées : demander aux communautés ituriennes la possibilité d’empêcher à ces élus non originaires de siéger ou de légiférer une loi qui limite les congolais à ne se porter candidat que dans les circonscriptions d’origine pour "empêcher les envahisseurs à aller décrocher des sièges dans des entités où ils ne sont pas originaires".
Un danger pour la RDC?
Enseignant de science politique dans les Universités de l’Est du Congo, le professeur Augustin Muhesi note que pendant les dernières législatives et présidentielles, les discours de haine ont été plus expressifs que jamais. Car d’après lui, les candidats se sont inscrits dans une perspective machiavélique dans laquelle «tous les moyens étaient bons pour parvenir au pouvoir». Pour ce chercheur, cette rhétorique a bien illustré l’échec de la construction d’une nation congolaise et constitue un danger pour le pays.
«Les discours de haine ont été permanents pendant la campagne électorale. Les gens pensent politique, agissent politique et réagissent politique en fonction de leur milieu d’origine, de leur appartenance ethnique ou tribale. Ils ont recouru aux discours identitaires, aux discours populistes pour essayer de l’emporter en diabolisant certaines adversaires», témoigne-t-il à ACTUALITE.CD.
«C’est dangereux pour des Etats caractérisés par des fragilités sociales, politiques. Un vrai danger pour la RDC, un danger pour un projet d’édification d’un Etat-Nation qui devrait être construit sur le fait que les gens acceptent de vivre ensemble. Ça déconstruit le ciment sur lequel la nation congolaise devrait bâtir sa fondation», dénonce le politologue Augustin Muhesi.
Urgence d’éducation à la citoyenneté
Au-delà des lois qui répriment ces propos de haine, Augustin Muhesi propose la mise en place des programmes d’éducation des acteurs politiques et des citoyens sur l’acceptation mutuelle et la cohabitation pacifique.
«Certes, il faut des lois qui répriment, mais il faut aussi éduquer la classe politique et les citoyens. Ça demande de grands efforts en termes d’éducation à la citoyenneté responsable, à la concitoyenneté pour que les gens apprennent à vivre avec les autres, qu’ils comprennent qu’on est citoyen puisqu’on appartient à une communauté qui est constituée d’autres citoyens», recommande-t-il.
Claude Sengenya