RDC-pénalisation du lévirat et du sororat forcés: des veuves s’expriment 

Photo/ Droits tiers
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Le lévirat et le sororat forcés, jadis encouragés et pratiqués, sont désormais punis par le législateur congolais. Les femmes ayant vécu ces pratiques estiment que c'est une chosification de la femme et même des enfants.

Pour elles, dans un premier temps, la femme est la propriété de la famille de son époux par l'effet de la dot. Ensuite, la compensation matrimoniale qui symbolise la dot reçue par les parents de la femme n'étant pas sortie des seules mains de son époux, toute la belle-famille ayant contribué, les héritiers peuvent bénéficier de la femme, libérée de son lien matrimonial. Enfin, lors du décès de l'époux, les hommes de la famille du défunt héritent de la femme.

Re-socialisation ou déshumanisation de la femme veuve

En République Démocratique du Congo, précisément dans la province du Kasai Oriental, la perte du mari pour la femme était un double calvaire qui pouvait finir par l'emporter également. Que devenait socialement la veuve après ce drame ? Marcelline Kapita, âgée de 67 ans, veuve et mère de 6 enfants, confie son témoignage.

"Après le décès de mon mari dans la province du Kasaï Oriental, alors que je n'avais que 26 ans et 4 enfants, j'ai été mise à l'écart pendant que les biens de mon époux étaient partagés entre ses parents, entre ceux qui appartiennent au même clan/lignage que le défunt. Ni moi, ni mes enfants, n'avions eu droit à l'héritage. Et durant ma période de veuvage, je devais faire face à toute sorte de sévices corporels et moraux, parce que pour ma belle famille, j'étais la sorcière qui a sacrifié leur enfant. Après 46 jours, la belle-famille m'a obligé à prendre le benjamin de mon défunt mari pour époux. Selon eux, ils m'avaient achetée par la dot et se sentaient dans l'obligation de me réinsérer socialement pour que je ne reste pas malheureuse. Pour eux, j'appartiens à leur famille jusqu'à ma mort. J'ai accepté la proposition malgré moi. Mais l'idée de vivre avec le benjamin de mon mari comme époux me tuait à petit feu, mais j'étais obligé et je devais garder le silence.

La pénalisation de ces pratiques vient donc libérer les femmes de tout joug que la société leur imposait une fois qu'elles devenaient veuves.

"Cette loi vient rétablir de l'ordre dans la société, et elle doit être respectée et appliquée". Jadis, la femme ne valait rien et elle était exposée au bon vouloir et aux désirs de l'homme. Nous avons eu à subir des discriminations et maltraitances inacceptables. Je pense qu'à travers cette loi, la femme va recouvrir la jouissance de tous ses droits tel que la constitution les lui reconnaît" a renchérit Marcelline Kapita.

Cette loi est également saluée par Ruth Biatela, âgée de 71 ans, veuve et mère de 11 enfants, originaire de la province du Sankuru. 

"Quand mon mari est mort, j'avais 34 ans et 7 enfants. En Afrique, lorsque l'homme meurt, la veuve, quel que soit le contenu du rite de veuvage, se doit de le suivre à la lettre pour soit disant honorer la mémoire du défunt. Mais lorsque c'est la femme qui meurt, le veuf n'a de contraintes que d'enterrer la défunte. Les hommes ne subissent, en général, aucun rite. Ils se font raser la tête, s'abstiennent de rapports sexuels pour quelques jours. Ils sont même encouragés à se remarier au plus vite. Vu cette manière de faire, je m'étais interdit de suivre à la lettre ma période de veuvage. Après quelques jours, ma belle famille est venue me proposer le cadet de mon mari comme époux, j'ai refusé. Ils m'ont tabassée, et même expulsée de la parcelle avec les enfants. J'ai été obligée de fuir avec mes enfants vers la capitale.

Et d'ajouter :

"Aujourd'hui, nous avons dans la société des enfants qui ne savent pas établir correctement leur identité à cause de ces pratiques, et c'est inacceptable. La femme n'est pas une propriété de l'homme, et elle doit jouir des mêmes privilèges que ce dernier. La société doit arrêter de nous traiter différemment. La loi sur la pénalisation du lévirat et sororat doit être mise en application en commençant par les différentes provinces de la RDC parce que c'est là que sévissent beaucoup de maux".

Pour éradiquer complètement ces pratiques dans les différentes sociétés, Alphonsine Menemene, âgée de 53 ans, veuve et mère de 4 enfants, propose aux côtés de cette loi :

La collaboration de l'État avec les Organisations de la Société Civile, en l'occurrence les Organisations Non Gouvernementales (ONG). Cette collaboration doit être perceptible par des appuis techniques et financiers. 

Elle la justifie par le fait que les ONG sont plus proches des populations et jouent le rôle de relais entre l'État et les citoyens. Les ONG parviennent efficacement à faire évoluer les mentalités en menant des activités de sensibilisation accrues, surtout en milieux ruraux. 

Alphonsine Menemene rappelle que dans une société où les femmes sont majoritairement reléguées au second plan, il est bon d'insister sur le fait que les femmes (qu'elles vivent en ville ou en milieu rural) sont également des êtres humains au même titre que les hommes. Rien ne justifierait qu'elles soient exposées à des pratiques qui les déshonorent car lorsqu'une femme pleure, c'est toute l'Humanité qui est enrhumée.

Nancy Clémence Tshimueneka