Au Tribunal de l’Histoire, j’appelle à la barre tous les intervenants dans l’affaire MATATA PONYO MAPON, Premier ministre honoraire et candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle. Ce dossier fort intéressant, a plusieurs fois défrayé la chronique, tant il est riche en revirement et rebondissement. D’un côté il y a un homme qui s’était pourtant dit prêt à affronter la justice et prouver son innocence, qui contre toute attente, clame un acharnement politique contre sa personne en refusant de braver cette même justice qu’il était pourtant revenu affronter fièrement. D’un autre il y a le bureau du sénat qui a levé les immunités parlementaires d’un sénateur en violation de son règlement d’ordre intérieur.
Dans un autre registre, la Cour de Cassation, juridiction pénalement compétente pour connaitre au premier degré des infractions commises par un sénateur se déclara incompétente pour juger un sénateur – ancien premier ministre – en soumettant la question à la Cour constitutionnelle – juridiction pénale du Chef de l’Etat et du Premier Ministre en fonction.
La Cour Constitutionnelle quant à elle, s’était d’abord déclarée incompétente pour juger un « ancien premier ministre » pour des actes qu’il aurait posés dans l’exercice de ses fonctions, avant de se rebiffer en se déclarant compétente à son égard dans la même affaire, opposant les mêmes parties, pour les mêmes faits.
Dans sa Tribune parue le 12 juillet 2023, le Professeur NYABIRUNGU MWENE SONGA, est revenu sur toutes les irrégularités observées dans le traitement du dossier de son client MATATA PONYO MAPON. En bon avocat, il profite justement de ces irrégularités qu’il dénonce dans le seul objectif de faire échapper son client présidentiable aux mains de la justice de son pays, au point finalement de faire passer le statut « d’ancien Premier Ministre » pour un statut conférant à son détenteur une immunité totale face à la justice. C’est justement là où le bât blesse.
Loin de nous l’intention de justifier une irrégularité par une autre, encore moins de justifier la procédure qui a été suivie jusque-là dans cette affaire : elle est manifestement irrégulière. Cependant, à notre sens, il n’est pas vrai de croire que le statut d’ancien Premier Ministre confère une immunité de juridiction complète. Le présent exposé vise à démontrer qu’il n’y a pas d’immunité de juridiction consacrée en droit positif congolais pour les anciens Premiers Ministres.
Le statut d’ancien Premier Ministre ne confère pas de Privilège de juridiction
Tous les êtres humains sont en principe égaux devant les tribunaux et les cours de justice (Article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). De même toute personne bénéficie de la garantie d’accéder à un tribunal. Cette garantie suppose le droit dont dispose toute personne physique ou morale d’accéder à la justice pour faire y valoir ses droits (MATADI NENGA GAMANDA, Droit judiciaire privé, Editions Droit et Idées nouvelles, Bruylant Academia, Louvain-La-Neuve, 2006, p. 111). Le droit d’accès à la justice comprend le droit de saisir les juridictions compétentes pour que sa cause soit entendue, le droit à la présomption d’innocence, le droit à la défense et le droit d’être jugé par une juridiction impartiale (Article 7 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples).
Le droit international et le droit positif congolais consacre le principe du juge naturel (article 19 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour), principe constitutionnel en vertu duquel toute personne accusée ou poursuivie en justice comparaisse pour être jugée devant le juge que la loi lui assigne (LUZOLO BAMBI LESSA et BAYONA BA MEYA, Manuel de procédure pénale, Presses Universitaires du Congo, Kinshasa, 2011, p. 96).
En droit positif congolais, la compétence du juge naturel est déterminée par trois critères principaux : la territorialité, déterminée par le lieu où l’infraction a été commise ; la matérialité, déterminée par la nature des faits infractionnelles et le taux de la peine y afférents ; et la personnalité, critère intimement rattaché à la qualité de la personne poursuivie (Titre II de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judicaire). Le dernier critère : la personnalité, se rapporte à la notion du privilège de juridiction.
Le privilège de juridiction est une dérogation aux règles de compétence matérielle répressive qui fait que certaines catégories de personnes puissent être jugées par des juridictions bien déterminées, à l’exclusion de toutes les autres dans le souci d’empêcher que ces personnes ne puissent influencer ces juridictions (LUZOLO BAMBI LESSA et BAYONA BA MEYA, Manuel de procédure pénale, Presses Universitaires du Congo, Kinshasa, 2011, p. 91). Le privilège de juridiction ne joue qu’en matière pénale. Ce privilège de juridiction est fort décrié parce qu’il semble créer une forme « d’immunité de poursuite déguisée », au regard des formalités qui entourent la poursuite des personnes qui en bénéficient (KAVUNDJA MANENO Télesphore, Droit judiciaire Congolais, Université Catholique de Bukavu, 2008, p. 42).
Parmi les personnes bénéficiaires du privilège de juridiction, citons les Députés nationaux, les Sénateurs et les membres du Gouvernement, qui sont justiciables devant la Cour de cassation au premier degré (Article 93 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judicaire), le Président de la République et le Premier Ministre qui sont justiciables devant la Cour constitutionnelle (Article 163 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour). Aucune loi ne prévoit un quelconque privilège de juridiction pour « l’ancien Premier Ministre ». Ce qui veut dire qu’un Premier Ministre honoraire, en sa qualité de « citoyen lambda », est justiciable devant les juridictions ordinaires, que sont la Cour d’appel pour les infractions internationales (Article 91 point 1 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judicaire), le Tribunal de Grande instance pour les infractions punissables de plus de cinq ans à la peine capitale (Article 89 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judicaire), et le Tribunal de paix pour les infractions punissables de maximum cinq ans et les peines d’amendes (Article 85 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judicaire).
Le juge naturel du Sénateur MATATA PONYO MAPON est la Cour de cassation
Dans le cas de Monsieur MATATA PONYO MAPON, au regard de sa qualité de sénateur il est de droit justiciable devant la Cour de Cassation au premier degré, car il bénéficie du privilège de juridiction, y compris pour les infractions qu’il aurait commises dans l’exercice de ses fonctions de Premier Ministre. J’en veux pour preuve les écrits du Professeur NYABIRUNGU lui-même : « Nous pouvons retenir que le régime pénal du Chef de l’Etat et du Premier Ministre est particulièrement sévère. Tellement sévère que nous hésitons à parler d’immunité pénale, la seule faveur consistant en la suspension des poursuites, pendant que les huissiers de justice, impatiemment, attendraient le Président de la République et son Premier Ministre, à la porte du Palais, dès la fin de leur mandat. » (NYABIRUNGU MWENE SONGA, Traité de Droit pénal général Congolais, Editions Universitaires Africaines, Kinshasa, 2007, p. 239.) Au sens du Professeur, le Premier Ministre ne bénéficie non pas d’une immunité pénale complète, mais plutôt d’une immunité de poursuite pendant l’exercice de ses fonctions. Cette immunité est d’office levée à l’expiration de son mandat.
Cependant, le Professeur revêtant sa casquette d’avocat assumant la défense de son client, change de fusil d’épaule en s’appuyant sur les conclusions de trois magistrats du Parquet général près la Cour de cassation. Ils soutiennent tous le fait qu’étant donné que la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente à connaitre des poursuites engagées contre MATATA PONYO MAPON, n’étant plus revêtu de la qualité de Premier Ministre, aucune juridiction ne peut engager une action contre ces mêmes faits contre l’ancien Premier Ministre. Ils soutiennent que la loi n’a prévu aucune procédure pour poursuivre l’ancien Premier Ministre. A ce niveau, nous pensons que le Professeur s’est contredit.
En effet, ignorant toute la procédure suivie jusqu’ici, la question que nous pouvons nous poser à ce niveau est celle de savoir à quel moment s’apprécie la qualité de la personne poursuivie ? Est-ce au moment de la commission des faits infractionnels ou au moment des poursuites ? A cette question, le professeur répond que cela relève de la procédure pénale (NYABIRUNGU MWENE SONGA, op.cit., p. 237) et que le Premier Ministre voit les poursuites et la prescription y relatives suspendues jusqu’à l’expiration de son mandat (NYABIRUNGU MWENE SONGA, op.cit., p. 239). Ceci veut donc dire que pour le Professeur NYABIRUNGU or sa casquette d’avocat du Sénateur MATATA, la qualité de Premier Ministre conférant un privilège de juridiction s’apprécie au moment des poursuites et non pas au moment de la commission des faits.
Si les poursuites avaient été déclenchées à l’époque où Monsieur MATATA PONYO était Premier Ministre, la procédure prévue par la Constitution aurait été régulièrement suivie, et il serait déféré devant la Cour Constitutionnelle. Cependant, étant donné que les poursuites à charge du Sénateur MATATA PONYO MAPON ont été déclenchées alors qu’il n’était plus Premier Ministre, il va de soi qu’au regard de sa qualité actuelle de Sénateur, il est justiciable devant la Cour de Cassation et ce même pour des infractions qu’il aurait commises pendant ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions de Premier Ministre.
En conclusion
La procédure est certainement à refaire au regard des nombreuses irrégularités qui l’ont entachée, mais cela ne devrait pas laisser un fâcheux précédent en vertu duquel les anciens Premiers Ministres bénéficieraient d’une immunité de juridiction. Ce n’est pas le cas. Le simple fait de le penser est en lui-même une violation du droit d’accès au juge, puisque cette « immunité de juridiction » au bénéfice de l’ancien Premier Ministre empêcherait toute personne, en ce compris l’Etat lui-même, à exiger réparation des infractions commises par ses anciens premiers ministres à son préjudice.
Cette « immunité de juridiction » viole aussi le droit des anciens premiers ministres de se défendre loyalement devant la justice, puisqu’une immunité de juridiction déguisée ne blanchit pas l’image des anciens premiers ministres accusés d’avoir commis des faits infractionnels pendant ou à l’occasion l’exercice de leur mandat. Dans le cas de MATATA PONYO MAPON, candidat déclaré à la présidentielle, il n’est pas dans son intérêt de tenter d’échapper malicieusement à la justice puisque dans l’imaginaire collectif de ses futurs électeurs, tant qu’il n’est pas officiellement et judiciairement acquitté de toutes charges et de toutes poursuites, il demeure potentiellement coupable.
Le rôle de l’avocat est d’assister son client tout en aidant le juge à la manifestation de la vérité pour que la justice soit rendue équitablement. Un avocat qui tenterait de soustraire son client de la main de la justice en créant un précédent malheureux pour les générations futures s’écarte du serment qui le lie à sa profession. Il en va de même pour un magistrat légalement compétent se déclarant incompétent pour juger un individu pour des motifs obscurs. Ou encore d’un magistrat légalement incompétent se déclarant compétent pour juger un individu en violation flagrante de la loi. Le faisant, ces magistrats violent non seulement la loi, s’écartent de leur serment et créent un mauvais précédent pour la postérité. Il est fort regrettable de voir un vénérable Professeur d’université, censé être la lumière de la société, des Hauts Magistrats censés rendre justice équitablement, employer leur savoir et leur science pour favoriser un individu au détriment de la République et de l’équité.
Kinshasa, le 28 juillet 2023
Maitre Sivahera Varondi, Avocat.