Tribune
Depuis près d’un an, une proposition de loi dite « Loi Tshiani » fait couler beaucoup d’encre et de salive dans le milieu politique en RDC.
En effet, le 8 juillet 2021, le député national Nsingi Pululu élu du district de la Funa, accompagné de l’initiateur de la loi sur la « Congolité » autrement appelé « Loi Tshiani », candidat à l’élection présidentielle de 2018, Noel Tshiani se sont présenté au bureau de l’assemblé nationale pour déposer cette proposition de loi. Il sied de noter que celle-ci consacre un verrouillage des certains postes régaliens ou des positions stratégique, ces fonctions publiques réservées aux congolais de père et de mère sont : la Présidence de la République, la Primature, les ministères régaliens, la Présidence du Sénat et de l’Assemblée nationale, de la Cour constitutionnelle et les grades des généraux au sein de l'armée. Cette proposition de loi est inscrite au calendrier de la nouvelle session parlementaire.
L’élu du district de la funa Nsingi Pululu, qui estime que cette proposition de loi va permettre au pays d'avoir des dirigeants autochtones et loyaux, s’est également dit rassurer du soutien de ses collègues députés. De son côté, Noël Tshiani, l’auteur de cette proposition, justifie sa démarche par la volonté de protéger la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale de la RDC.
En effet, cet ancien haut cadre de la Banque Mondiale considère que la loyauté vis-à-vis de l'État, pour des Congolais dont l'un des parents est étranger, serait hypothétique et douteuse. Ce dernier se dit déterminé à faire adopter son initiative par les députés nationaux. La souveraineté de la RDC pour laquelle Patrice Lumumba est mort, ne se négocie pas.
Cette proposition inquiète. Elle avait déjà fait objet d'un rejet, divise l’opinion et crée des vives tensions. Sur le plan national et international, certains acteurs tant politiques que de la société civile s'y sont opposés et ont également exprimé la crainte de voir ce débat sur la nationalité produire « des conséquences potentiellement dangereuse ».
Depuis un moment se tient des manifestations dans plusieurs villes de la République Démocratique du Congo pour s’opposer à cette proposition de loi qui est un indicateur des conséquences graves qui risquent d'affecter toute une nation. Pour rappel à certain, de ne pas oublier de ce qui s’était passé en Côte d’Ivoire à cause de l’ivoirité. La conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) juge discriminatoire la proposition de loi Tshiani limitant l'accès à la magistrature suprême qu’aux Congolais nés de père et de mère. Pour la CENCO, cette proposition portée par le député Nsingi Pululu au parlement, dans ce contexte, est inopportune.
Devant la presse, Mgr Donatien Nshole, secrétaire général de la CENCO, a démontré les risques d'une telle démarche alors que la RDC traverse de sérieux problèmes notamment sécuritaires dans la partie orientale. Ce clergé dit par ailleurs ne pas comprendre le classement de cette proposition parmi les matières à traiter au mois de mars alors que l'année dernière elle avait été rejetée. La CENCO recommande aux députés nationaux de ne pas s'y pencher au risque de nourrir des tensions latentes à l'approche des élections.
Monsieur Thomas Luhaka Losendjola, président honoraire de l'Assemblée nationale, député national et avocat à la cour d’appel de Kinshasa/Gombe a donné un avis très enrichissant à double volet juridique et politique sur cette proposition.
I. La proposition de loi Tshiani viole la constitution. La proposition de loi Tshiani réservant certaines fonctions à des Congolais de père et de mère viole les articles 12 et 13 de notre Constitution actuelle.
A. De légalité de tous devant la loi
L'article 12 de la Constitution du 18 février 2006, Constitution adoptée par referendum, dispose que « Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ». Cet article qui parle de « tous les Congolais » ne fait aucune distinction entre les Congolais « de père et de mère » et les Congolais « de père ou de mère ». Vouloir, par une loi, créer une distinction non prévue par la Constitution, c'est violer la Constitution. Il n’est pas nécessaire d'avoir un doctorat en droit ou être un juriste avéré pour comprendre que la proposition de loi Tshiani, créant des nouvelles catégories (des Congolais à 100% et des Congolais à 50%) viole légalité de tous les Congolais devant la loi prévue par l’article 12 de la Constitution.
B. De l’égalité d'accès aux fonctions publiques après avoir proclamé légalité de tous les congolais devant la loi en son article 12, notre Constitution actuelle préconise l'égalité d’accès de tous les Congolais aux fonctions publiques. En effet, en son article 13, elle dispose ceci : « Aucun congolais ne peut en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques () faire l'objet d'une mesure discriminatoire, quelle résulte de la loi ou d’un acte de l'exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique ».
Il est établi que la proposition de loi Tshiani est discriminatoire en excluant de certaines fonctions publiques, en raison de leurs origines familiales, les Congolais dont l'un des parents est étranger. En se référant au père ou à la mère d'un candidat à une fonction publique, on se réfère à son origine familiale pour le discriminer ; ce qui est strictement interdit par l’article 13 de notre Constitution. Donc la proposition de loi Tshiani, en créant cette discrimination, viole la Constitution.
En définitive, cette proposition de loi ne peut être recevable quà condition de modifier les articles 12 et 13 par une révision constitutionnelle. Et on connait la lourdeur de cette procédure.
II. La proposition de loi Tshiani a des fondements racistes et ne se justifie pas politiquement
A. La loyauté et la pureté de sang
Considère que la souveraineté nationale et l'intégrité territoriale de la RDC seraient mieux protégées par les Congolais « de père et de mère » parce que ceux-ci seraient plus loyaux à la République que les « sangs mêlés » (congolais de père ou de mère) revient à dire que la loyauté d'une personne à la République est liée à la qualité de sang congolais qu'il aurait en lui. Les 100% congolais (c'est-à-dire de père et de mère) seraient plus loyaux et défendraient mieux les intérêts de la République Démocratique du Congo que les 50% (de père ou de mère).
B. L’absence de fondement historique
La thèse de Noël Tshiani selon laquelle les citoyens congolais de sang pur (100%) seraient plus loyaux et défendraient mieux et plus les intérêts de la RDC que les citoyens congolais de sang mélangé, devaient s’appuyer sur des exemples solides récoltés dans l'histoire de notre pays. Ce qui n’est pas le cas.
L'amour de la patrie est une question morale et non un problème biologique.
L’auteur de ce projet devrait par exemple nous prouver en quoi Léon Kengo wa Dondo (fils d’une congolaise et d’un belge), a, comme premier ministre, moins bien défendu les intérêts de la RDC que Faustin Birindwa, un 100%. En quoi Abdoulaye Yerodia Ndombasi (fils dune congolaise et d’un sénégalais) a été moins patriote, moins nationaliste, que Bertrand Bisimwa, Président du M23, et 100% congolais ? En quoi, dans l’armée, le général Kikunda Ombala (mère congolaise et père belge), le général Mulamba Pene Lowa (mère belge et père congolais), le général Michel Elesse (mère congolaise et père belge) et le Colonel Mamadou Ndala (mère congolaise et père sénégalais) ont été moins bons officiers et moins patriotes que les autres généraux de père et de mère ? A travers cette analyse on voit bien que cette proposition de loi n'a pas de raison d’être par manque des fondements juridiques et politiques. La loyauté des autorités publiques ne sera garantie que par une éducation civique approfondie et l'assurance des sanctions, positives ou négatives, sans distinction aucune de la quantité de sang congolais quelles auraient dans les veines (100%, 50%, 25% ).
Je pense que cette proposition de loi est dangereuse car elle risque visiblement d'exhumer les vieux démons séparatistes du passé.
En effet, dès l'indépendance de la République démocratique du Congo, le pays a fait face à la menace séparatiste et tribaliste, de tel sorte que la cohésion sociale de la RDC a été bâtit durement avec des accords et compromis (Accord de Lusaka 1999, de Sun City 2001, coulés dans la constitution de 2006). Et aujourd’hui encore le pays est hanté par ses démons du passé.
Cette proposition de loi qui divise déjà fortement l'opinion risque d’être l’élément qui va briser cette cohésion nationale fragilisé déjà par le tribalisme qui gangrène la République Démocratique du Congo. Il pense qu’il ne faut pas bafouer des règles sociales essentielles à la cohésion nationale pour des intérêts politique. Cette loi est discriminatoire parce qu’il vient réduire la jouissance des droits d'une catégorie des congolais d'origine en prédisant un doute sur leurs loyautés. Cependant l'histoire de la République Démocratique du Congo nous renseigne qu’il y a eu des dignes fils et filles de ce pays qui ont rendu des loyaux services, qui ont donné de leurs vies pour la République Démocratique du Congo alors qu'ils faisaient partie de cette catégorie de congolais méprisé par cette loi.
Cette proposition de loi est inopportune parce que c'est une année électorale et la tension est déjà palpable depuis le début de cette année. Il est généralement constaté, en République Démocratique du Congo, pendant la période électorale, des tensions politiques et parfois même tribale très fortes. De ce fait, une loi bien que nationaliste, mais aussi discriminatoire d'une couche de la population congolaise dont fait partie un candidat majeur de l'opposition, peut créer des soulèvements dans d'autre coin du pays.
Les règles de droit ayant deux caractères particuliers, générales et abstraites.
La règle est générale parce qu’elle s’adresse à tout le monde ou à une catégorie des personnes, elle est abstraite car elle ne s’adresse à personne en particulier. Ces deux caractères sont des garde-fous pour empêcher toute sorte d’instrumentalisation des règles de droit pour les intérêts privés. Malheureusement cette loi présente plusieurs éléments suspects qui nous démontrent le côté non abstrait et personnel de cette proposition.
Cette loi est qualifiée de personnel parce qu’elle viserait un individu en particulier, l’homme d'affaire et ancien gouverneur du Katanga Moise Katumbi, qui a déjà dévoilé son ambition, celle de se présenter à la présidentielle de 2023. Il sied de rappeler que quand ce dernier faisait encore partie de l’union sacrée cette proposition de loi a été déclaré irrecevable par le bureau d’étude de l'assemblée nationale. Cela prouve combien cette proposition n'a pas un caractère abstrait et général.
Le géniteur même de cette loi, Mr Tshiani a eu plusieurs sorties médiatiques s’adressant clairement à Moise Katumbi. C’est pourquoi l'abbé Blaise Kanda a dit comme maintenant ce sont les originaires de la province du Kasaï qui sont au pouvoir, il serait prudent d'attendre avec cette loi, pour que les Katangais ne se sentent pas visés. C'est pourquoi je monte au créneau et dit que cette proposition de loi n’a pas de place pour maintenant ni demain en RDC. Certes la démocratie ne doit pas exclure de telle conversation seulement celle-ci doit être bien encadrée pour protéger cette démocratie qui est encore fragile.
J'estime légitime l'opinion de chaque partie, pour la pro-loi Tshiani qui disent que le pays est infiltré depuis plusieurs année par des étrangers qui ont occupé des hautes fonctions, et qui sont à la base de l'instabilité, de la déstabilisation mais aussi de l'insécurité comme actuellement à l'Est du pays, Je rappelle que le pays a toujours était dirigée par le congolais du père et de mère, mais que cela n’a jamais exclus une certaine forme d’infiltration ni de corruption ni des magouilles. Si les institutions sont fortes même si le président n'est pas congolais de père et de mère, les institutions fortes ont des mécanismes forts et adéquats pour sanctionner toute action contraire à la constitution et aux intérêts du pays commis même au plus haut sommet de L'état. Le Parlement ou encore la Cour Constitutionnelle ont le pouvoir de sanctionner et même de destituer le président de la république dans les cas précis. La réponse à cette question évoquée par la proposition de loi TSHIANI repose sur la force des institutions fortes et non sur une loi discriminatoire qui va mettre le pays en feu et en sang.
Les institutions fortes et la lutte contre la corruption sont les véritables remèdes pour construire un Etat où nul n'est au-dessus de la loi. La séparation du pouvoir, le contrôle parlementaire et l’indépendance de la justice sont les fondements pour barrer la route à l'autoritarisme.
Conclusion
La position géographique de la République Démocratique la prédispose à avoir des contacts avec ses 9 voisins frontaliers, de ce fait cette loi aura des répercussions sur la plupart des provinces car elles ont des contacts permanents, des unions et des liens de famille avec les populations des pays voisins avec qui elles vivent ensemble géographiquement depuis toujours.
Seules les personnes originaires des provinces du centre qui seront considérées comme congolaise purs, de père et de mère; et seront exempté de cette règle, cela serait de la discrimination. Il est temps pour le Président de la République qui a la majorité parlementaire par sa plate-forme d'union sacrée d’encourager ses députés à sauvegarder la cohésion nationale en rejetant cette proposition de loi.
Dr. Flavien Shirandi., PhD Consultant Politique et Leadership Stratégiste,