Le nouveau gouvernement Sama Lukonde II retient l’attention des citoyens et acteurs politiques pour des raisons diverses. Sa conformité au principe de la parité homme-femme semble ne retenir l’attention que de très peu d’acteurs. La composition de ce gouvernement est-il conforme à l’article 14, alinéa 5 de notre Constitution qui impose à l’État et ses démembrements l’obligation de garantir « la mise en œuvre de la parité homme-femme » au sein des institutions nationales, provinciales et locales ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord circonscrire la notion de parité-homme femme (A) puis celle de l’égalité (B) pour afin apprécier la conformité de la composition du gouvernement Sama Lukonde II à la Constitution (C).
Parité homme-femme
La Constitution du 18 février 2006 de la RDC ne définit pas cette notion. Elle donne la possibilité au législateur d’en déterminer les modalités d’application. La loi de 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité définit la parité homme-femme comme étant une « égalité fonctionnelle qui consiste en la représentation égale entre les hommes et les femmes dans l’accès aux instances de prise de décision à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie nationale, sans discrimination ; outre le principe du nombre, elle indique aussi les conditions, les positions et les placements ». Certains auteurs définissent cette notion en référence à l’égalité numérique ou mathématique entre les hommes et les femmes à des postes de prise de décision. Cette position a malheureusement été rejetée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt R.Const. 624/630/631 du 30 mars 2018. D'autres estiment simplement que les hommes et les femmes doivent bénéficier des mêmes chances et opportunités, quel que soit le résultat. Il s’agit donc d’un objectif à atteindre progressivement et non d’une finalité en soi. Mais à quoi servirait la parité homme-femme sans obligations numériques/arithmétiques dans une société dans laquelle, selon la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, la grande proportion d'hommes, même parmi les plus éduqués, n'approuve pas l'égalité des sexes et reste très attachée aux stéréotypes. A la suite de Catherine Nzunzi wa Mbombo, les hommes politiques congolais se servent généralement des femmes comme « marchepied » ou pour remplir les grands rassemblements afin d’acquérir et de conserver le pouvoir ? La parité homme-femme ne peut se réaliser en RDC que lorsque son acception numérique est prise en compte. A cela s’ajoute l’exigence d’adopter une approche substantielle du droit à l’égalité.
Égalité formelle et égalité substantielle
Il est illogique de penser que la simple affirmation du droit à l’égalité entre les hommes et les femmes suffit à garantir l’effective jouissance de ce droit par les femmes. Cette égalité formelle, qui veut que l’on traite de la même manière les mêmes situations, ignore les discriminations et marginalisations sociales, culturelles et historiques auxquelles les femmes ont fait et continuent de faire face dans notre société. Cet équilibre rompu ne peut être atteint que lorsqu’un État prend en compte des considérations de justice distributive pour compenser les inégalités. Dans l’arrêt R.Const. 624/630/631, les neuf « messieurs les juges de la Cour constitutionnelle » ont ignoré cette réalité en imposant une lecture formelle de l’égalité dans une société hautement patriarcale. Pour discréditer toute analyse visant à promouvoir la parité homme-femme, certains commentateurs imbus d’orgueil patriarcal pensent que la nomination des femmes au gouvernement ne se traduit pas nécessairement par l’adoption d’un plus grand nombre de politiques visant à améliorer les conditions de vie des femmes. Ce commentaire est dénué de tout fondement car il suppose que les femmes doivent d'abord prouver qu'elles sont capables de transformer les conditions de vie de leurs congénères ou qu'elles sont compétentes avant d'être élues ou nommées au gouvernement et à d’autres postes de responsabilité. Les hommes font rarement l'objet d'un tel examen.
Quoi qu’il en soit, et comme je le démontre plus tard, il ne suffit pas de brandir le nombre des femmes nommées ministres. Encore faudra-t-il examiner, comme l’indique la loi de 2015 sur la parité, l’importance des positions qu’elles occupent.
La régression de la parité homme-femme chez Sama Lukonde II
En ne respectant pas la parité homme-femme et en offrant aux quelques femmes des positions largement inférieures à celles occupées par certains hommes ministres, le Président de la République n’a pas pris en compte les exigences de l’article 14, alinéa 5, de la Constitution. Les chiffres nous permettent d’évaluer le non-respect de cette disposition constitutionnelle mais ils peuvent tout autant être trompeurs. De 57 ministres composant le gouvernement Sama Lukonde II, 16 sont femmes (28%), une légère régression de 0,5% comparativement à la représentation féminine dans le gouvernement Sama Lukonde I. Cette différence n’est pas anodine. Elle témoigne de l’insouciance du leadership politique à transformer les pratiques politiques patriarcales qui font obstacle à la participation politique effective des femmes. En droit international des droits de l’homme, le principe de non-régression interdit l’adoption des politiques et autres mesures susceptibles de diminuer le niveau de protection des droits atteint par un État dans un domaine particulier. Concrètement, on se serait attendu qu’il y ait augmentation significative du nombre de femmes dans le gouvernement. On se serait également attendu à l’augmentation du nombre de vice-primatures accordées aux femmes à l’issue du remaniement et non pas la réduction en ministre d’État, une vice-première ministre de l’environnement. Par ailleurs, de cinq vice-primatures actuelles, aucune n’est chapotée par une femme. Seules quatre femmes sont ministres d’État sur 11. Les calculs politiques ne doivent pas faire obstacles à la réalisation de l’impératif constitutionnel de parité homme-femme.
Il est vrai que le Président de la République semble fournir assez d’efforts pour accroitre la représentativité numérique des femmes dans le gouvernement. Cependant, cette volonté politique doit être accompagnée par une rupture avec les pratiques patriarcales consistant à reléguer les femmes ministres aux portefeuilles sans envergures. Les obligations contenues à l’article 14, alinéa 5 de la Constitution et à l’article 9 (droit de participation au processus politique et à la prise de décisions) du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes (ratifié par la RDC le 9 juin 2008) s’imposent aux pouvoirs publics et à toute personne. Elles tiennent à ce que les femmes soient numériquement et substantiellement représentées au gouvernement.
Trésor Muhindo Makunya est docteur en droit constitutionnel de l’Université de Pretoria. Il est enseignant-chercheur à l’Université de Goma, chercheur postdoctoral et coordonnateur des publications au Centre des droits de l’homme, faculté de droit (Université de Pretoria). Twitter : @TMakunya ; Facebook : Trésor Makunya.