Depuis plus d’un an, la Gécamines et son partenaire chinois CMOC se livrent une bataille silencieuse pour la renégociation de l’accord qui les lie. L’entreprise minière d’Etat dénonce un manque à gagner de plus de 7 milliards de dollars.
« J’ai essayé à maintes reprises de les rappeler mais l’associé chinois CMOC ne se présente pas pour l’instant », explique Sage Ngoie Mbayo, administrateur temporaire de Tenke Fungurume Mining SA (TFM SA), la deuxième mine de cobalt du monde. « Jusqu’à présent, je n’ai jamais pu accéder au site. La CMOC m’en empêche. Je demande à la CMOC de me rencontrer le plus rapidement possible pour que personne ne se retrouve pénalisé. Il ne faut pas nuire à la santé de l’entreprise ».
Pourtant, Sage Ngoie Mbayo a été confirmé dans son mandat le 18 novembre 2022 par le tribunal de commerce de Lubumbashi. Le 29 juin dernier, il avait ordonné par courrier la suspension « jusqu’à nouvel ordre » les exportations de TFM, en raison d’un « différend persistant » concernant les termes de commercialisation de la production de la société entre les actionnaires, selon un courrier officiel qu’ACTUALITE.CD a pu consulter. Depuis, plus une tonne de cuivre de TFM ne sort du Congo. L’entreprise continue malgré tout à produire et à payer ses fournisseurs, assurent, plusieurs sources.
L’actionnaire ultra majoritaire (80%), c’est le chinois CMOC, anciennement China Molybdenum Company Limited, une entreprise cotée en bourse et l’un des plus grands producteurs de molybdène au monde qui menace aujourd’hui d’aller en justice. Il l’est devenu en 2018 après avoir racheté les parts d’abord de l’américain Freeport, puis des canadiens de Lundin Mining pour plus de 3 milliard de dollars.
La Gecamines ne détient que 20% des parts et a plus d’un sujet de mécontentement. « Nous étions les premiers à aller en justice novembre, s’ils veulent aller à l’internationale, nous sommes prêts », assure Léon Mwine, directeur général adjoint de la Gécamines. Ce dernier ne mâche pas ses mots contre son partenaire chinois. Il dénonce « une opacité manifeste et une asymétrie en informations » entre les deux actionnaires.
« Ils nous ont caché des informations ». « Ils avaient dit qu’il n’y avait pas de rapport géologique consolidé. C’est scandaleux pour une entreprise cotée en bourse », dénonce encore le haut cadre de la Gécamines à ACTUALITE.CD.
L’Etat congolais soupçonne CMOC d'avoir sous-estimé les réserves de la mine afin de réduire le montant des redevances qu'elle verse à la Gecamines. Les Chinois démentent. Le différend entre les deux actionnaires a commencé en août 2021, lorsque CMOC a annoncé son intention d'investir 2,5 milliards de dollars dans l'expansion de Tenke Fungurume Mining qui permettrait de doubler la production de la mine.
Selon une source proche des négociations, la compagnie d’Etat réclame plus de 7,6 milliards de dollars à son partenaire chinois, notamment en se basant sur l’article 4 de la convention des actionnaires qui prévoit « redevance supplémentaire de 1,2 million USD pour toutes 100.000 tonnes de réserves additionnelles de cuivre au moment où de nouvelles réserves sont constatées au-delà des réserves de cuivre d'environ 2.5 millions de tonnes de cuivre calculées jusqu’ici ». « La Gecamines estime que les réserves se réfèrent au minerai, c'est-à-dire la terre. Les chinois, eux, parlent d’en termes de métal extrait », explique l’officiel qui a suivi les négociations. Cet officiel explique encore à ACTUALITE.CD que la partie congolaise a également imposé des pénalités sur un manque à gagner qui remonte à 2010.
« On ignore les hypothèses de base prises en compte par la Gécamines pour arriver à ce chiffre de 7 milliards de dollars, je suis un peu sceptique », explique Jean-Pierre Okenda, expert dans le secteur minier et directeur industries extractives chez Ressource Matters. « Mais le taux de bonus que TFM paie pour ses réserves est faible comparé à ses concurrents. Au cours de la dernière décennie, presque toutes les entreprises de partenariat ont payé $35 par tonne de réserves de cuivre. En comparaison, TFM a payé $52 dollars la tonne pour les 2 premiers millions de tonnes de cuivre, mais seulement $12 pour tout tonnage découvert au-delà. Ce faible taux contraste encore plus fortement avec les taux récemment renégociés allant jusqu’à $160 que certains autres grands concurrents opérant au Congo ont acceptés de verser ».
« Les chinois ont proposé 63 millions puis 800 millions sur 6 ans. Les 800 millions, ils les calculent sur base de quoi?”, s’emporte Léon Mwine. “Nous leur avons dit, vous payez ce que vous devez. Pas question d’échelonnement. Si vous n’avez pas suffisamment d’argent, regardez vos parts, regardez vos gisements ».
Notre source qui a suivi les négociations assure que la Gecamines a proposé 2 à 2,5 milliards de dollars, à récupérer une partie de la concession et entre 49 et 51% des parts.
Ces chiffres, la Gécamines n’a pas souhaité les confirmer. « Nous avons été de bonne foi, mais le partenaire est opiniâtre », explique encore Léon Mwine. « La justice pour nous est une opportunité de faire éclater la réalité ».
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Sonia Rolley