Des médicaments fabriqués au Congo peuvent-ils remplacer les molécules importées ? Le gouvernement de Kinshasa assure que oui et veut promouvoir l'industrie de RDC en obligeant hôpitaux, pharmacies et ONG à acheter localement certains produits, ce qui inquiète des professionnels de la santé.
"Ce n'est pas facile de faire du business au Congo", constate Joss Ilunga Dijimba, 52 ans, qui se bat pour faire tourner son entreprise pharmaceutique, Pharmagros, installée dans la banlieue de la capitale de la République démocratique du Congo.
La société, qui emploie environ 40 personnes, a survécu tant bien que mal aux pillages massifs des années 90, dit-il. Mais il y a aussi les impôts, les taxes douanières, la difficulté d'embaucher du personnel qualifié...
"L'idée de promouvoir l’industrie locale, c'est une bonne chose", se félicite donc l'entrepreneur, diplômé de l'Université du Texas, en assurant que plusieurs sociétés congolaises, dont la sienne, sont d'un très bon niveau.
Dans les locaux climatisés de Pharmagros, derrière des murs surmontés de barbelés, des hommes portant charlottes et blouses blanches s'activent à la production de médicaments génériques, dont du paracétamol, qui seront livrés dans tout le pays.
Près des trois quarts des quelque 90 millions d'habitants de RDC vivent sous le seuil de pauvreté et, malgré un très fort potentiel minier, hydraulique et agricole, la plupart des produits consommés dans le pays sont importés.
Le gouvernement congolais a défini 35 médicaments, dont le paracétamol, que les infrastructures de santé devront se procurer localement. Cette règle a été édictée en fin d'année dernière mais, devant les oppositions et les difficultés de mise en œuvre, reste pour l'instant soumise à un moratoire.
Ces médicaments peuvent être fabriqués et achetés en RDC, affirme Donatien Kabamb Kabey, directeur des pharmacies au ministère de la Santé. Le gouvernement veut stimuler la production locale sans pour autant interdire les importations, dit-il.
Depuis l'annonce des nouvelles mesures gouvernementales, 15 entreprises pharmaceutiques sont en cours de création et s'ajouteront aux 24 déjà existantes en RDC, indique M. Kabey.
- "À vos risques et périls"-
Des experts sont cependant convaincus qu'à cause de règlements laxistes, les médicaments fabriqués au Congo risquent d'être peu sûrs.
"Quand vous vous tournez vers le secteur privé au Congo, c'est à vos risques et périls", met en garde Ed Vreeke, qui dirige Quamed, société de contrôle qualité de médicaments basée en Belgique.
"Ils savent pertinemment que la qualité de ce qu'ils produisent n'est pas bonne", dit-il.
Selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), les médicaments de mauvaise qualité ou contrefaits tuent des centaines de milliers de personnes chaque année.
Interrogés devant une pharmacie de la Gombe, quartier le plus riche de Kinshasa, des clients se montrent partagés. "Je n'ai pas de préjugés", déclare Joëlle, juriste de 29 ans, qui n'a pas regardé d'où proviennent les médicaments qu'elle vient d'acheter. "Il y a quand même une différence de qualité", estime de son côté Olivier, 52 ans, fonctionnaire. Mais, ajoute-t-il, si la qualité est la même, "pas de problème".
M. Vreeke reconnaît que les règles congolaises se sont améliorées, mais estime que le pays n'a pas les ressources pour mener les contrôles nécessaires, y compris sur la composition chimique des médicaments.
Le climat chaud et humide de la RDC pose aussi des problèmes de stockage.
En 2021, une étude sur des collyres vendus à Kinshasa, par exemple, a montré que trois produits testés sur sept n'étaient pas aux normes et le seul échantillon fabriqué au Congo était contaminé.
M. Kabey l'affirme, les standards se sont "énormément" améliorés ces dernières années et, ajoute-t-il, le gouvernement met en place un laboratoire national de contrôle qualité.
Selon des sources humanitaires, ces assurances n'ont pas convaincu de grandes ONG, comme Médecins sans Frontières (MSF) et Médecins du monde (MDM), qui ont demandé des dérogations à ces nouvelles règles d'achat local.
MSF n'a pas souhaité commenter. MDM a confirmé avoir demandé une dérogation en raison d'inquiétudes sur la qualité et sur la capacité à satisfaire la demande.
"Il faut avoir des critères élevés de qualité pour tout le monde, mais la réalité du pays, c’est que parfois, c’est impossible", commente sous couvert d'anonymat une source humanitaire.
AFP avec ACTUALITE.CD