Du 10è sommet sur l’accord cadre d’Addis-Abeba à la guerre en Ukraine, en passant par le lancement d'un appel Uni en faveur d'une participation accrue des femmes congolaises en politique ainsi que la réhabilitation du gouverneur déchu Théodore Ngwabidje au Sud-Kivu, la semaine qui s'achève à été riche au niveau de l'actualité. Marie-Josée Ifoku passe en revue ces faits marquants.
Bonjour Madame Ifoku et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler brièvement de vous et de vos activités ?
Difficile de parler de soi-même. Néanmoins, je suis épouse, mère, grand-mère et congolaise. Mes études ont porté sur l’administration et le marketing. Sur le plan professionnel, j’ai évolué, au Canada et en RDC dans les grandes entreprises de l’automobile, jusqu’à occuper graduellement le poste de Directrice Générale. Je continue à entreprendre pour contribuer à l’émergence d’une économie congolaise forte par des projets économiques divers et des prises d’actions dans des sociétés.
En 2015, j’ai fait mon entrée en politique au poste de Commissaire spéciale adjointe de la Tshuapa (Province issue du démembrement de la grande Province de l’Équateur) avant d’y exercer les fonctions de Vice-Gouverneur, et par la suite celle de Gouverneure jusqu'aux élections de 2018. Présidente Nationale de mon parti politique AENC (Alliance des élites pour un Nouveau Congo), je suis dévouée à la promotion de l’idéologie de « la Rupture du système de prédation par la Kombolisation pour la renaissance de la RDC ».
A l’Eglise, je suis une servante de Dieu consacrée au ministère de la compassion et de l’évangélisation.
Initiatrice et Présidente du Mouvement EKOKI, INATOSHA de lutte pour la défense et la promotion de la paix et de la dignité de la femme et de la jeune fille, je reste portée vers le plus de rapprochement social avec les populations vulnérables.
La semaine qui s’achève a notamment été marquée par la tenue du 10è sommet sur l’accord cadre d’Addis-Abeba. Cet accord interdit aux Etats notamment de s’ingérer dans les affaires internes des pays voisins et de soutenir les groupes armés pour combattre d’autres Etats. Neuf ans après sa signature, que pensez-vous de sa mise en œuvre ?
Il y a beaucoup d’hypocrisie dans nos rapports avec certains de nos voisins, qui sont en réalité, dans plusieurs situations, des sous-traitants des puissances qui ont besoin des tensions et d’exploiter les matières premières. Ils en profitent aussi pour leurs propres besoins.
Le vrai problème est celui de la capacité de la République Démocratique du Congo à se doter des capacités appropriées pour assurer la défense du pays contre les agressions venant de l’extérieur et pour exercer son effective autorité sur l’ensemble du territoire national. C’est en ayant une force interne dissuasive que cette mise en œuvre de l’Accord cadre d’Addis-Abeba pourrait avoir plus de chance à se réaliser.
En préparation de ce sommet, des membres de la société civile du Nord-Kivu ont recommandé mardi, à la RDC, d’exprimer son ras-le-bol devant ses voisins sur les actes de violations flagrantes de l’accord-cadre d’Addis-Abeba, dont elle est souvent victime ou qu’elle décide carrément de se retirer de la CIRGL. Que pensez-vous de cette déclaration ?
Un accord est toujours mieux que rien dans une situation de crise relationnelle ou de conflit. En se retirant, on doit avoir la certitude de pouvoir régler autrement et efficacement les problèmes concernés par l’Accord. C’est une question de gestion de notre diplomatie pour savoir user des mécanismes prévus par l’organisation en vue du règlement pacifique des questions de violation de l’Accord.
La Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs a des objectifs qui dépassent la question de sécurité des frontières. Elle a le rôle majeur de créer les conditions favorables à la sécurité, à la stabilité et au développement au sein des Etats Membres. En plus, la CIRGL a 12 membres, et tous ne sont pas dans ces cas de violation.
Entre-temps, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et les Forces de défense du peuple Ougandais (UPDF) mènent des opérations conjointes pour la pacification de l’Est depuis le mois de novembre. Quelles suggestions feriez-vous aux deux parties pour la réussite de cette opération ?
C’est plutôt juste l’Ituri qui est concerné par ces efforts. L’insécurité est aussi présente dans d’autres provinces : Nord-Kivu, Sud Kivu, Tanganyika, Haut Lomami…Ma suggestion est d’abord aux autorités de mon pays, afin qu’elles règlent d’urgence les problèmes qui font que nos forces de sécurité ne soient pas capables de régler seules cette situation de l’Est. Dans le même secteur, il y a les forces de l’ONU. Il y a trop de forces étrangères en RDC depuis très longtemps. Mon souhait est que cette collaboration avec l’armée ougandaise soit de très courte durée pour éviter les complications pouvant naître de la sédentarisation d’une armée étrangère sur notre sol.
Le mouvement citoyen la Lucha rappelle l'urgence de procéder à l’évaluation de l'état de siège instaurée dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, qui conduira à la levée de cette mesure. Que pensez-vous de cette situation ?
La question de l’insécurité dans ces deux provinces est très complexe. Elle a trois décennies et comporte des trahisons en interne mêlées à des intérêts étrangers. Il faut avoir le tableau complet de la situation pour donner un point de vue valable. Toutefois, l’évaluation est un exercice normal dans toute action. J’ose croire que le gouvernement et les commissions chargées des questions de sécurité du Parlement procèdent à une évaluation avant de décider de la prolongation. L’objectif est l’instauration de la paix.
En mettant fin à l’état de siège, on doit s’assurer d’une autre mesure pour instaurer la paix. Or, malgré les multiples cas enregistrés de tuerie, il y a des avancées dans la compréhension même de cette guerre et dans la récupération des territoires restés plusieurs années hors contrôle des pouvoirs publics réguliers du pays.
Félix Tshisekedi prend les commandes du mécanisme régional de suivi de cet accord après Yoweri Museveni. Quelles seront vos propositions pour l’avancement de cet accord au cours des 12 prochains mois ?
Commencer par exécuter les engagements nationaux pris dans le même cadre de l’Accord et qui sont importants pour le progrès du pays. Ce sont des engagements pour lesquels un mécanisme national de suivi a été créé en 2013, qui donne l’impression d’être dans la léthargie. Je rappelle que parmi les engagements nationaux il y a les réformes dans l’Armée et de la police, la consolidation de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, la mise en œuvre de la décentralisation, l’expansion des infrastructures et la fourniture des services sociaux de base et la promotion de la réconciliation nationale. La réussite de l’Accord au niveau régional et international dépend aussi de celle des engagements nationaux.
Il convient de réaliser une évaluation avec les organisations, comme l’UA et l’ONU, et des pays amis, qui sont impliqués dans la gestion de l’Accord Cadre, au regard des ramifications des problèmes au-delà de la Région, afin de déterminer les avancées, les difficultés et les éventuelles violations.
Il est important d’aller à la racine de l’objet de l’Accord en mettant en œuvre les protocoles signés dans les domaines de développement et de la démocratie au sein des pays membres.
Je recommande particulièrement au Président Félix Tshisekedi, en prenant les commandes du mécanisme régional de suivi de l’Accord, d’assurer la promotion des droits des femmes et des enfants dans la région et la participation accrue des femmes à la gestion des questions relatives à la paix.
Au Sud-Kivu, le gouverneur Théo Ngwabidje a été réhabilité par la Cour constitutionnelle alors qu’il a fait l’objet de trois motions dont la troisième a conduit à sa destitution. Que faudrait-il pour mettre fin au phénomène destitution des gouverneurs qui tend à s’installer en RDC ?
Je vais peut-être en choquer certains. Pour avoir dirigé une province, notre expérience des assemblées provinciales est pitoyable. C’est une structure budgétivore et encombrante à balayer. La manière par laquelle certains députés provinciaux et gouverneurs sont désignés produit des effets néfastes. Mais, il faut aussi reconnaître que nombreux gouverneurs destitués méritent au fond leur sort. Il y a de l’incompétence et de la légèreté qui font très mal aux populations. Mais ce n’est même pas la raison pour laquelle ils sont destitués, c’est souvent un problème de partage du butin.
« La rupture du système de prédation par la Kombolisation», que je développe avec mon parti AeNC pour mon pays, a l’aspect de nettoyage des institutions inutiles, des anti valeurs, des dirigeants corrompus et incompétents, afin d’obtenir une nouvelle gouvernance avant d’arriver à la renaissance de la RDC.
En attendant, la seule manière d’aider à améliorer positivement la situation, est l’éveil patriotique des congolais par une prise de conscience individuelle et collective en faisant pression sur les gouvernants, afin de les contraindre à plus de responsabilité, de moralité et au respect de l’intérêt général. Les congolais ont le devoir citoyen de se soucier plus de leurs intérêts et de les défendre.
Par ailleurs, à Lubumbashi, la mairie de la ville prévoit des sanctions contre la hausse “illégale” des prix du transport et la pratique de demi-terrain. 400.000 Fc pour les minibus et 250.000 Fc pour les taxis. Que pensez-vous de cette décision ?
Une bonne chose. Le prix du transport en commun est de ceux que l’Etat congolais réglemente et ne laisse pas de liberté aux offrants de le fixer selon leur bon vouloir. C’est bien de décider de sanctionner, mieux de prévoir des mesures de pérennisation et d’application efficace de la mesure. C’est triste de voir combien de mesures sont prises sans aucun mécanisme d’encadrement, et elles restent une lettre morte contribuant à l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat.
L’absence d’une politique de transport des masses, par exemple le train et les bateaux, en profitant des grands espaces et de nombreux cours d’eaux dont regorgent nos villes, donne du pouvoir aux chauffeurs de taxis, motos et minibus. Les pouvoirs publics devront investir dans les transports des masses et établir les meilleures conditions permettant aux privés d’y investir.
Au cours de la semaine également, des ONG congolaises ont lancé un « Appel uni pour l’engagement national à la participation accrue des femmes en politique ». Quelles sont selon vous les préalables pour parvenir à cette participation accrue des femmes ?
Il n’y a pas de préalables pour la participation des hommes en politique. Je ne vois pas pourquoi on devrait en poser pour les femmes. Les lois relatives à la gestion publique ne sont ni masculines ni féminines. Il y a une égalité de droit des femmes et des hommes, pour qu’il n’y ait pas des mesures discriminatoires.
Par contre, du fait que dans la réalité, les femmes sont victimes de nombreuses discriminations de nature à leur priver l’instruction, l’éducation, les emplois dignes et l’accès à des fonctions de décision, il y a lieu d’appliquer les dispositions constitutionnelles et légales sur la parité pour que le 50/50 soit rigoureusement respecté dans tous les secteurs. Elles ont besoin des facilités pour leur formation, particulièrement pour les jeunes filles des milieux ruraux et des programmes particuliers de sensibilisation et conscientisation pour les sortir de la torpeur et l’infantilisme dans lesquelles elles ont été longtemps abandonnées.
La participation accrue des femmes se fera par leur solidarité, l’union de leurs compétences et la détermination d’aller jusqu’au bout dans leur combat. J’aime parler de « leadership collectif », au détriment du leadership individuel qui se développe très souvent avec l’égoïsme, l’orgueil et la recherche de gloire personnelle. Nous souffrons ensemble et toutes. Gagnons ensemble et pour toutes. L’avantage de la victoire des femmes est sa particularité de profiter aux enfants, aux hommes, à toute la société.
La Russie a lancé le 24 février, une « opération militaire » de grande ampleur en Ukraine. Moscou a déclaré avoir détruit 74 installations militaires alors que le pays attaqué a déjà fait état de plusieurs dizaines de morts. Quelle suggestion pour éviter au monde une nouvelle guerre mondiale ?
La paix est un bien très précieux dont on ne peut être privé pour rien au monde. Je prie et lutte pour la paix partout. Pour éviter au monde une nouvelle guerre mondiale, nous devons apprendre à absolutiser le respect de la vie humaine, à développer les mécanismes de résolution pacifique des conflits internationaux, à mettre l’homme ou l’intérêt des peuples au centre des préoccupations et à relativiser le pouvoir du bien matériel.
Les enjeux mondiaux se définissent aujourd’hui sur l’Afrique, par rapport au nombre et à la jeunesse de sa population, ainsi qu’à ses ressources naturelles et stratégiques. On se dispute l’Afrique et les africains sont observateurs et marginalisés. Malgré les atouts de l’Afrique et le nombre assez élevé de pays à l’Assemblée Générale des Nations Unies, l’Afrique n’a pas de membre au Conseil de sécurité. Le sérieux des africains dans la gestion et la protection de leurs Etats et richesses déterminent le cours des événements par rapport à la paix dans le monde. L’Afrique devra prendre conscience de son destin de matrice de l’humanité pour réaliser sa responsabilité de mère protectrice et nourricière du monde. C’est en cela que les Africains pourront avoir le rôle d’empêcher une nouvelle guerre mondiale et ne pas continuer à subir les effets de la guerre des autres.
Réagissant à cette attaque, l’UA exhorte les 2 parties à l'instauration immédiate d'un cessez-le feu et à l’ouverture sans délai de négociations politiques sous l’égide des Nations Unies, afin de préserver le monde des conséquences d’un conflit planétaire. Que pensez-vous de ce message de l’Institution Africaine ?
L’Union africaine devrait commencer par développer les capacités d’arrêter des guerres en Afrique et instaurer la paix dans les pays africains. Ce qui lui vaudra la crédibilité d’être écoutée. Les prédateurs n’ont pas pitié de leur proie.
Un dernier mot ?
La rupture du système de prédation par la Kombolisation (balayage, nettoyage) pour la renaissance de la RDC, vision chère à l’AeNC dont je suis présidente, veut redonner la dignité et la liberté au peuple congolais à travers une prise de conscience de notre grand rôle à jouer dans le monde. Nous sommes un grand pays d’enjeux économique, de sécurité et d’insécurité mondiale par notre taille, notre position géographique, nos minerais et nos multiples richesses. Prenons le courage à travers la Renaissance de la RDC, de renégocier les accords qui ne servent pas l’intérêt de notre peuple.
Propos recueillis par Prisca Lokale