RDC : « c’est dur d’avoir un enfant drépanocytaire », des parents relatent leur quotidien

Photo/ Actualité.cd
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La République Démocratique du Congo est le deuxième pays d’Afrique le plus touché par la drépanocytose (après le Nigeria). On estime que 50 000 enfants naissent chaque année avec cette maladie et que la moitié d’entre eux décède avant 5 ans. Entre fortes fièvres, crises vaso-occlusives répétitives et le maintien en milieu scolaire, à Kinshasa des parents reviennent sur leurs conditions de vie.

« Ça se passe comme ça tous les jours. Je ne sais plus quoi faire. J’ai acheté les médicaments recommandés, mais les douleurs ne s’arrêtent pas (…). Je fais des ristournes pour payer les soins de mes filles (…). C’est dur d’avoir un enfant drépanocytaire. La plupart des médicaments dédiés aux drépanocytaires sont importés. La moyenne des dépenses par jour est de 100.000 francs congolais. Par moment, il faut des séances de radio et d’échographie », se plaint Charlie Musuamba, les yeux inondés des larmes.

Elle est à bout de force. Habitante de Mont-Ngafula, une commune du Sud de la ville de Kinshasa, Charlie Musuamba est internée depuis trois mois à l’hôpital Mabanga de Kalamu, avec Bénédicte (Nom d’emprunt), 11 ans. Il est 13 heures passées. Pagne aux couleurs ternis, foulard sur la tête, elle fait des allées et venues entre la chambre, la pharmacie et parfois l’extérieur du centre. En effet, depuis deux heures, les douleurs osseuses ont repris. Les efforts d’une voisine de lit pour masser les jambes de la jeune fille et la prière du pasteur qui parcourt les locaux ne suffisent pas. Plus les douleurs sont intenses, plus Bénédicte émet des cris de détresse.

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A gauche de Mme Musuamba, se trouve Joel Iyenda, agent de la fonction publique, père d’un garçon de 7 ans et une fillette de 3 ans, drépanocytaires aussi. Tee-shirt presque en lambeau, babouches usés, il vient de servir du thé à son fils, alité depuis deux mois dans le même centre.

« J’étais en déplacement en province, lorsque mon garçon a commencé à faire des fortes fièvres. Après un test d’électrophorèse recommandé par l’hôpital, il a été confirmé drépanocytaire. Plus tard, pendant que les crises avaient repris, il est tombé en notre absence. Ce qui a causé la déformation des os pour les deux pieds. Il a arrêté l’école. L’hôpital a demandé 3.000 $ pour une intervention. Nous sommes là en attendant d’avoir les moyens » a-t-il expliqué. 

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Le fils de Joël  Iyenda (avec la permission du père)

Si Musuamba et Iyenda ont eu plus d’une naissance drépanocytaires, le cas de Marlène Malonda est différent. Habitante de la commune de Kasavubu, elle a eu quatre enfants de son union conjugale datant de presque 15 ans. Contre ses attentes, le quatrième enfant est le seul présentant la forme homozygote SS.

« Il est né en bonne santé. Mon fils n’avait pas de fièvre, ni un problème de sang. Mais à 4 ans, après des fortes fièvres, les grammes de sang ont sensiblement baissé. Nous avons suivi tous les soins à l’hôpital. Deux mois plus tard, la même situation s’est reproduite (…). Finalement, des examens nous ont permis de confirmer qu’il était drépanocytaire. Ce fut une surprise désagréable », a-t-elle confié. 

Engagée dans une entreprise privée d’aviation, Célestine Furaha, se trouve dans le même cas que Malonda. Elle s’est organisée pour avoir une infirmière proche de son domicile, auprès de qui elle peut solliciter des petits soins pour sa fille. « Cette maladie a trop d’exigences. Je voudrais juste m’assurer que même lorsque je ne suis pas là, quelqu’un peut lui offrir les premiers soins. Je me suis battue pour que ma fille aille à l’école. Elle a 20 ans cette année et passe en troisième graduat. Je crois que par la grâce de Dieu, elle pourra terminer ses études », explique la mère. 

Saviez-vous que vous auriez pu éviter cette naissance ?

Parmi les moyens reconnus pour prévenir la naissance des enfants drépanocytaires, on compte notamment le passage au test d’électrophorèse qui sert à déterminer le statut hémoglobinique de chaque individu. Selon une enquête du 18 au 24 mars 2020 sur la drépanocytose (anémie SS) par le cabinet d’études de marchés Target afin de connaître la perception de la population sur la dangerosité de cette maladie et ses connaissances sur les symptômes de cette affection dans les pays sous-développés, il en ressort que 92% des Congolais ne se font pas dépister de la drépanocytose contre seulement 8% qui passent un test de dépistage. 44% des congolais considèrent la drépanocytose comme une maladie très dangereuse, 37% estiment qu’elle est dangereuse, 12% comme moins dangereuse, 5% comme pas du tout dangereuse et 2% ne la trouvent pas dangereuse.

Charlie Musuamba a trois filles, toutes drépanocytaires. Elle a débuté une activité dans le commerce des friperies mais depuis la reprise des crises vaso-occlusives de Bénédicte, elle a dû tout arrêter. Le père est décédé il y a de cela une année.  « Nous nous sommes mariés il y a plus de 10 ans. Avant le mariage, nous avions eu l’idée de passer le test d’électrophorèse. Mais, seul mon époux s’y était rendu. Il était AS. Je n’aurais pas dû (…) », dit elle pleine de regret.

Marié en 2012, monsieur Iyenda confie n’avoir jamais entendu parler du test d’électrophorèse avant de se marier. « Je n’étais pas au courant d’un tel examen. Qui pouvait me le dire ? Les signes se sont manifestés plus tard et la vie est devenue très difficile pour moi », a-t-il dit.

Célestine Furaha exhorte aux jeunes à faire le test d’électrophorèse avant de se marier. « Quelque soit le degré d’amour, il faut passer par le test d’électrophorèse et décider si l’on peut ou non poursuivre une relation. Je pense aussi que si parmi mes trois enfants, l’ainée était testée SS, je n’aurais pas eu d’autres enfants avec le même homme. Nous avons eu des sérieux problèmes au niveau de nos familles. Il fallait convaincre, il fallait se battre pour rester ensemble et affronter cette dure réalité » a-t-elle affirmé.

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Marlène Malonda a décidé d'arrêter d'avoir des enfants après la naissance d’un enfant drépanocytaire. « Avoir un seul enfant drépanocytaire nous coute énormément de temps et des moyens alors que nous avons d’autres enfants pour lesquels il faut payer les études. Je n’imagine pas ce que cela peut nous couter si l’on devait avoir un autre enfant drépanocytaire », a-t-elle confié.

Par ailleurs, une stratégie pour la région africaine de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) élaborée en 2010 souligne que pour améliorer la prise en charge de la drépanocytose, il est indispensable de promouvoir le dépistage précoce des cas et de mettre en œuvre la stratégie de prise en charge globale. Elle précise également qu’en République démocratique du Congo, 12 % des enfants hospitalisés dans les pavillons de pédiatrie sont drépanocytaires et, selon les estimations, le coût annuel du traitement est supérieur à US $1 000 par patient. Les parents interrogés au cours de ce reportage ont tous plaidé pour que l’Etat congolais organise la prise en charge des cas des drépanocytaires et que la lutte ne se limite pas au niveau de la sensibilisation.

Prisca Lokale