Le Makala a une valeur de 40 millions USD par an sur le marché de Goma: Comment le charbon de bois finance les groupes armés installés dans le parc national des Virunga - Épisode 5

Une patrouille des Écogarde du Parc National des Virunga
Une patrouille des Écogarde du Parc National des Virunga

Deux camions remplis de bois sont réquisitionnés à côté du cachot installé à Rumangabo, quartier général du parc national des Virunga (PNVi). Ils ont été interceptés par les écogardes en plein parc. Les occupants de ces véhicules - des civils - sont arrêtés. Ils ne sont pas à leur premier coup et ils ne sont pas les seuls. Certains habitants aux alentours du parc s’adonnent à cette activité illégale. Beaucoup d’entre eux ne comprennent pas pourquoi ils doivent être interdits de couper les bois dans cette zone. Les 12% de la surface du parc occupé par les groupes armés sont également caractérisés par « la carbonisation ». 

« L’histoire des Virunga, c’est également l’histoire de violences, conflits armés, guerres civiles, une situation dramatique, etc. Nous avons subi des tragédies. Depuis l’année passée (2020, Ndlr), nous avons perdu 21 de nos collègues. Virunga, c’est le parc qui subit le plus haut taux de violence dans le monde. C’est une situation difficile », explique, la mort dans l’âme, à ACTUALITE.CD Emmanuel de Merode, directeur du parc.

La colère de la population locale a parfois atteint des extrémités: « les gens abattaient les gorilles non pas pour manger leur viande ou les vendre. C’est parce qu’ils avaient besoin d’accéder au parc pour les Makala. La population était avec eux parce qu’il y avait un sentiment d’injustice ». 

Cette activité nourrit aujourd’hui la violence dans la région. 

« Certains s’imaginent que l’argent vient des pays étrangers pour financer la guerre au Congo. En regardant de plus près, il y a le trafic illégal des ressources congolaises. Le Makala a la valeur de 40 millions de dollars par an sur le marché de Goma. 92% de ce Makala vient du parc. Le fait qu’il vient du parc rend ce Makala illégal. Pour entreprendre une activité illégale, il faut se défendre ». 

Pour répondre à cette situation, le parc note l’urgence de rétablir l’état de droit. Ainsi, les écogardes sont appuyés par les FARDC dans la mission de protéger le parc, mais ce n’est pas suffisant.

« La loi doit être respectée, mais pour fonctionner cette loi ne peut pas être perçue comme injuste. Il faut générer une richesse alternative pour les populations riveraines », précise Emmanuel De Merode.

« Une famille congolaise peut générer entre 1400 et 1600 dollars par an sur un hectare. 800 000 hectares (la surface du parc, Ndlr), c’est plus d’un milliard USD de recettes auxquelles la population n’a pas accès. Pour générer cet argent, nous avons mis en place l’alliance Virunga parce que les conservateurs n’y arriveront pas seuls. Il faut une alliance. Il faut trouver des valeurs communes. On est dans une région qui est riche. Il y a des ressources qui peuvent être exploitées légalement sans créer la violence », explique le directeur du parc.

La stratégie du parc est basée sur trois piliers à travers l’Alliance Virunga: « il y a d’abord le tourisme. Les jeunes de la région peuvent trouver de l’emploi et devenir des professionnels du tourisme. Ce secteur peut également susciter des investissements. Nous avons misé également sur l’énergie qui est le moteur d’une économie. Le parc des Virunga peut générer deux fois l’électricité du Rwanda. Il y a 8 points sur des rivières. Et comme troisième pilier, nous avons la transformation. Et cela doit se faire au Congo ». 

L’alliance Virunga, c’est aussi des parcs économiques aux alentours du parc national des Virunga. Ce sont des espaces aménagés pour accueillir des entrepreneurs actifs dans la transformation des produits agroalimentaires locaux.

« Tout est interconnecté avec l’apport de tout le monde: secteur privé, société civile, institutions publiques, etc. C’est la première fois au monde qu’un parc tente cette expérience. », se réjouit Emmanuel De Merode.

En 2020, 80 millions de USD étaient générés par le parc à travers toutes les industries liées à l’Alliance Virunga. 

Si des solutions sont envisagées et implémentée dans le Nord-Kivu, ce n’est pas le cas pour l’ensemble de l’Est du pays. Le groupe d’experts des Nations Unies révélait fin 2020 qu’au Sud-Kivu « le bois d’œuvre, en particulier le séquoia, et le charbon de bois ont servi à financer les activités des factions Raïa Mutomboki des groupes Butachibera et Hamakombo opérant dans les forêts autour de la région de Bunyakiri, dans le territoire de Kalehe ». Cette espèce relève de l’annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Les séquoias des réserves forestières naturelles de Ngandja, de Lwama- Kivu et d’Itombwe sont aussi menacés. Selon plusieurs enquêtes dont une du groupe d’experts des Nations Unies, des réseaux criminels qui payaient les Maï-Maï Yakutumba pour pouvoir accéder aux forêts pour abattre le séquoia. 

« Depuis décembre 2019, ces groupes armés ont imposé des taxes de 200 à 500 francs par personne et par jour pour l’accès des charbonniers aux forêts, tandis que la taxe pour les bûcherons allait de 5 000 à 10 000 franc », écrivent les experts onusiens.

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