« Ni Bya Kiroho » : Repenser l’état de siège au Nord-Kivu

Les militaires congolais dans la zone opérationnelle de Beni/Ph ACTUALITE.CD

Quand on parle « Ni Bya Kiroho » on fait allusion à quelques choses d’immatérielle ou de spirituelle ou des choses étonnantes comme aime le dire le comédien Mbukuli de Goma. Cette tribune est rédigée par Josaphat Musamba, Limbo Kitonga & Shakito Bwingo, respectivement chercheur au GEC-SH et Doctorant à l’Université de Gand basé au Nord et Sud-Kivu, chercheur Indépendant basé au Nord-Kivu et chercheur et acteur Politique indépendant basé au Nord -Kivu.

Introduction

Dans une ordonnance du 03 Mai 202, le président de la République, Felix Antoine Tshisekedi décrétait un état de siège dans la province d’Ituri et celle du Nord-Kivu. Fondant sa politique sécuritaire sur les effets néfastes de cycles de violences autant que les menaces posées par les groupes armés, en cavalière consultation avec la représentation nationale en dehors de celle provinciale, le président de la République a décidé de la limitation des libertés publiques en nommant deux exécutifs provinciaux militaro-policiers. A travers cette ordonnance ne contenant que cinq articles, le président Felix Antoine Tshisekedi suspendait les Assemblées et gouvernements provinciaux autant que les juridictions civiles. Alors que les immunités et privilèges des députés provinciaux n’ont pas été épargnés, une deuxième ordonnance-loi fixait les mesures d’encadrement de l’état de siège. Si ses articles énoncent la composition et le nombre de collaborateurs du gouvernement provincial militaro-policier, la nomination des acteurs des entités territoriales décentralisées et déconcentrées ainsi que les avantages sociaux des gouvernements et parlements suspendus (Article 1) furent clairement précisés. En  consacrant les autorités tutélaires, le délais et attributions de gouverneurs militaires et leurs adjoints policiers, le chef de l’Etat leur reconnaissait l’exclusivité de la conduite des opérations militaires. Si cette décision surprenait les gomatraciens autant que les députés provinciaux (voir la déclaration du 22 Juillet 2021), d’autres espéraient au rétablissement de la paix et de la sécurité qui tarde à venir malgré des effets sentis au niveau des entités urbaines (Ville de Goma).

Depuis le 6 mai 2021, ces ordonnances entraient vigueur dans les deux provinces, pendant que quatre-vingt-cinq jours après, les députés provinciaux autant que la Lucha Afrique-RDC exigent son évaluation . Par ailleurs, les députés provinciaux ont épinglé des éléments assez importants contrastant avec les logiques de l’Etat de siège. En plus du manque de communication sur l’Etat de siège, ses prorogations ne sont pas bien accueillis autant que l’absence des opérations militaires contre les groupes armés selon les députés. Si ces derniers fustigent une gestion militariste prolongée, constitutionnellement les FARDC sont soumis à l’autorité civile. Contrairement, les avantages des Assemblées et gouvernements provinciaux suspendus ne sont souvent pas perçus, en plus du manque de considération pour le gouverneur militaire envers les députés suspendus même si d’autres voient dénoncent des relations civilo-militaires tendues etc. Étant donné que l’ordonnance consacrant l’état de siège reconnait la liberté de pensée, notre rôle de chercheurs nous impose d’apporter un éclairage sur les réalités souvent oubliés qui contribueraient au débat sur la pertinence et les prolongations de l’État de siège. Dans la mesure où cette politique devrait être répliquée, comment ne pas apprendre des leçons tirées de l’État de siège au Nord-Kivu ?

Comme souligné, trois mois après, les FARDC ont présenté un bilan des opérations. Si certains rebelles furent neutralisés à Beni, d’autres combattants des groupes armés se sont rendus à Rutshuru, à Masisi et à Walikale pendant que d’autres groupes posent des conditions. Sachant que des groupes armés étrangers comme les ADF-MTM, les FDLR/Foca ou les RUD - Urunana n’ont pas fait des déclarations, certaines parties au Nord - Kivu sont loin d’aspirer à la paix malgré l’État de siège. Comment expliquer les dynamiques souterraines de l’État de siège par rapport à la gouvernance sécuritaire? Comment les autorités militaires assurent-elles l’effectivité des avantages sociaux reconnus députés et membres du gouvernement provincial suspendu? Quel est l’état de relations entre gouvernants militaro - policiers, opérateurs économiques et ceux des entités territoriales décentralisées et/ou déconcentrées ? Cette réflexion est axée sur trois points en marge de l’introduction et la conclusion. Premièrement, le papier discute de la gouvernance sécuritaire pendant l’état des siège au Nord-Kivu ensuite s’interroge sur le respect de dispositions de l’ordonnance présidentielle énonçant les mesures d’application et la réalité sur terrain enfin il souligne les relations entre autorités militaro-policières et opérateurs économiques et celles des entités décentralisées et déconcentrées.

Etat de siège et gouvernance sécuritaire

Appuyé par les populations ainsi que par des députés provinciaux comme nationaux, la politique de l’Etat de siège donnait un espoir alors que trois mois après, des déchantés sont nombreux. En effet, la gouvernance sécuritaire l’imposition de l’état de siège, posait le problème d’enchevêtrements observés entre les trois grands centres de décisions militaires. Avant l’Etat de siège, la province du Nord-Kivu, localisée dans la troisième zone de défense, fut divisée en deux secteurs opérationnels ( Sukola 1 et Sukola 2) puis un état major commandement de la 34 ème région militaire, comment alors concilier les ordres militaires dans la mise en œuvre des stratégies de sécurisation et de défense de l’intégrité territoriale ? Même si tous rapportent au ministre de la défense, une cacophonie frisant la compétition entre autorités militaires hiérarchiques soient de mise. Des sources locales rapportent que des tensions et résistances sont observées. Si certains secteurs opérationnels ne renvoient leurs rapports qu’à la zone de défense basée à Kisangani, le gouverneur militaire veut à tout prix contrôler pourtant cela ne fait pas unanimité. En marge de la politique de bouclage instituée dans la ville de Goma, des actes des banditismes et rackets nocturnes policiers soient légion à Goma. Si les populations décident de se taire pour éviter des arrestations, elles n’apprécient pas la recrudescence de la violence ne pleine état de siège. Mieux anticiper des solutions alternatives pour éviter des cycles de manifestions pour dénoncer cet état de choses.

« Je vous reçois au même titre que les motards : Je ne suis pas venu négocier avec vous députés provinciaux…»

Dans la liste de mesures d’application de l’état de siège figure deux grands éléments qui divisent députés provinciaux suspendus et observateurs avisés: Sur la composition du cabinet du gouverneur militaire et/ou le non-respect et la régularité de paiement des avantages sociaux reconnus aux membres des institutions politico-administratives provinciales. Selon les informations concordantes, après sa nomination, le gouverneur militaire, en marge de son équipe de collaborateurs, aurait emporté dans sa gibecière d’autres militaires de la taille d’un gouvernement provincial. S’il a récemment nommé une équipe de cinq collaborateurs, deux gouvernements parallèles seraient payés au Nord-Kivu.

S’agissant des avantages sociaux reconnus aux députés provinciaux, au personnel administratif de l’assemblée provinciale et aux membres du gouvernement et cabinets politiques suspendus, le gouverneur militaire ne fait que briller dans le retard de paiement de salaires : « Ne pas accorder aux membres du gouvernement et Assemblée provinciale leurs avantages sociaux conformément à l’article 1 er de l’ordonnance n°21/016 du 03 mai 2021 portant mesures d’application de l’Etat de siège, c’est déroger au droit à la vie et violer l’article 4 de l’ordonnance n°21/015 du 03 mai 2021 portant proclamation de l’état de siège » (Lettre du 22 juillet 2021 : p6). Se cramponnant sur l’argument de la modicité de finances publiques provinciales, le gouverneur militaire aurait privé un député de ses droits alors qu’il venait de perdre sa femme. S’il devait lui donner une somme de 1500 USD pour faciliter l’enterrement de sa femme, ce dernier ne reçut pas de réponse favorable jusqu’à ce que tard dans la soirée, le gouverneur décida d’honorer la facture nuitamment après avoir été informé des actions de protestation de ses collègues députés provinciaux. Les rapports entre députés provinciaux et le gouverneur militaire ne sont pas bons comme on les prétendrait.

En plus, les députés provinciaux fustigent le manque du respect, de propos discourtois, humiliant et dégradants du gouverneur militaire envers eux: « je vais vous tirer dans vos carapaces, je vous reçois au même titre que les motards, je ne suis pas venu négocier avec vous, c’est d’ailleurs la première et la dernière fois de vous revoir ». Sans aller dans la prise de position, malgré que le gouverneur militaire agirait dans les limites de la constitution, il doit noter que les actes posés contrairement aux prescrits de la loi seront évalués par les mêmes députés après cette période d’exception. D’ailleurs, ce gouverneur a été entendue par la commission au niveau de l’assemblée nationale, pourquoi s’y est-il présenté alors que ce sont des civils? Il serait souhaitable que les prescrits de l’ordonnance portant mesures d’encadrement de l’Etat d’urgence soient exécutés surtout en ce qui concerne le social des députés provinciaux, leurs cabinets et le gouvernement provincial suspendus.

Rapport entre gouvernants Militaro - policiers, économiques et territoriaux

En parlant du rapport entre gouvernants militaro-policiers et opérateurs économiques, des contradictoires perceptions sont développées entre-eux. En effet, une perception erronée des opérateurs économiques du Nord-Kivu a emmaillé les actes et déclarations du gouvernement provincial militaire qui a excellé dans les intimidations sans en comprendre les méandres. Comment expliquer la propension à considérer les opérateurs économiques comme des inciviques financiers alors que le Nord-Kivu soit parmi les provinces qui contribuent grandement au trésor public ? Avant le gouvernement de Constant Ndima au Nord-Kivu, la province mobilisait à elle seule plus ou moins un million cinq-cents milles dollars, pendant l’état de siège, les finances de la province à peine arrivent à huit-cents milles dollars nous a confirmé un des députés suspendus. Intimider les opérateurs économiques et les obliger à mobiliser les recettes est une aberration et un déplacement des objectifs de l’état de siège. Sa motivation n’est pas de s’impliquer dans la mobilisation de recettes mais ramener la sécurité. Si tel fut le cas, les populations de Walikale, Nyabiondo, Lwibo, Lukweti ou de Kahira, réclameraient des projets de développement et de modernisation car il s’agit de leurs droits. Quelles sont les actions entreprises par le gouvernement militaro-policier dans la modernisation et le développement local des entités territoriales décentralisées ou déconcentrées au Nord-Kivu ?

Ensuite, dans leurs rapports avec les entités territoriales décentralisés ou déconcentrés, il est plus qu’important de regarder ces questions malgré que l’état de siège ait institué un régime d’exception. Récemment, dans le territoire de Rutshuru, l’administrateur Policier a procédé à la suspension d’un fonctionnaire délégué du gouverneur. Malgré que cette nomination ait été bannie et énerve la loi sur la décentralisation et sur la création de communes rurales, en réalité ces fonctionnaires délégués du gouverneur continuent à jouer un rôle important. L’ordonnance instituant les mesures d’application stipule que les nominations ou le relèvement des agents des entités territoriales et décentralisés ne peuvent se faire que par le président de la république sur proposition du Ministère de la défense. Pourtant, l’administrateur militaire n’aurait jamais consulté le ministère tutélaire ou autres. Si les députés se sentent aussi muselés du fait qu’ils soient limités dans leurs mouvements, le régime militaire, quoi qu’inscrit dans le cadre de l’état de siège, devrait scrupuleusement respecter les prescrits des ordonnances parce que tôt ou tard, le peuple, détenteur de pouvoir civil et au nom duquel l’armée a été instituée, réclamera justice aussi.

Conclusion et implications socio-politiques

Imposer un état de siège au Nord-Kivu est une chose mais monitorer les effets que celui-ci pose en est une autre. Dans les discours sur la situation sécuritaire de l’Est de la RD Congo, les rapports entre le gouverneur militaire et autres structures militaires ne sont pas clairement définis. Si une loi clarifiait les limites et domaines de collaboration, cela aurait un impact sur la diversification de centres de décisions sécuritaire. Le fait que le gouvernement provincial militaro-policier afficherait moins de respect aux dispositions consacrant les mesures d’application de l’état de siège, des tensions ultérieures sont possibles. Peut-être que les députés ou les ministres et cabinet du gouverneur suspendus peuvent réclamer leurs droits et cela serait perçue comme une instrumentalisation contre la politique présidentielle de l’état de siège. Ainsi, le gouvernement provincial militaro-policier devrait trouver des espaces de discussion avec le parlement autant que le gouvernement provincial afin d’honorer en tout ou par paliers les avantages sociaux (salaires etc.) de députés provinciaux suspendus. Aussi, la diabolisation des opérateurs économiques est une des politiques suicidaires car malgré l’état de siège, les opérateurs économiques pourraient ne pas payer les taxes et bloquer financièrement le gouvernement provincial, mieux la persuasion serait sage par rapport aux intimidations. Afin d’éviter des tensions, le gouvernement provincial militaro-policier devraient adopter une approche de rapprochement avec les autres autorités car il suffit que les rapports de forces changent au sein de l’assemblée nationale pour que l’on refuse le prolongement de l’état de siège, des charges pénales pèseront contre ses animateurs historiques. C’est pourquoi, au nom de la liberté de la pensée, reconnue dans l’ordonnance n°21/015 du 3 mai 2021, nous suggérons que des recherches approfondies soient faites pour comprendre les interactions entre gouvernants militaro-policiers avec les opérateurs socio- économiques et humanitaires mais aussi comprendre les compétitions entre autorités militaires, gouvernements militaro-policiers dans le processus de sécurisation au quotidien et la substitution de la justice militaire à celle civile dans un contexte des entités enclavées et occupées par les groupes armés. Parce que mieux vaut apprendre des limites actuelles afin de réorienter la politique sécuritaire de l’état de siège afin de maximiser les chances de son soutien et son appropriation par les communautés dans la province du Nord-Kivu.