Décision du bureau du sénat autorisant les poursuites contre Matata Ponyo : une coquille foncièrement vide ?

ACTUALITE.CD

Le samedi 24 juin 2021 le Procureur Général près la Cour constitutionnelle a de nouveau saisi le Président du Président du Sénat congolais par un réquisitoire aux fins d’obtenir la levée des immunités du Sénateur Augustin MATATA PONYO, et ainsi  l’autorisation des poursuites contre ce dernier pour des faits infractionnels commis pendant ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions de Premier Ministre, soit dans la période entre 2011 et 2015. Le lundi 5 juillet 2021, le Président du Sénat congolais, répondant favorablement à ce réquisitoire du Procureur Général, a pris la Décision n° 006/CAB/PDT/SENAT/MBL/HFM/EBD/2021 du 5 juillet 2021 portant autorisation des poursuites et levée des immunités parlementaires du Sénateur Augustin Matata Ponyo, une Décision que nous qualifions de coquille foncièrement, un mal de droit.

Des immunités de poursuites

L’immunité de poursuites est un ensemble de privilèges légaux ou constitutionnels reconnus à certaines personnes dans le but d’assurer leur protection contre les actions judiciaires intempestives et dilatoires. L’action publique ne peut être mise en mouvement lorsqu’il y a immunités de poursuites. Il s’agit là, en réalité, d’une exception au principe constitutionnel de l’égalité de tous devant la loi. La Constitution ou la loi peuvent épargner certaines personnes de poursuites judiciaires lorsqu’il apparait que le trouble social provoqué par elles est un moindre mal par rapport au service qu’elles sont appelées à rendre à la société. Elles constituent une sauvegarde que l’on assure aux fonctions et aux intérêts sociaux qu’elles assument et non un privilège que l’on accorde à ces personnes.

Pour des raisons d’opportunités politiques ou de politique criminelle, certaines personnalités congolaises bénéficient de l’immunité de poursuites. Il s’agit notamment du Président de la République, du Premier Ministre, des Membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

Ces immunités de poursuites sont à distinguer des inviolabilités, elles sont également à distinguer des privilèges de juridiction.

Du privilège de juridiction

Il y a privilège de juridiction chaque fois qu’une personne, pour une infraction données, est traduite, au regard de sa qualité ou position socio-professionnelle, devant une juridiction autre que celle dont la compétence matérielle a été attribuée pour ladite infraction. Il s’agit, en effet, d’une dérogation aux règles de compétence matérielle d’attribution. C’est ainsi que le Président de la République et le Premier Ministre sont justiciables de la Cour constitutionnelle, et les membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat sont justiciables de la Cour de cassation.

Moment d’appréciation de l’immunité de poursuites et du privilège en cas de changement de fonction

La doctrine et la jurisprudence enseignent que, en cas de changement de fonction, la juridiction compétente est la juridiction du moment de la commission de l’infraction, alors que la procédure à suivre est celle du moment des poursuites.

Concrètement, Monsieur Augustin Matata Ponyo, ancien Premier Ministre entre 2011 et 2015, Sénateur depuis 2018, est justiciable de la Cour constitutionnelle pour les faits infractionnels commis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions de Premier Ministre. Par contre, la procédure à suivre est celle prévue dans la Constitution pour la poursuite des membres du Sénat.

Le Sénat lève les immunités d’abord, ensuite (par conséquent) autorise les poursuites

Il faudrait, pour que le Procureur Général enclenche des poursuites à l’encontre d’un membre du Sénat, l’autorisation du Sénat ou de son Bureau, selon que l’on se trouve en période session ou des vacances parlementaires.

Nous lisons dans la Décision du Président du Sénat du 5 juillet 2021 que ce dernier autorise les poursuites du Sénateur Augustin Matata Ponyo, et « autorise » la levée des immunités. Une entorse flagrante à la norme constitutionnelle, une décision coquille vide bien que le message soit passé. Le Sénat « lève » les immunités, mais n’autorise pas la levée des immunités. Il autorise qui ? En vertu de quoi ? Sur quel fondement ? Un mal au droit.

Par ailleurs, la levée des immunités de poursuites précède l’autorisation des poursuites qui, en effet, n’est que la résultante, la conséquence logique pour laquelle la procédure a été initiée.

Pourquoi article 1er et non pas article unique ? Une Décision prise avec beaucoup trop de légèreté.

Le Bureau du Sénat autorise les poursuites non pas sur la base de l’article 166 de la Constitution, mais plutôt sur l’article 107 al. 3 de la Constitution

Nous lisons encore, avec regret, la Décision du Président du Sénat autorisant les poursuites à l’encontre du Sénateur Augustin Matata Ponyo se fondant sur l’article 166 de la Constitution qui dispose que « La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur. La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation des membres du Gouvernement sont votées à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur. Les membres du Gouvernement mis en accusation, présentent leur démission ». Une disposition qui, juridiquement, ne fonde pas, dans le contexte du Bureau Sénat, l’autorisation des poursuites. Le bon article méconnu du Président du Sénat et de son bureau est plutôt l’articler 107 al. 3 qui dispose qu’ « en dehors de sessions, aucun parlementaire ne peut être arrêté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'Assemblée nationale ou du Bureau du Sénat, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ».

Grâces MUWAWA L., Desk Justice ACTUALITE.CD