PROROGATION IMPERATIVE DES SESSIONS PARLEMENTAIRES PENDANT L’ETAT DE SIEGE. Une objection à la position de la Cour constitutionnelle dans son arrêt R.Const. 1584 du 22 juin 2021

Les juges de la Cour Constitutionnelle/Ph. ACTUALITE.CD

   Par:

Joseph CIHUNDA HENGELELA,

Jean-Jacques KAHUNGA MAPELA &

Clément SHAMASHANGA MINGA

Chercheurs au Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique (CREEDA)(www.creeda-rdc.org

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INTRODUCTION

Lundi 15 mars 2021, l’Assemblée nationale et le Sénat ont ouvert leurs sessions ordinaires de mars (15 mars-15 juin) conformément à l’article 115 de la Constitution. Durant cette période, le Président de la République a proclamé l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Conformément à l’article 144 alinéa 5, l’état de siège cesse de plein droit si sa prorogation pour une période successive de 15 jours n’est pas décidée par le Parlement, obligatoirement saisi par le Président de la République. Il faut cependant noter que la recrudescence de la pandémie à Covid-19 due à la circulation à Kinshasa du variant indien ou delta, très contagieux et particulièrement meurtrier, a poussé le Président de la République a imposé de nouvelles mesures de riposte sur toute l’étendue de la République.

A l’approche de la date constitutionnelle de la clôture de la session de mars (soit le 15 juin) et au regard de la nécessité de maintenir l’état de siège ainsi que de respecter les mesures édictées par les autorités pour lutter contre le Covid-19, les Présidents des chambres parlementaires cherchaient une ligne de conduite à tenir. Des concertations internes ont eu lieu notamment avec le Président de la Cour constitutionnelle (CC) et le Procureur général près cette juridiction sans qu’une solution ne soit trouvée jusqu’au 15 juin. A cette date, un débat public au Sénat a opposé les partisans de la clôture de la session de mars, quitte à convoquer une session extraordinaire pour proroger l’état de siège aux tenants de la prorogation de la session de mars conformément à l’article 144 alinéa 3 de la Constitution. Etant donné qu’aucun consensus n’a été trouvé, le Président du Sénat s’est vu obligé de suspendre la séance du 15 juin en attendant les concertations avec le Président de l’Assemblée nationale.

Le Président de l’Assemblée nationale a décidé de saisir, par une requête enrôlée sous  R.Const. 1584, la CC en interprétation des alinéas 2 et 3 de l’article 144 de la Constitution. Cette demande d’interprétation a soulevé quatre questions importantes en ces termes : 

…face à la recrudescence de la 3ème vague de la pandémie de Covid-19 dont l’épicentre est la Ville-province de Kinshasa et des mesures de riposte prises par les autorités publiques pour la protection des populations, l’Assemblée nationale se demande si le fait de clôturer la session porterait atteinte aux dispositions constitutionnelles de l’article 144 alinéas 2 et 3 ?

Comment peut-elle retarder la clôture de la session comme l’exigent les dispositions constitutionnelles précitées alors qu’elle est dans les conditions d’impossibilité matérielle de tenir ses séances plénières publiques eu égard aux mesures sanitaires restrictives prises par les autorités ?

Autrement dit, les mesures restrictives préconisées par les autorités pour faire face à la propagation de cette pandémie de Covid-19 sauraient-elles justifier, en tant que cas de force majeure, la clôture de la session ? Au cas où tel ne serait pas le cas, quelle attitude l’Assemblée nationale pourrait-elle observer en vue d’assurer ses obligations constitutionnelles de proroger l’état de siège pour des périodes successives de 15 jours encore en cours ? Peut-elle être fondée à organiser des séances en format très réduit pouvant permettre au seul Bureau et Présidents des groupes parlementaires (de délibérer)?

Ces questions du requérant se résument par la possibilité ou non de clôturer les sessions parlementaires durant l’état de siège. Dans l’hypothèse où la clôture des sessions devait être retardée, que devra faire l’Assemblée nationale pour tenir ses séances plénières tout en respectant les mesures de riposte contre le Covid-19 édictées par le Président de la République ?

La présente étude analyse la position de la CC sur les demandes du Président de l’Assemblée nationale et formule des recommandations aux autorités pour le respect de la Constitution. Contrairement à la position de la CC, la prorogation de la session de mars est une obligation constitutionnelle d’ordre public qui s’impose aux deux chambres parlementaires et non une faculté (A). Face à la nécessité d’observer les mesures barrières contre le Covid-19, l’Assemblée nationale devra réviser son Règlement intérieur (RI) pour consacrer la tenue des sessions plénières en mode virtuel ou vidéoconférence. En attendant la révision du RI, elle peut siéger en format réduit en invoquant le cas de force majeure (B).

A. LA CLOTURE OU NON DES SESSIONS PARLEMENTAIRES PENDANT L’ETAT DE SIEGE

Pour répondre à cette préoccupation, il importe d’analyser la réponse de la CC à la demande du Président de l’Assemblée nationale.

I. La réponse de la CC à la demande du Président de l’Assemblée nationale

La CC a reçu la requête du Président de l’Assemblée nationale en tant qu’une des personnes et les institutions habilitées par l’article 161 de la Constitution à solliciter l’interprétation de la Constitution. Elle a donné l’interprétation qui peut être résumée en quatre points. Premièrement, la CC considère qu’en employant la locution « de plein droit » dans l’alinéa 2 de l’article 144 de la Constitution, le constituant n’a pas entendu donner la possibilité de ne pas proroger la session et qu’il n’a même pas distingué la nature de la session. Deuxièmement, la CC note, cependant, qu’ « au regard de l’esprit de la disposition constitutionnelle sous examen, il ressort clairement que la session ainsi convoquée ne sert qu’à proroger ou non l’état de siège ou de l’état d’urgence ».

Troisièmement, la CC relève que, « …dans les interstices, les chambres parlementaires gardent leur autonomie surtout au regard de la circonstance exceptionnelle de l’état de siège, de clôturer leur session et de convoquer régulièrement une session pour statuer sur la prorogation de l’état de siège ». La CC considère que ce régime exceptionnel vise la période intermédiaire entre les deux sessions ordinaires, soit du 16 juin au 14 septembre 2021. 

Quatrièmement, enfin, la CC juge que « …les chambres parlementaires peuvent clôturer leur session de manière exceptionnelle, et demeurer disponibles tous les quinze jours pour proroger ou non l’état de siège ».

II. L’appréciation critique de la position de la Cour 

L’appréciation de la position de la CC passe par l’analyse de deux éléments tirés de la disposition constitutionnelle siège de la matière. Il s’agit, d’une part, du caractère impératif quant au retardement de la clôture des sessions parlementaires en cas d’état de siège (ou d’urgence) et, d’autre, part la raison d’être de la permanence des chambres parlementaires en cette période.

  1. L’impérativité de la prorogation des sessions parlementaires

Pour dégager ce caractère obligatoire et d’ordre public de retarder la clôture des sessions parlementaires (donc proroger la session) en cas d’état de siège ou d’urgence déclaré par le Président de la République, rappelons les termes de la disposition constitutionnelle en la matière. En effet, lorsque l’état de siège est décrété, le constituant dispose que : « La clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée pour permettre, le cas échéant, l’application des dispositions de l’alinéa précédent ». Si le verbe « retarder » signifie entre autres « faire arriver ou se produire plus tard que prévu » ou encore « remettre à un moment ultérieur », l’expression « de droit » s’entend consacrée par un texte juridique. Autrement dit, c’est conformément au droit existant que la clôture desdites sessions est retardée. Ce qui est un impératif, à la limite catégorique, et une obligation qui s’impose en ce qu’il n’est donné aucune autre alternative sinon de retarder la clôture des sessions parlementaires pour cause d’état de siège (ou d’urgence) décrété. Ce qui signifie qu’aucune faculté n’est conférée aux deux chambres parlementaires à ce sujet.

Il sied de noter qu’au lieu d’expliquer ce que signifie la locution « de droit » en rapport avec le retardement de la clôture des sessions parlementaires, la CC s’est plutôt employée à expliciter la locution « de plein droit » rattachée à l’obligation faite aux chambres parlementaires de se réunir après la proclamation de l’état de siège ou d’urgence. Il s’ensuit que les deux expressions n’ont pas la même compréhension, même si la finalité semble la même, de se conformer aux textes juridiques. C’est pour dire que cette prorogation de session ou ce retardement de la clôture de session s’impose impérativement et sans formalités quelconques, le constituant ayant formellement interdit la clôture des sessions en cas d’état de siège ou d’urgence.

Cependant, après avoir affirmé ce caractère impératif et obligatoire de retarder la clôture des sessions parlementaires pour cause d’état de siège, la CC a malheureusement jugé que « les Chambres parlementaires peuvent clôturer leur session, de manière exceptionnelle, et demeurer disponibles tous les 15 jours pour proroger ou non l’état de siège ». Elle a ainsi introduit confusément une alternative là où le constituant se veut catégorique en imposant que la clôture des sessions soit retardée de droit. 

Cette attitude inconséquente de la CC a débouché sur une contradiction flagrante. Celle-ci consiste dans le fait qu’après avoir interprété la locution «de droit » de l’article 144 alinéa 3 de la Constitution comme interdisant toute clôture des sessions parlementaires en cas d’état de siège ou d’état d’urgence, la CC reconnaît par la suite la possibilité de cette clôture dans le dispositif du même arrêt. 

La CC a donné à l’Assemblée nationale la possibilité de choisir entre la prorogation de la session ou sa clôture. Cette attitude prudentielle (ou refuge) ne lui a pas permis de réaffirmer catégoriquement le retardement de la clôture de ladite session conformément à l’esprit et à la lettre de l’alinéa 3 de l’article 144 de la Constitution. Par ailleurs, une telle attitude n’est pas de nature à protéger la Constitution dont la CC est, pourtant, la gardienne. Par contre, elle a ouvert une brèche très dangereuse susceptible de permettre aux parlementaires de clôturer la session tout en se rendant disponibles pour la tenue des sessions extraordinaires tous les 15 jours. Ce qui peut, matériellement et financièrement, causer beaucoup de désagréments. 

Par ailleurs, la position de la CC plonge dans la confusion. En effet, certains affirment que, par son arrêt, la CC a autorisé aux chambres parlementaires de retarder la session de mars, alors que d’autres pensent le contraire considérant, à cet effet, que la CC a mal dit le droit. Car, ce serait aberrant de clôturer cette session de mars et de penser que les chambres parlementaires peuvent se réunir en session (extraordinaire) tous les quinze jours. Cette confusion se traduit en pratique une situation inédite au niveau du Parlement. Se conformant à l’arrêt de la CC, le Sénat a clôturé sa session de mars en ignorant de l’alinéa 3 de l’article 144 de la Constitution alors qu’à l’Assemblée nationale, la clôture de la session est retardée conformément à cette même disposition. L’attitude des députés nationaux respecte à la fois la Constitution et l’arrêt de la CC dans la mesure où celle-ci a laissé aux chambres parlementaires la liberté de clôture ou non la session de mars. 

Cette liberté laissée aux chambres parlementaires par la CC est aux antipodes de la locution « de droit » à l’alinéa 3 de l’article 144 de la Constitution. Une fois de plus, qu’il ne s’agit pas d’une question d’alternative, moins encore de choix laissé à l’appréciation de deux chambres du Parlement qui jouirait, selon la CC, de l’autonomie, surtout au regard de la circonstance exceptionnelle  de l’état de siège pour clôturer la session et en convoquer une autre régulièrement. Car, en la matière, aucune « autonomie » de clôture ou non de la session en cours ne peut être postulée. Il en est de même de la convocation ou non d’une session extraordinaire.

Qu’en est-il alors de la raison d’être de cette permanence de deux Chambres parlementaires à l’occasion de la proclamation de l’état de siège ? 

  1. Ratio legis de la permanence du Parlement en cas d’état de siège ou d’état d’urgence 

L’affirmation de la permanence de deux chambres parlementaires pendant l’état de siège (ou d’urgence) est patente en amont (alinéa 2 de l’article 144) comme en aval (alinéas 5 et 6 de cet article). En amont, l’Assemblée nationale et le Sénat doivent se réunir de « plein droit » (c’est-à-dire sans formalités) juste après la proclamation de l’état de siège par le Président de la République. S’ils ne sont pas en session, une session extraordinaire est convoquée, conformément à l’article 116 de la Constitution. En aval, la permanence des chambres parlementaires est justifiée par la nécessité de proroger de l’état de siège (ou d’urgence) ou de mettre fin à cet état d’exception.  Le retardement de leur clôture est commandé pour l’accomplissement de ces obligations constitutionnelles. 

Au-delà des obligations constitutionnelles des chambres parlementaires explicitement mentionnées à l’article 144 de la Constitution, il y en a d’autres qui relèvent de la nature même de ces deux institutions et qui doivent s’exercer avec délicatesse pendant cette période exceptionnelle. En effet, l’alinéa 2 de l’article 144 de la Constitution ne précise pas ce que les deux chambres doivent faire lorsqu’elles doivent se réunir après la proclamation de l’état de siège (ou d’urgence). Nous pouvons émettre deux hypothèses. La première est que ce silence du constituant renvoie à la compétence générale et habituelle de ces deux chambres à prendre de mesures qui contribuent à la mise en œuvre efficiente de l’état de siège ou d’urgence. En tant qu’autorité budgétaire, l’une des plus importantes mesures que le Parlement peut prendre est l’allocation des ressources financières pour couvrir les dépenses occasionnées par la proclamation de l’état de siège (ou d’urgence) et qui n’étaient pas prévues dans la loi budgétaire de l’année.

La deuxième hypothèse est le contrôle de la mise en œuvre de cet état de siège (ou d’urgence). Ainsi, au-delà de leur compétence de voter les lois, le Parlement a la mission de contrôler le Gouvernement, et en l’espèce, contrôler la mise en œuvre de l’état de siège (ou d’urgence). L’état de siège (ou d’urgence) ne doit pas être considéré comme la chasse-gardée du Président de la République et du Gouvernement (Exécutif), mais un domaine de collaboration entre tous les pouvoirs publics. C’est pour cette raison que le Président de la République se concerte avec le Premier ministre et les Présidents de deux chambres parlementaires avant de proclamer l’état de siège (ou d’urgence). 

Le pouvoir judiciaire intervient à deux niveaux. Le premier niveau est celui de la CC qui doit statuer sur la conformité à la Constitution des ordonnances du Président de la République contenant les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l’état de siège (ou d’urgence). Le deuxième est celui des juridictions militaires, plus particulièrement les cours opérationnelles qui accompagnent les troupes au front. Elles sont appelées à réprimer toutes les infractions en rapport avec la mise en œuvre de l’état de siège ou d’urgence mais aussi en se substituant aux juridictions de droit commun.

En tant garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens, le pouvoir judiciaire joue un rôle important l’état de siège qui, par sa nature, peut mettre à mal les droits et libertés fondamentaux de citoyens. Contrairement à la thèse de la mise en suspension de l’Etat de droit par la proclamation de l’état de siège soutenue par la CC dans son arrêt R.Const. 1550, il faut affirmer que l’état de siège ou d’urgence sont décrétés pour renforcer l’Etat de droit en instaurant l’autorité de l’Etat dans les zones de non droit et en assurant la protection des droits des citoyens.

Le contrôle des chambres parlementaires à contrôler la mise en œuvre de l’état de siège (ou d’urgence) transparaît clairement à travers leurs compétences explicites de le proroger et d’y mettre fin. Ces deux compétences sont exercées sur la base objective du déroulement des opérations sur terrain, après avoir attendu les membres du Gouvernement. Les parlementaires doivent suffisamment être informés et convaincus de la nécessité de proroger ou non l’état de siège (ou d’urgence). Dans le cas où ils décideraient d’y mettre fin, ils doivent justifier du bien-fondé de cette décision peut avoir de lourde de conséquence et peut engager leur crédibilité à l’égard des électeurs.

La compréhension de la portée du rôle des chambres parlementaires durant l’état de siège (ou d’urgence) milite non seulement pour la prorogation de sessions mais aussi pour la liberté de fixation de l’ordre du jour. Celle-ci est par ailleurs un attribut de l’autonomie de chambres parlementaires. Prétendre le confiner à la seule prorogation des périodes successives de 15 jours paraît une mauvaise lecture de la Constitution. Et ce confinement ne se justifie pas surtout lorsqu’il s’agit d’une session ordinaire qui continue. Cet ordre du jour ne saurait concerner que l’autorisation de proroger l’état de siège (ou d’urgence) pour des périodes successives de quinze jours, moins encore leur fin, comme l’a prétendu la CC en soutenant que la session ainsi convoquée ne servirait qu’à proroger ou non l’état de siège (ou d’urgence).  Le Parlement peut continuer à voter des lois et à contrôler le Gouvernement, les entreprises et les établissements publics, surtout que l’état de siège n’est que territorialement partiel.

Au regard cette corrélation entre les pouvoirs publics, l’état de siège ou d’urgence ne doit pas être la chasse-gardée du Président de la République et du Gouvernement, mais plutôt de tous les pouvoirs publics. Il s’agit là d’un domaine de collaboration entre ces pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Comme pour dire que n’étant pas par essence une tactique en solo, mais un jeu d’équipe qui nécessite une cohésion holistique dans l’articulation et la synchronisation de son exécution, l’état de siège décrété oblige impérativement le Parlement de ne pas prématurément clôturer les sessions en cours. Il s’agit là d’une obligation constitutionnelle d’ordre public.

La permanence du Parlement pendant les circonstances exceptionnelles ou de fragilité institutionnelle est enfin confirmée par l’interdiction de la dissolution de l’Assemblée nationale une année après les élections, pendant l’état de siège, l’état d’urgence, la guerre ainsi lorsque pendant que la République est dirigée par un Président intérimaire.  En tant que pouvoir constituant dérivé, le Parlement ne peut exercer cette compétence durant ces situations exceptionnelles.

Cette permanence voulue du Parlement en cette période d’état de siège (ou d’urgence) n’est-elle pas mise en mal à la suite des mesures restrictives prises par le Gouvernement pour faire face à la troisième vague du Covid-19 ?

B. L’IMPOSSIBILITE MATERIELLE DE TENIR DES SEANCES PLENIERES AU REGARD DES MESURES DE RIPOSTE CONTRE LE COVID-19 

L’une des motivations ayant fondé le Président de l’Assemblée nationale à saisir la CC est la recrudescence de la troisième vague de la pandémie à Covid-19, plus particulièrement à Kinshasa où le variant indien ou delta serait à la base de la montée exponentielle des cas des personnes affectées. Face à cette vague, le Président de la République a pris de nouvelles mesures de riposte devant affecter aussi le fonctionnement de l’Assemblée nationale. C’est pour cette raison que son Président a saisi la CC pour connaître l’attitude à observer pour continuer à fonctionner normalement.

Il importe de rappeler ces mesures avant de proposer une adaptation du mode de fonctionnement des chambres parlementaires en passant de présentiel au virtuel pour cette période exceptionnelle. Il faut signaler que la CC n’a pas répondu à cette préoccupation. Nous pensons que la CC aurait utilisé son pouvoir de régulation des institutions politiques pour autoriser les chambres à se réunir en format réduit en se fondant sur la notion de la force majeure.

I. L’interdiction de rassemblement de plus de vingt personnes sur les lieux publics

A partir de la ville de Goma où il a fixé son nouveau quartier général, le Président de la République a édicté des mesures pour parer à la troisième vague très meurtrière du Covid-19 parmi lesquelles le maintien et le renforcement du couvre-feu de 22 heures à 4 heures caractérisé par des points de contrôle et des patrouilles de la police militaire et l’interdiction de tout rassemblement de plus de 20 personnes sur les lieux publics.

Le Palais du Peuple, siège de l’Assemblée nationale et du Sénat, est un lieu public qui accueil des personnes de divers horizons, et de ce fait, présente le risque de constituer un foyer de contamination au Covid-19. Outre ce fait, les deux mesures de ripostes ci-dessus rappelées affectent le bon fonctionnement de l’Assemblée nationale comme le Sénat. En ce qui concerne la première mesure, elle limite le temps de travail des parlementaires qui sont souvent astreints aux débats houleux au nom de la liberté de parole leur reconnue mais aussi de la transparence ainsi que de la participation. Si cette mesure peut paraître observable, la deuxième, c’est-à-dire, l’interdiction de rassemblement de plus de 20 personnes sur les lieux publics ne permet pas l’Assemblée nationale à tenir une séance plénière conformément à son règlement intérieur.

Que faire devant l’impératif constitutionnel de proroger la session ordinaire de mars 2021 et l’obligation d’organiser les séances plénières notamment pour la prorogation de l’état de siège pour des périodes successives de 15 jours jusqu’à l’ouverture de la session ordinaire de septembre 2021 ? Dans sa requête, le Président de l’Assemblée nationale avait une solution derrière sa tête. A l’en croire, il préconisait l’organisation des séances plénières en des formats très réduits qui réuniraient seulement les membres du Bureau de l’Assemblée nationale et les Présidents des groupes parlementaires.

Cette solution semble en contradiction avec les dispositions de l’alinéa 1 de l’article 118 de la Constitution libellées en ces termes « L’Assemblée nationale et le Sénat ne siègent valablement qu’à la majorité absolue des membres qui les composent ». Pour surmonter cet obstacle juridique, deux options sont laissées aux parlementaires. La première est de siéger en format réduit. Cette option doit être temporaire, limitée dans la durée nécessaire à la révision du RI pour consacrer la tenue des séances plénières en mode virtuel. La deuxième option est justement la tenue des plénières en vidéoconférence.

II. La migration vers la tenue des plénières en mode virtuel

Les articles 118 de la Constitution et 69 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ont institué un seul mode de tenue des séances plénières. Il s’agit du mode « présentiel ». L’alinéa 4 de l’article 69 du RI est formel lorsqu’il dispose : « La présence des députés est constatée par la signature apposée par chacun au regard de son nom sur les listes y afférentes, au début de la séance ». Cette consécration n’avait pas pris en compte des situations exceptionnelles qui peuvent empêcher le déroulement des travaux parlementaires en présentiel. Il urge donc de tirer les leçons de la pandémie à Covid-19 depuis la déclaration de l’état d’urgence en mars 2020.

Sur le plan juridique, la leçon à tirer recommande aux députés et aux sénateurs de réviser leurs RI respectifs pour intégrer un deuxième mode de tenue des séances plénières en migrant vers le « virtuel ». Dans le cas précis, il est urgent que l’Assemblée nationale ajoute un cinquième alinéa à l’article 69 pour consacrer la tenue des séances plénières en vidéoconférence comme le fait le Gouvernement avec la tenue des Conseils des Ministres. Ce qui permettra aux parlementaires de siéger valablement tout en respectant les mesures barrières et partant, en se protégeant contre la pandémie à Covid-19.

Concrètement, l’Assemblée nationale doit procéder à la révision de son RI à travers un format réduit, notamment le Bureau et les Présidents des groupes parlementaires. Dès qu’il est déclaré conforme à la Constitution par la CC, l’Assemblée nationale devra des dispositions matérielles pour permettre à chaque député de participer aux travaux parlementaires à distance.

CONCLUSION

L’analyse de l’arrêt R.Const 1584 du 22 juin 2021 en interprétation de l’article 144 de la Constitution en ses alinéas 2 et 3, a abouti à la conclusion que la CC n’a pas été la hauteur de ce que l’on attendait d’elle. Ainsi, au lieu de réaffirmer de manière catégorique l’obligation constitutionnelle de retardement de la clôture de sessions ou de la prorogation de sessions lorsque l’état de siège ou d’urgence est décrété, ce qui participerait de la protection de la Constitution dont elle est gardienne, la CC a plutôt ouvert une brèche en laissant aux chambres parlementaires  le choix de retarder ou non la session ordinaire de mars en cours.

Une telle appréhension de la part de la CC est contraire à la Constitution. Les chambres parlementaires sont tenues, conformément à la loi fondamentale de continuer à siéger, aussi longtemps que durera cet état de siège. Les chambres parlementaires sont tenues de retarder la clôture de la session de mars. Cette attitude ne serait pas un affront à la Constitution, moins encore à la décision de la Haute juridiction et, aucun conflit interinstitutionnel à craindre entre elles et la CC, en ce que celle-ci a jugé que les chambres parlementaires avaient la faculté de clôturer ou non leur session. Ainsi, si elles peuvent clôturer, il est aussi possible qu’elles ne le puissent pas. Cette dernière option s’impose par la volonté du constituant. 

Face à cet impératif constitutionnel qui s’impose aux deux chambres parlementaires de retarder la session ordinaire de mars, ce qui n’est pas pour elles une faculté, et au regard de contraintes résultantes des mesures restrictives prises par les autorités publiques pour faire face à la troisième vague du Covid-19, deux choix s’offrent aux deux chambres parlementaires. Elles sont appelées à siéger en format réduit en attendant de modifier leurs RI (y compris le Règlement intérieur du Congrès) afin d’intégrer la participation aux séances plénières en mode distanciel. Le mode virtuel ou la participation par vidéoconférence s’impose en ce temps de crise sanitaire due à cette pandémie. Telle est la solution envisagée pour assurer la permanence des chambres parlementaires durant cet état de siège. 

RECOMMANDATIONS

Au Président de la République, en tant garant du fonctionnement régulier des institutions et du respect de la Constitution, de :

  • veiller à ce que la Constitution soit strictement respectée même en période exceptionnelle.

Aux Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat de :

  • ne pas clôturer la session de mars au risque de violer l’article 144 alinéa 3 de la Constitution ;
  • organiser les séances plénières en format réduit en invoquant le cas de force majeure constitué par le Covid-19 dans un bref délai ;
  • réviser leurs Règlements intérieurs respectifs pour y intégrer le mode virtuel de tenue de sessions plénières.

A la Cour constitutionnelle de/d’

  • renforcer les méthodes d’interprétation de la Constitution ;
  • demander les avis de toute personne compétente susceptible de l’aider dans sa mission exigeante d’interpréter la Constitution ;
  • être plus exhaustive et pédagogique dans la motivation de ses arrêts.

Références

CC, 06 mai 2021, R.Const. 1550, Requête du Président de la République en appréciation de la conformité à la Constitution des Ordonnances n° 21/016 du 03 mai 2021 portant mesures d’application de l’état siège sur une partie de la République démocratique du Congo et n° 21/018 du 04 mai 2021 portant nomination des membres des gouvernements provinciaux militaires dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, Inédit.

CC, 22 juin 2021, Arrêt R.Const. 1584, Requête en interprétation de l’article 144 alinéas 2 et 3 de la Constitution telle modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, Troisième feuillet, inédit.

Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 telle que modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011, JORDC ; 52ème année, Numéro spécial du 5 février 2011. 

Dorian Kisimba, « RDC : Pour Lokondo, la 4ème prorogation de l’état d’urgence va retarder la clôture de la Session ordinaire de mars à l’Assemblée nationale », https://www.africanewsrdc.net/actu/lokondo-4eme-prorogation-retard/, consulté le 26/06/2021.

Genèse Bibi Ekomene & Renia Binaki Bamangana, « Article 168 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006 », www.creeda-rdc.org

Joseph CihundaHengelela, « Article 118 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006 », www.creeda-rdc.org, (Consulté, le 27 juin 2021).

Joseph Kazadi Mpiana, « Article 219 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006 », www.creeda-rdc.org 

Marie-Laure Basilien-Gainche, Etat de droit et états d’exception. Une conception de l’Etat, Paris, PUF, 2013.

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Ordonnance n° 21/018 du 04 mai 2021 portant nomination des membres des gouvernements provinciaux militaires dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, inédit.

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« Comment gérer la troisième vague de COVID-19 en RDC ? », https://www.radiookapi.net, (Consulté le 27 juin 2021.

« Coronavirus en RDC : Félix Tshisekedi annonce la fermeture des boîtes de nuit et discothèques pendant 15 jours », https://actualite.cd/2021/06/15/coronavirus-en-rdc-felix-tshisekedi, (Consulté le 26 juin 2021).

 « RDC : face à la 3e vague de Covid-19, Félix Tshisekedi va annoncer de nouvelles mesures », https://actualite.cd/index.php/2021/06/11, (Consulté, le 27 juin 2021).