Chronique de Graces MUWAWA L.
Avocat
En 1637, dans « Discours de la méthode », René DESCARTES écrit : « Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun ; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci qui servent à la perfection de l'esprit ; (…) Toutefois il se peut faire que je me trompe, et ce n'est peut-être qu'un peu de cuivre et de verre que je prends pour de l'or et des diamants ».
La Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 dispose à l’alinéa 7 de son article 104 ce qui suit : « Les anciens Présidents de la République élus sont de droit sénateurs à vie ». Deux questions font actuellement débat sur la table des juristes, soulevées notamment par Monsieur Jean-Paul Mwanza : 1) Est-ce qu’en droit constitutionnel congolais un ancien Président de la République élu peut-il être élu Président du Sénat ? 2) Est-il possible pour le Président Joseph KABILA, en sa qualité de sénateur à vie, de se présenter à nouveau comme candidat Président de la République aux prochaines élections présidentielles en RDC ? Plusieurs juristes, constitutionnalistes ou non, ont émis leurs points de vue sur la question. Pas de jurisprudence sur la question, une première expérience pour la République Démocratique du Congo, nous essayons dans cette étude de présenter brièvement et sans équivoque ce qu’est notre point de vue sur la question, tout en laissant ouvert le débat de droit soumis aux juristes et non aux marabouts.
Ainsi, contrairement à d’aucuns qui y répondent en analysant toute la reformulation phraséologique de la disposition de l’article 104 à son alinéa 7, nous estimons que la résolution de cette thématique de très grande envergure part du déchiffrement scientifique juridique et littéraire de seulement deux locutions, seulement deux expressions, utilisées dans cet alinéa 7, à savoir : 1. DE DROIT ; 2. A VIE.
1. Les anciens Présidents de la République élus sont DE DROIT
Les sénateurs à vie ont longtemps existé en France, et existent encore en Italie. En droit français, avant la suppression du mandat à vie de ceux qu’on a appelé les « sénateurs inamovibles » par la loi organique du 10 décembre 1884, ils (les sénateurs inamovibles) existaient en vertu de la loi du 24 février 1875 qui prévoyait que le Sénat de la IIIème République française était composé de 300 sénateurs, dont 225 élus pour un mandat limité dans le temps, et 75 autres élus à vie parmi les membres de l’Assemblée Nationale. Cette dernière catégorie de sénateurs était d’abord ELU, mais à vie, et étaient appelés Sénateurs amovibles. Quant au mode de désignation il s’agit là des sénateurs élus.
En Italie, par contre, ils existent encore à ce jour : les sénateurs à vie. Le Sénat italien est lui aussi composé de deux type des membres, les membres élus pour un mandat limité dans le temps et les Sénateurs à vie. Sont donc sénateurs à vie en vertu de l’article 59 de la Constitution italienne, d’une part les anciens Président de la République, et d’autre part les citoyens, nommés par le Président de la République pour avoir honoré la patrie par leurs mérites éminents dans les domaines social, scientifique, artistique ou littéraire. Quant au mode de élus désignation il s’agit des sénateurs nommés.
L’on se posera la question de savoir « pourquoi l’insistance sur le mode de désignation ». C’est de là que ressort le contenu, mieux le fondement de l’allocution DE DROIT dans la l’alinéa 7 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006.
En effet, DE DROIT est une locution adverbiale utilisée dans le langage juridique, à laquelle on oppose une autre locution : DE FACTO, c’est-à-dire « des faits ». On dit donc, dans sa formule complète « DE DROIT LEGAL », c’est-à-dire « trouvant sa source dans la loi », et dans le cas d’espèce on dirait « DE DROIT CONSTITUTIONNEL », c’est-à-dire « trouvant son fondement juridique de la Constitution ». Et donc, si les anciens sénateurs inamovibles français trouvaient le fondement de leur statut juridique du fait de leurs élections parmi les membres de l’Assemblée Nationale (de facto), ou alors si les sénateurs à vie italiens trouvent le fondement de leur statut juridique du fait de leurs nominations par le Président de la République, les sénateurs à vie congolais trouveront le fondement juridique de leur statut juridique de la Constitution, à l’occurrence l’alinéa 7 de l’article 104. C’est dire donc que dès la première seconde de la passation de pouvoir et l’entrée en fonction d’un nouveau Président de la République élu, l’ancien Président de la République élu devient Sénateur à vie, sans aucune quelconque formule écrite ou verbale de reconnaissance par une autorité établie.
2. Les anciens Présidents de la République élus sont des sénateurs A VIE
Sous d’autres cieux, tel qu’en droit comparé français et italien analysé ci-haut, un sénateur à vie est un membre du Sénat nommé ou élu pour un mandat à vie. En droit congolais, par contre, un sénateur à vie est le statut juridique d’un ancien Président de la République élu, dès l’instant où il cesse d’être le Président de la République Démocratique du Congo jusqu’à sa mort. Il est sénateur à vie toute sa vie après avoir été Chef de l’Etat. Il est donc Sénateur à vie.
Cependant, la question demeure celle de savoir, face au caractère viager de son statut de sénateur, peut-il exercer une autre fonction de l’Etat, comme notamment être Président de la République ? Peut-il être élu, ou siéger comme président du Sénat, avec comme conséquence logique d’être le Président de la République intérimaire conformément à l’article 75 de la Constitution ?
Le sénateur à vie n’a pas le même statut que le sénateur à mandat électif au sens des articles 104, sauf alinéa 7, et 105 de la Constitution.
En effet, l’article 4 du Règlement Intérieur du Sénat dispose que « le Sénat comprend 108 membres ELUS conformément aux dispositions de la Constitution et de la loi électorale ». Il ressort de cette disposition que les anciens Président de la République ne composent ni ne siègent au Sénat. Par conséquent, ne peuvent être élus Président du Sénat.
Cependant, si conformément à la Constitution le mandat de sénateur est en incompatibilité avec tout autre mandat électif, les anciens Président de la République, sénateurs à vie, puisqu’ils n’ont pas un mandat électif, encore que conformément à l’article 104 de la Constitution les sénateurs représentent chacun sa province, et que eux (les sénateurs à vie) ne représentent aucune partie du territoire national, puisqu’ils ne sont pas élus, ils (les sénateurs à vie) ne sont pas interdits d’exercer n’importe quel autre métier, même celui à but lucratif, alors qu’en temps normal un sénateur ne l’exercerait pas.
Par ailleurs, la qualité ou le statut de sénateur à vie est en même temps un droit et une sanction. Il s’agit d’un droit constitutionnellement reconnu et revêtu d’un caractère viager. On n’est pas sénateur toute sa vie, mais on est « sénateur à vie ». Ainsi, usant d’un raisonnement par analogie, l’article 785 de la loi n° 87/010 du 1er août 1987 portant code de la famille reconnaît au conjoint survivant l’usufruit viager portant sur l’immobilier (la parcelle) habité par les époux ainsi que sur les meubles meublant. Cet usufruit peut prendre fin soit par sa méconduite ou par le convol (le remariage) dudit conjoint. Le remariage du conjoint survivant bénéficiaire de cet usufruit viager est par ce même fait l’expression de la renonciation de son droit d’usufruitier à vie. Le sénateur à vie en droit congolais, peut-il lui aussi renoncer à ses droits et ce statut ? En attendant la loi sur le statut des anciens Président de la République, la Constitution est muette à ce sujet. Il appartient alors à la Cour constitutionnelle d’interpréter cette disposition. Quant à nous, nous estimons qu’au regard de ce vide constitutionnel, les anciens Président de la République, sénateurs à vie, ne peuvent plus à vie se présenter comme candidat Président de la République.
Le droit est beau, mais le raisonnement en droit est très difficile.