RDC : Mbusa Nyamwisi encourage le recensement annoncé par l’état-major des FARDC pour notamment savoir l'effectif réel des militaires qui se battent contre ADF à Beni (Interview)

Photo ACTUALITE.CD.

L’ancien chef rebelle congolais et ministre des affaires étrangères, Antipas Mbusa Nyamwisi s’est confié à ACTUALITE.CD à coeur ouvert cette semaine pour évoquer plusieurs enjeux de l’heure au pays. Il a, par la même occasion, encouragé le recensement des militaires annoncé par l’armée. Pour lui, ce processus d'enrôlement va notamment permettre de savoir le nombre réel des soldats qui se battent contre les combattants des Forces démocratiques alliées dans la région de Beni où des milliers de civils ont été tués depuis août 2014. 

Entretien

Cela fait plus de 8 mois que l’armée a lancé les opérations dites de grande envergure à Beni pour traquer les groupes armés, principalement ADF. Quelle est votre appréciation à mi-parcours de ces opérations qui, d’après l’ONU, ont provoqué la colère des rebelles qui ont tué plus de 500 civils supplémentaires en 8 mois ?

Depuis que ces opérations, dont nous avons par ailleurs salué le lancement, ont été déclenchées,  il faut reconnaître qu’en dépit des avancées réalisées, telles que le communiquent souvent les Forces Armées de la RDC, l’ennemi est toujours resté actif mais s’est maintenant beaucoup plus tourné vers les zones qui n’étaient pas touchées auparavant. Ce qu’il faut donc souligner c’est qu’il y a effectivement un travail qui s’est réalisé et qui se réalise depuis le déclenchement desdites opérations mais la population attend toujours le résultat final c’est-à-dire la destruction totale de l’ennemi et la fin de ce carnage qui n’a fait que trop duré. Nous continuons à déplorer et à pleurer nos morts civils et militaires dans cette région de la RDC, parce qu’une seule personne tuée sera toujours une mort de trop, que la vie humaine est sacrée et que l’Etat a la constitutionnelle obligation de la respecter et de la protéger.

Depuis février, une nouvelle zone est touchée par les tueries à Beni. C’est le secteur Ruwenzori qui, depuis 5 ans vivait dans l’accalmie en dépit des massacres. Comment expliquer cela ?

Au regard du contexte du déclenchement des opérations militaires de grande envergure on pourrait affirmer que l’ennemi se serait senti coincé du côté Ouest de la Nationale N°4, raison pour laquelle il se serait retourné vers la partie Est c’est-à-dire dans le secteur Ruwenzori. Cette thèse ne se vérifie pas ou reste à approfondir puisque la guerre que nous connaissons à Beni et même dans l’Ituri est sans nul doute une guerre d’intelligence dans laquelle toutes les thèses sont à analyser profondément afin de comprendre si elles sont réellement expliquées par ce qui saute d’emblé aux yeux. Mais, il est clair que certaines parties qui étaient touchées ne le sont presque plus et celles qui ne l’étaient pas tellement le sont maintenant assez. C’est ainsi que ces criminels ont mené plusieurs attaques à Halungupa et dans d’autres endroits au pied du Mont Ruwenzori notamment à Kinyamboghoro et environs où, en plus d’actes criminels notamment d’assassinats collectifs des civils, ils se livrent également au pillage du Cacao abandonné dans des champs par leurs propriétaires qui ne peuvent plus continuer à travailler suite à cette grande insécurité qui est finalement devenue une véritable boucherie humaine. D’ailleurs, nous déplorons encore aujourd’hui plusieurs morts à Mukoko, dans la collectivité de Mbau-Batangi. Les massacres se sont intensifiés du côté de Maimoya, Kokola, Opira, Ndalia (dans le territoire d’Irumu en Province de l’Ituri) jusqu’à aller plus loin dans cette province de l’Ituri notamment à Boga, Djugu… à tel point  que la ville de Bunia est presque encerclée. Le mode opératoire de ces criminels est pratiquement le même que ce soit en Province du Nord-Kivu ou en Province de l’Ituri. Ces tueurs dont nombreux ont même été capturés par l’Armée Congolaise doivent non seulement être détruits mais doivent l’être totalement.

Vous êtes arrivé en 2019 à Beni, vous avez dit à la population locale la volonté de Félix Tshisekedi de pacifier la région de Beni. Et il y a même déployé un QG important de l’armée qui a conquis plusieurs bastions rebelles mais les tueries se poursuivent. La thèse selon laquelle l’ancien régime freinerait les actions du nouveau pouvoir peut-être confirmée ? Le changement des commandements a aussi été effectué, faut-il remplacer tous les 21 000 militaires dans la zone ?

En me proposant de revenir au pays pour apporter ma contribution aux efforts du retour de la paix, c’est le Président de la République lui-même qui avait exprimé sa volonté de pacifier la région de Beni. Il l’avait même promis lors de sa campagne électorale. Quant à moi, personnellement, j’ai plusieurs canaux à travers lesquels je continue de collaborer avec lui pour apporter ma contribution aux efforts du rétablissement de la paix à Beni. C’est à travers ces mêmes canaux que j’ai également contribué à la lutte contre l’épidémie d’Ebola, notamment par la sensibilisation à l’engagement communautaire, épidémie dont la fin ne vient que d’être déclaré dans la province du Nord-Kivu. Je profite de cette occasion pour féliciter et remercier tous les partenaires, les médecins, les infirmiers et toutes les autres personnes dont les efforts conjugués viennent de nous permettre de braver cette terrible épidémie. Je continue donc de collaborer avec le Président de la République par plusieurs canaux et tout congolais devrait, par devoir patriotique, collaborer avec lui en vue de l’aboutissement heureux des efforts qui visent à préserver des vies humaines des congolais qui sont chaque jour tués sans raison. Refuser de collaborer s’apparenterait d’ailleurs à une trahison contre la Nation Congolaise. Quant à savoir si l’ancien régime freinerait les actions du nouveau pouvoir, je crois que ceux qui travaillent concrètement et réellement sur terrain avec l’ancien régime sont mieux placés pour répondre, ce jour, à cette question. A la question de savoir s’il faille remplacer les 21 000 militaires supposés être présents à Beni, je crois qu’il est important d’encourager le recensement annoncé par l’Etat major des FARDC. Ce recensement permettrait de connaître le nombre exact des militaires qui sont présents au front à Beni et si certaines personnes se seraient amusées à gonfler les effectifs pour des raisons inavouées, ces personnes devraient répondre de leurs actes et être sévèrement punis parce qu’il serait inadmissible et très grave de tromper l’autorité suprême du pays sur une question aussi sensible comme celle de la sécurité. Il est également important d’améliorer les conditions de travail des militaires congolais en vue d’attendre d’eux un travail de qualité. Au même moment, il est nécessaire de détecter et de mettre hors d’état de nuire tous ceux qui collaborent avec l’ennemi et qui ainsi, annihilent les gros efforts que fournissent nombreux dignes fils et filles de ce pays qui se sacrifient sur le champ d’honneur. Ici, encore une fois, l’occasion pour moi de leur rendre hommage avec tous les casques bleus qui se sacrifient pour la cause de la paix dans notre pays.

Et à propos de 60 ans d’indépendance, la RDC est-elle à la hauteur? 

Par rapport au 60ème anniversaire de l’indépendance de notre pays, le constat est que le bilan est humiliant. La Première autorité du Pays l’a également reconnu. Cependant, ce que je peux ajouter c’est que les dernières prises de position du Président de la République dans son discours du 30 Juin 2020 rassurent davantage qu’il faut le soutenir dans ses efforts notamment d’obtenir l’indépendance réel du pouvoir Judiciaire et de mener une lutte implacable contre le bradage des ressources nationales, la corruption et le détournement des deniers publics. En effet, la corruption est le premier ennemi qui affaiblit notre pays et contre lequel il nous faut une mobilisation sans pareille. Nous devons reprendre, avec beaucoup de force une nouvelle réorientation nationale du pays pour conjurer cette sorte de mauvais sort qui n’est en réalité qu’une faiblesse dans la prise de conscience, la volonté et l’effort dans la réalisation d’un travail nécessaire devant nous permettre de construire une RDC plus belle qu’avant. Nous devons résolument nous inscrire dans une révolution de bon sens et de bonne volonté pour lutter contre tous ces maux qui ne nous ont pas permis d’évoluer, 60 ans durant. Nous devons donc, à travers une justice indépendante avec des magistrats traités conséquemment, lutter contre la corruption, l’enrichissement sans cause, le détournement des deniers publics, le pillage des ressources naturelles de notre pays. Ainsi que l’a si bien exprimé le Cardinal Ambongo dans son homélie du 30 Juin 2020, il est extrêmement important d’obtenir la dépolitisation de la CENI et il est inadmissible que dans la nomination de nouveaux animateurs de cette institution d’appui à la démocratie l’on puisse chercher à contourner l’Eglise Catholique et l’ECC qui, à elles seules regroupent plus de 80% de la population congolaise. Je trouve opportun d’appeler la population à la vigilance citoyenne puisque l’histoire et l’expérience nous ont prouvés que les citoyens éveillés imposent toujours à leurs dirigeants une certaine façon de gouverner qui contribue à développer les Nations. Face à la mauvaise foi que manifeste de certains individus qui veulent confisquer le destin de tout un peuple il est indispensable de leur opposer une résistance farouche et de ne pas reculer.

Est-ce que les opérations mixtes FARDC-UPDF sont envisageables à Beni ? Sous quelles conditions ?

Ainsi que d’aucuns l’avaient déjà souhaité, je suis également de ceux qui encouragent qu’il y ait dans cette partie du Pays, principalement à Beni et dans l’Ituri, des opérations conjointes FARDC-UPDF. À mon humble avis, le Gouvernement Ougandais a également intérêt de voir ces Présumés ADF totalement défaits parce qu’il s’agit d’abord et au départ d’une rébellion Ougandaise qui voulait ou voudrait renverser les institutions politiques de l’Ouganda. En plus, les opérations militaires se déroulent à la frontière Ougandaise. Cependant, il convient de souligner que le premier rôle de défendre le Territoire National Congolais et celui de protéger les citoyens de ce pays, reviennent principalement au gouvernement de la RDC à travers l’Armée et la Police Nationale Congolaise. Raison pour laquelle, même en encourageant des opérations mixtes FARDC-UPDF nous devons toujours compter beaucoup plus et prioritairement sur nos FARDC. Pour cela, il est important d’élaguer des rangs des FARDC toutes les brebis galeuses et traîtres qui annihilent de l’intérieur les gros efforts que fournissent plusieurs fils et filles de ce pays. Il faut rappeler avec amertume que plusieurs militaires, dignes fils et filles de notre Nation meurent au front sur le champ d’honneur ; leurs sacrifices ne doit être  annihilé par une poignée de traîtres qui, à cause de leurs actes de haute trahison ternissent l’image de marque de notre armée. Toutes les accusations faites à l’encontre de plusieurs officiers dans des rapports fiables comme ceux de la Monusco et des experts de l’ONU doivent être prises au sérieux. Ne pas prendre au sérieux ces graves accusations diminue la considération que nous accordent certains Etats qui pourraient nous aider et donne l’impression que nous ne voulons pas exploiter toutes les pistes qui nous amèneraient à la solution le plus tôt et peut être sans aide extérieure.

Interview réalisée par Yassin Kombi