"Mes oeuvres n'ont ni pays ni barrières" (Freddy Tsimba)

Freddy Tsimba. Artiste congolais

Il fait partie des noms qui s'exportent le mieux en matière d'art contemporain made in RDC. Freddy Tsimba est un artiste plasticien congolais qui utilise essentiellement les douilles et des matériaux de récupération pour créer. Récemment, on a pu le voir dans le film "Système K" du réalisateur Renaud Barret, présenté à la 69ème édition du Festival international du film de Berlin. L'occasion de revenir avec l'artiste sur ce projet et discuter de ses projets actuels. 

Freddy Tsimba, merci de nous accorder cet entretien. Vous êtes un artiste qu'on ne présente plus. Vos oeuvres ont fait le tour du monde. Pour ceux qui ne connaissent pas encore bien l'oeuvre de Freddy Tsimba, comment la présenteriez-vous ?

Je suis un artiste plasticien qui vit à Kinshasa. Je travaille essentiellement sur la mémoire, j'interroge les matières, mon travail parle de la vie et son pendant, la mort, avec les différents éléments que je rassemble : douilles de cartouches, machettes soudées, cuillères ramassées par les enfants de la rue - communément appelés Shegués -, clés, tapettes de souris, armes cassées,... au delà de ces objets, c'est le triomphe de la vie qui est scandé ! C'est un travail d'artiste. Je ne revendique pas un pays mais plutôt l'universalisme ! Le triomphe de l'homme.

Dans son tout dernier film "Système K", le réalisateur Renaud Barret vous suit dans votre quotidien. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?

Le film système K est né de l’initiative du réalisateur Renaud Barret qui voulait faire un film axé sur la création contemporaine à Kinshasa. Son but principal était de mettre en exergue une jeunesse déterminée à s’en sortir malgré les difficultés et surtout le manque d’opportunités qui caractérise la ville dont je suis originaire. Cela a pris cinq ans de tournage. Ma voix et mon personnage structurent les scènes et transportent cette vitalité riche en émotion créatrice.

Le film a récemment été présenté lors de la dernière Berlinale, en Allemagne. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Le film a été très bien accueilli. Cela a permis de montrer la richesse de la scène contemporaine congolaise, en général, et kinoise, en particulier. Les séances de projection ont toutes été bien remplies, je pense que le film a marqué les spectateurs. Les échanges après chaque projection étaient enrichissants.

Vous avez travaillé avec des douilles recueillies sur les champs de bataille, ensuite avec des machettes. Pourquoi ces matériaux en particulier ?

La douille voyage, elle parcourt le monde, elle est plus libre que nous, elle arrive dans nos pays escortée pour au final tuer et donner la mort. Par contre, moi, quand je dois aller à Brazzaville, je dois avoir des papiers. Cela me révolte et me pousse à me poser beaucoup de questions sur le fonctionnement de l'être humain. En plus de cela, dans nos pays, nous avons encore énormément de problèmes au niveau de l’organisation. A titre d’exemple, je citerai la santé, l’éducation et, bien trop souvent, on investit dans des secteurs qui nient la valeur de l’être humain.

Quel est le dénominateur commun entre toutes vos oeuvres ?

Quand on est en face à l'une de mes oeuvres, on ne m'oublie pas ! Les thèmes sont variés. Mes oeuvres parlent du paradis comme elles peuvent parler des déplacements des peuples. Elles peuvent mettre en exergue un politicien véreux et parler des rêves impossibles. Mes oeuvres n’ont pas de barrière ni de pays.

Votre art est un art qui irradie en dehors du Congo, votre pays d'origine. A quoi cela est-il dû ?

Cela est dû au manque de considération de nos dirigeants politiques vis-à-vis de la culture. La culture est oubliée même dans l'octroi des moyens. Je ne sais pas s'il y a même un budget pour la culture. Rien n'est fait pour qu'à la longue, on arrive à honorer les créateurs et opérateurs culturels...

La culture est le parent pauvre de quasi tous les gouvernements qui se sont succédés en RDC. Pourquoi selon vous ?

La culture se nourrit de l'homme. Quand on dirige un ministère comme celui de la Culture, il faudrait qu'on soit à la hauteur. C’est le seul endroit qui touche le sacré, on ne doit pas l'oublier. Nous n’avons pas de politiques culturelles, il y a un manque de moyens et d’infrastructures appropriées comme les salles de spectacle, l’industrie cinématographique, l'éducation au respect des patrimoines, concours... Il faut vraiment que l’on s’y mette si on veut voir ce secteur se développer.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

Les projets sont légion. Je prépare une exposition à Casablanca, au Maroc, au mois de juin, une exposition monographique à Londres et une expo à Marseille et Paris.

Propos recueillis par Nabintu Kudjirakwinja