Largement majoritaire au parlement, le FCC habilité à réviser la Constitution

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Tribune de Martin ZIAKWAU Lembisa

Les résultats provisoires des élections sénatoriales de ce vendredi 15 mars 2019 renforcent en attendant, dans le jeu politique congolais, la puissance du Front commun pour le Congo (FCC) à l’Assemblée nationale. A la Chambre haute, les conclusions de ces consultations électorales sont de l’ordre de 91 élus FCC sur 100 sièges soumis à la compétition électorale de ce jour. A cela, faut-il intégrer le siège réservé de droit au Président de la République sortant sans oublier les huit sièges qui feront l’objet des élections sénatoriales reportées au Nord-Kivu et à Mai-Ndombe. Quels que soient les résultats des scrutins dans ces dernières provinces, le FCC domine d’ores et déjà le Sénat avec 92 sièges acquis sur les 109. 

Il en résulte que ce regroupement politique, dont le Chef de l’Etat honoraire, Joseph Kabila, est l’autorité morale, s’est bien positionné pour influer sur la conception et la conduite de la politique générale du pays. Ce quand bien même le Président de la République en exercice disposerait d’assez de marge de manœuvre pour impulser un nouvel esprit dans la pratique politique dans la perspective de la promotion de la construction de l’Etat de droit en RDC. Le célèbre juriste autrichien Hans Kelsen considère l’Etat de droit comme « un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. » Il s’agit de la lutte contre l’arbitraire et pour la consécration de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Fermons la parenthèse.

Cette écrasante majorité du FCC dans les deux Chambres du Parlement lui confère assez de latitude dans les pressions à exercer sur le Chef de l’Etat et l’organisation future de l’Etat. Il va sans dire qu’au regard de la Loi fondamentale de la RDC, le FCC est pleinement en droit d’initier la révision constitutionnelle sur les matières autorisées. En effet, l’article 218 de la Constitution dispose :

« L’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment :

1.  au Président de la République;

2.  au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres;

3. à chacune des Chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres ;

4. à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100.000 personnes, s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux Chambres.

Chacune de ces initiatives est soumise à l’Assemblée nationale et au Sénat qui décident, à la majorité absolue de chaque Chambre, du bien fondé du projet, de la proposition ou de la pétition de révision. La révision n’est définitive que si le projet, la proposition ou la pétition est approuvée par référendum. Toutefois, le projet, la proposition ou la pétition n’est pas soumis au référendum lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès l’approuvent à la majorité des trois cinquième des membres les composant. »

Considérant que le FCC disposerait provisoirement de 330 sièges sur les 500 que comprend l’Assemblée nationale, et de 92 sur les 109 que comporte le Sénat, il y a lieu de noter que cette plateforme politique compterait 422 sur 609 sièges du Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis). Les 3/5 représenteraient 365 élus. La « discipline » et la « loyauté » des élus FCC « aux idéaux prônés par (leur) Autorité morale », tel qu’il ressort des élections des membres des bureaux définitifs des Assemblées provinciales et des sénateurs, autorisent de se projeter dans le futur pour essayer d’entrevoir des postures à forte probabilité suivant les dispositions constitutionnelles.

L’article 220 de la Constitution stipule que « La forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le  nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle.

Est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées. »

Quoique me gardant de me lancer profondément dans la réflexion politologique sur le sens du « principe du suffrage universel », je n’exclus point la possibilité de la production des initiatives, dans les prochaines années, sur l’avenir de la Constitution de la RDC. Ce d’autant plus que l’universalité du suffrage ne revêt pas une seule modalité : le suffrage universel peut être direct ou indirect. Dès lors, est-il constitutionnel d’envisager la révision du premier alinéa de l’article 70 ? Ce dernier article dispose : « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ». L'article 220 ne précise pas de modalité du suffrage universel à appliquer, laissant ainsi le champ ouvert à la variabilité.

Le FCC sera-t-il tenté de lancer une réflexion sur la mutation du suffrage universel direct vers le suffrage universel indirect sous ce mandat du Président de la République Félix Tshisekedi ? Ce, en déployant l’argument axé sur la rationalité électorale sous prétexte du (ou eu égard au) devoir de sobriété dans la gestion des ressources financières de l’Etat pour l’organisation du cycle électoral en tenant compte de nombreux défis socioéconomiques à relever ?

Force est de constater que le FCC a la latitude d’initier la révision constitutionnelle avec ou sans l’appui du CACH, son allié politique. Quelle marge de manœuvre ce dernier pourrait-il disposer pour contrer une initiative de révision constitutionnelle qui lui serait désavantageuse ? L’UDPS et l’UNC auront-elles encore la capacité de mobiliser aisément la « base » pour faire valoir leur position face à la machine infernale de leur désormais partenaire politique ? Ceci pourrait dépendre, à terme, de la capacité du Président de la République à imposer des marques positives de gouvernance du pays.

Pour autant qu’elles ne sont plus dans les rangs de l’opposition politique, et ont résolu de composer avec le FCC pour une gestion conjointe du pouvoir central, l’UDPS et l’UNC sont tenues de négocier très habilement leur avenir sur l’espace politique congolais. Pour ce faire, elles doivent tirer sérieusement les leçons des élections législatives (nationales et provinciales) ainsi que les sénatoriales pour ne pas subir, en 2023, les stratégies politiques du FCC en cours d’exécution. Il y va de la politique. L’intelligence stratégique s’impose pour anticiper, autant que possible, les événements.   

Martin ZIAKWAU Lembisa

Analyste politique