Un gouvernement de « coalition » sur pied de l'article 78 alinéa 1er de la Constitution ?  Le nouveau paradigme de l'hérésie - Tribune

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Aujourd’hui, nous vous proposons cette tribune du Professeur Christian Kabange Nkongolo

Tribune.

L'hétérodoxie de l'affirmation justifie bien qu'on la qualifie d'hérésie à ce stade, lorsqu'elle s'obstine à soutenir qu'un gouvernement dit « de coalition » sera mis en place sur pied d'une majorité parlementaire qui existerait au sens de l'alinéa 1er de l'article 78 de la Constitution. Errare humanum est, perseverare autem diabolicum. Si par absurde la majorité parlementaire existait déjà au sens de l'alinéa 1er de l'article 78, qu'est-ce qui justifierait alors le recours à une « coalition gouvernementale » ? Car, avec ou sans le Cap pour le Changement (CACH), le Front Commun pour le Congo (FCC) demeure bel et bien une « coalition » des partis et regroupements politiques. Le droit n'est certes pas une science empirique au même piédestal que les mathématiques, néanmoins, même lorsqu'il loge aux frontières de la politique, il ne doit jamais devenir un fourre-tout où s'invitent même les affirmations les plus extravagantes propres au discours profane. A défaut d'un empirisme tous azimuts, la science juridique s'appuie généralement sur des syllogismes. Peut-on alors construire un raisonnement logique sur base de deux prémisses qui s'excluent mutuellement, et dont la majeure selon le cas se trouverait à l'alinéa 1er de l'article 78 précité pour aboutir à une conclusion qui, elle, se situerait à l'alinéa 2 in fine de la même disposition ou vice versa ? Dans un sens tout comme dans l'autre, une réponse affirmative donne bien naissance à « un monstre juridique », ceci d'autant plus que l'alinéa 2 tire sa genèse de la formule « Si une telle majorité n’existe pas... ». Ainsi donc, même si la « logique » politicienne des ténors actuels du pouvoir tient à forcer la note, le bémol rajouté dans le dernier communiqué conjoint FCC-CACH daté du 6 mars 2019, ne s'accommode à aucun syllogisme rationnel. Déjà que l'affirmation selon laquelle la coalition FCC détient la majorité parlementaire est la cible de bien d'objections ; de là, aller jusqu'à prétendre que celle-ci la détient en vertu de l'alinéa 1er de l'article 78, c'est pousser l'audace du raisonnement aux confins de l'ignorance. La majorité parlementaire censée exister aux termes de l'alinéa 1er ne peut être que celle qui se dessine par le peuple lui-même à l'issue du suffrage exprimé lors du scrutin législatif. Lorsque les rapports de force « sortis des urnes » n'ont pas réussi à départager les formations politiques en lice en déterminant ipso facto cette majorité, toute autre démarche ne peut procéder de l'alinéa 1er de l'article 78 précité, sinon alors le gouvernement qui en sortirait ne devrait pas émerger d'une coalition majoritaire, hypothèse principale de l'alinéa 2 et qui correspond autant aux cas de figure de 2006, 2011 et 2018.

De toute évidence le communiqué conjoint FCC-CACH n'est en réalité que la contre-lettre d'un mariage entre deux familles politiques, opposées hier, mais obligées aujourd'hui par le fait des circonstances, de composer ensemble dans un contexte où l'une entend bien prendre de l'ascendant sur l'autre. La désignation d'un informateur n'aurait rien changé dans le fond à la majorité numérique du FCC, il s'agit là simplement de s'affirmer. Pour emprunter l'expression chère à Léon Gambetta, « il faudra se soumettre ou se démettre ». Toutes choses restant égales par ailleurs, il reste peu sûr qu'un Président incapable d'imposer la désignation d'un informateur comme initialement évoquée lors du point de presse en Namibie, soit à même d'influer sur le choix des membres de la future équipe gouvernementale autant que peser sur la politique du futur gouvernement. A coup sûr, avec une cohabitation aux apparences déguisées d'une coalition, sans forcément être prophète, on peut prédire que cette législature ne sera pas de tout repos. Il ne sera pas surprenant de revivre des scènes de refus d'allégeance au Président de la République par certains ministres, comme cela fut le cas lors du 1+4. Surtout dans un contexte où la majorité parlementaire entend bien dépendre directement de son autorité morale, Joseph Kabila, qui du reste demeure jusqu'ici le véritable tireur de ficelles. Il faudra bien au Président Félix Tshisekedi une bonne dose d'un leadership à la François Mitterrand pour réussir à imposer son rythme et éviter la fable du Pantin de bois ou du Président protocolaire. Avec la nomination du formateur du FCC dans les prochains jours, il est clair qu'il n'aura pas passé ce premier baptême de feu.

Entre-temps, afin de ne pas entretenir des spéculations sur une violation quelconque de la Constitution, il faudra bien que ceux qui ont participé à la rédaction de la Constitution expliquent à l'opinion publique pourquoi la désignation d'un informateur, en lieu et place de relever de simples usages politiques comme cela est le cas sous d'autres cieux (Belgique, Luxembourg...), a été formalisée par sa consécration dans une disposition écrite de notre Constitution. Qu'à cela ne tienne, tant que l'alinéa 2 subsistera, à défaut d'être supprimé, il faudra cantonner le paradigme de l'hérésie contenu dans le communiqué conjoint FCC-CACH à la seule sphère politique, et ne pas l'importer dans les milieux académiques où l'on enseigne la théorie générale du droit constitutionnel, au risque d'inoculer et propager ce virus hétérodoxe aux apprenants.

A bon entendeur, salut !

Christian Kabange Nkongolo, est Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Kinshasa, Docteur en droit de l'Université d'Afrique du Sud et Membre du réseau de l'Institute for Gobal law and policy rattaché à la Harvard University.